Le premier cas que nous allons considérer est celui pour lequel la
fissure est un segment de l'axe réel. Comme nous l'avons vu, il s'agit
d'un cas particulièrement favorable puisque si le saut de température
change k fois de signe sur le segment, on aura tous les pôles sur la
fissure à l'exception d'au plus k pôles.
[Saut de température ![]() ![]() ![]() ![]() |
La première fonction que l'on choisit comme flux
sera tout
d'abord un simple sinus
de l'argument
.
Comme on peut immédiatement le constater sur la figure 4.1 (a),
le saut de température sur la fissure ne change pas de signe pour ce
flux, ce qui nous donne les conditions optimales sur la convergence des
pôles.
Les valeurs de u sont mesurées sur 1000 points du bord, et
l'on estime les coefficients d'une série de Fourier tronquée entre
les degrés -70 et 70.
La figure 4.1 (b) nous montre que la décroissance des dix
premières valeurs singulières de l'opérateur de Hankel estimé
est parfaitement géométrique. Au-delà de ce degré, les valeurs
singulières semblent stagner dans un même ordre de grandeur.
Un estimation de cette onzième valeur singulière nous donne environ
10-14. Sachant que la norme
de la fonction est de
l'ordre de l'unité, le rapport entre ces deux valeurs correspond
donc à l'ordre de précision des calculs en machine (double
précision).
[Pôles de l'approximant de degré 11]
![]() ![]() |
Observons maintenant le positionnement des pôles sur la
figure 4.2. On constate que les
résultats obtenus se confirment effectivement jusqu'au degré
11 puisque les pôles (représentés par des 'x') sont sans
exception sur la fissure. Dès le degré suivant, en revanche,
on commence à voir l'apparition de pôles hors de la fissure.
Qui plus est, ce pôle ``résiduel'' semble correspondre
parfaitement avec un zéro (représenté par un 'o') de
l'approximant, ce qui laisse supposer que la fraction obtenue pourrait
se simplifier en ce pôle.
En un sens, ceci peut apparaître comme logique en considérant
une propriété des approximants AAK, selon laquelle l'erreur
d'approximation f-gN est de module constant presque partout
sur
et égale à la valeur singulière sN. De ce fait,
ceci nous indique que lorsque sN atteint la précision
machine, l'approximant gN coïncide avec f presque partout
à la précision machine près, ce qui se traduit encore par
le fait que, pour la machine, f n'est pas discernable de gN.
Il serait donc illogique d'espérer une meilleure approximation,
avec les outils en présence.
Dans un tel cas, l'approximation L2 présente un intérêt moindre
par rapport à l'approximation AAK. Le temps de calcul de cette dernière
approche est en effet négligeable en comparaison d'un algorithme itératif
comme celui que nous utilisons. Nous avons en effet pu constater que
l'algorithme de Newton semble prendre ici un temps considérable dès que
l'on dépasse le degré 6, principalement parce que l'approximant est
déjà très proche de la fonction originale.
On peut en effet voir que le critère
vaut déjà
4,561.10-15. Les données fournies à l'algorithme étant connues
avec une précision relative de l'ordre de 10-14, ceci explique la
raison pour laquelle on pourra difficilement espérer obtenir plus de pôles.
[Pôles de l'approximant de degré 6]
![]() ![]() |
[Saut de température ![]() ![]() ![]() ![]() |
Le premier constat que l'on peut faire dans ce cas, en observant la
figure 4.4 (a), est que la fonction de saut
change
une fois de signe sur
.
Selon les résultats donnés par les théorèmes 11
et 12, ceci autorise un pôle a ne pas être sur la
fissure. Nous allons voir comment ce phénomène se manifeste pour
notre exemple.
[Pôles de l'approximant de degré 9]
![]() ![]() |
Notons sur la figure 4.4 (b) que la vitesse de décroissance
des valeurs singulières est pour le moins irrégulière.
En fait, il apparaît que toutes les valeurs singulières de notre
fonction sont des valeurs doubles.
Pour s'en convaincre, remarquons que la partie singulière de la fonction
ne peut être dûe qu'au terme
.
En effet, puisque les autres termes, ainsi que la fissure, sont invariants
en appliquant une symétrie par rapport à l'axe réel, ces termes ne
pourraient de ce fait induire un saut de température sur la
fissure
puisque les valeurs limites de u coïncident
(u+=u-).
De ce fait, notre problème est équivalent (à un facteur analytique
près) à celui du meilleur approximant AAK de la partie singulière,
à savoir l'approximant pour un flux
.
Or, avec un tel flux, le problème présente une symétrie centrale
par rapport au centre 0 du disque
.
Ceci induit que pour un point z sur la fissure, on a
u+(z)=u-(-z),
ce qui entraîne en d'autres termes que le saut de température
est impair. Alors la partie singulière S définie en (3.54)
clairement paire. Alors, si gN(z) est le meilleur approximant AAK de S,
gN(-z) l'est aussi et par unicité gN est pair.
Il ne peut de ce fait pas avoir un nombre impair de pôles, ce qui entraîne
que
g2p+1=g2p pour tout p, ce qui implique des valeurs
singulières multiples.
Toutefois, de par l'incertitude sur les évaluations numériques, elles
ne le sont pas exactement (on constate une légère décroissance), ce
qui donne un sens au résultat de généricité que nous évoquions
en 4.2, mais il n'en reste pas moins que le pôle apparaissant
lors des approximations de degré impairs ne donne aucune nouvelle
information.
Ce fait peut être constaté en comparant
sur la figure 4.5. En fait, la figure (a) y illustre ce qui se
passe pour les degrés impairs : on constate un pôle confondu avec
un zéro et très nettement détaché du reste des pôles. A
l'inverse, on constate que tous les pôles pour des degrés k pairs
vont sur la fissure, et ce en dépit du fait que seuls k-1 soient
nécessairement dessus, d'après le résultat.
Enfin, on notera dans ce cas encore que la limite numérique apparaît
comme dûe à la précision machine puisque s10 est là encore
de l'ordre de 10-14 alors que la norme
de f estimée
sur le bord vaut environ 3,36.
A présent, nous allons considérer le cas plus général où
la fissure est définie par un arc analytique joignant deux points
non alignés avec le centre du cercle. Pour modéliser cette fissure
analytique, on utilise un segment entre ces deux points, ce qui, par la
combinaison avec des applications conformes, couvre finalement un
nombre de cas assez conséquent.
Ce segment sera défini ainsi :
On constatera sur la figure 4.6 (a) que la décroissance se fait là encore de manière géométrique pour les huit premiers pôles avant de stagner sur des valeurs d'un même ordre de grandeur. En dépit de ce faible nombre de pôles, on peut constater sur la figure 4.6 (b) que les résultat est tout de même satisfaisant puisque les huit premiers pôles sont très proches de la géodésique. En revanche, il semble ici que la décroissance des pôles ne soit pas optimale par rapport à la précision du calcul puisque la huitième valeur singulière est cette fois de l'ordre de 10-9. Cette stagnation pourrait avoir deux causes principales, à savoir d'une part la précision sur les mesures de u et d'autre part l'ordre de troncature de la série de Fourier. En augmentant ce degré de sorte d'avoir les coefficients entre -150 et 150, on peut constater ici que la deuxième hypothèse était la bonne puisque la stagnation des valeurs singulières se fait à partir de s12 cette fois de l'ordre de 10-14. Les courbes 4.7 illustrent cet état de fait.
Le cas L2 présente lui aussi des résultats tout aussi satisfaisants,
comme on peut le constater sur la figure 4.8 avec ceux de
l'approximant L2 de degré 6. Ici encore le critère décroît très
vite puisque la valeur
vaut
déjà
3.51.10-13 à l'ordre 6.
[Pôles de l'approximant de degré 6.]
![]() ![]() |
Bien que notre relation d'orthogonalité non-hermitienne ne nous assure
qu'une convergence asymptotique des pôles de l'approximant AAK, on constate
que dans des cas comme celui-ci, la convergence est en fait très
satisfaisante.
Cette technique est d'autant plus appréciable que le temps requis pour
le calcul est très faible : effectuer une décomposition en valeurs
singulières et un calcul de racines ne prend que quelques minutes pour un
opérateur de Hankel tronqué à l'ordre 100. Le deuxième avantage de
cette technique est que le temps de calcul ne dépend que de l'ordre de
troncature. De ce fait, obtenir l'approximant d'ordre 12 ne prend pas plus
de temps que celui d'ordre 2. Ceci n'est naturellement pas le cas pour
l'approximation L2 pour laquelle le nombre de paramètres pour la
méthode de Newton croît avec le degré de l'approximant.
Or dès lors que le degré dépasse un seuil (parfois de l'ordre de 7ou 8), au delà duquel la distance de la fonction échantillonée
aux approximants pourraient devenir plus petite que la précision des
mesures, l'algorithme peut alors rencontrer de nombreux minima locaux,
ce qui entraîne une importante augmentation du temps d'itération
à l'algorithme de quasi-Newton (on a pu constater jusqu'à plusieurs
jours de calcul dans certains cas).
Toutefois, l'absence de critère explicite ne permet pas de prévoir
de tels cas.
En revanche, le calcul de l'approximant AAK, grâce à son expression
explicite, s'effectue en quelques minutes. Toutefois, celui-ci souffre
de certains défauts par rapport à son homologue.
Si nos expériences se montrent optimistes pour les flux et les
fissures que nous étudions, il convient de garder à l'esprit que
la convergence des pôles AAK n'est pas ``aussi indépendante'' de Nque celle des pôles L2. Et il peut se trouver des cas où la
vitesse de convergence de l'argument du facteur extérieur wN ne sera
pas assez satisfaisante. Disposer de l'approximation L2 dans ce genre
de cas est donc un atout indéniable.
La seconde question que l'on peut se poser est la robustesse de ces approximants
face aux inévitables bruits de mesure.
C'est le point que nous examinons dans ce qui suit.
Après avoir abordé le problème de la continuité et constaté que la convergence paraît concluante pour des flux suffisamment réguliers, le problème suivant est celui de la sensibilité au bruit de nos méthodes d'approximation.
A cet égard, le principe même de la méthode
semble
poser un premier problème, en ce sens que si une mesure induit une
erreur
,
l'usage de la norme
va induire pour
l'approximant une obligation de ``reproduire'' l'oscillation qui en
résulte, ce qui peut entrainer une perturbation importante pour un
bruit ne portant que sur quelques mesures. En fait, on peut même
facilement comprendre que dès que la valeur singulière devient
plus petite que le bruit
,
se rapprocher des mesures reviendrait
à s'éloigner de la vraie fonction f.
Pour vérifier ceci, reprenons l'expérimentation décrite
en 4.4.3. Nous allons bruiter celles-ci en ajoutant à la
valeur
mesurée une valeur
ou
est un bruit uniformément réparti variant entre
- 10-4 et 10-4.
Comme on le constate sur la figure 4.9, ce bruit, bien que
de faible amplitude, altère assez sérieusement les résultats.
Ceci s'explique aisément en observant les valeurs singulières de
l'opérateur de Hankel associé :
N | sN |
0 | 0,185645 |
1 | 0,0171326 |
2 | 0,00158287 |
3 | 0,000147721 |
4 | 4,81881.10-5 |
5 | 4,42816.10-5 |
Comme on le voit, les valeurs singulières atteignent l'ordre de grandeur
du bruit dès l'ordre d'approximation N=4.
De ce fait, il apparaît que l'on ne peut dépasser le degré 3 ou 4.
La figure 4.10 illustre ce qui se passe pour le degré 4 où
l'on remarque un éloignement de la géodésique, et pour les degrés
supérieurs où les ``nouveaux'' pôles ne donnent manifestement plus la
moindre information pertinente.
On peut espérer un meilleur comportement de l'approximant L2 dans la
mesure où ce dernier cas tolère mieux les erreurs de type ``oscillatoires''
(en considérant qu'elle sont équiréparties autour de zéro, leur
norme L2 sera petite).
Le deuxième point que nous souhaitons souligner concerne la manière dont
l'approximation AAK peut permettre d'initialiser l'approximation L2 afin
de réduire le temps de calcul des pôles par l'algorithme itératif.
Ainsi, on peut d'ores et déjà considérer un canevas d'identification où l'approximation AAK fournirait en un temps très court des points de départ pour localiser la fissure, ceux-ci initialisant un algorithme L2 avant de passer à des méthodes de résoltion du problèmes direct initialisées par ces premières informations.
Les résultats qui ont été présentés ici considèrent que la fissure est un arc de Jordan lisse entre deux points qui agissent pour f comme des points de branchement d'une fonction multivaluée. Dans ce cas, nous avons vu que le lieu d'accumulation des pôles est l'arc géodésique qui les relie l'un à l'autre (les rayons du disque en sont le cas limite).
A présent, la question qui reste à déterminer est celle de savoir ce que représente de manière générale l'arc géodésique et comment nos résultats pourraient se généraliser au cas où la fissure n'est plus un arc lisse entre deux points, mais une succession d'arcs entre p points.
En fait, on dispose déjà pour cette question d'éléments de réponse
assez prometteurs. On peut en effet remarquer que l'arc géodésique
entre deux points
et
est aussi le contour qui minimise
la capacité du condensateur formé par le couple
où
désigne une courbe continue entre
et
.
Ce lien entre la capacité d'un condensateur et l'accumulation des pôles
est renforcé par un résultat que nous présentons dans le
rapport [14] dans lequel nous montrons à l'aide de la relation
d'orthogonalité que la répartition asymptotique des pôles converge au
sens faible-* vers la distribution des charges à l'équilibre du condensateur
.
Ce résultat est aussi généralisé au cas des approximants Lp, pour
,
dans [18].
Ainsi, on peut assez logiquement envisager que nos résultats puissent
se généraliser sous la forme d'une convergence faible-* des pôles
vers le contour minimisant la capacité
du condensateur qui serait composé de
d'une part et d'un contour
joignant les différents points de rupture d'analyticité.
Par ailleurs, le cas d'un contour joignant plusieurs points de branchement
est le cas général d'un fissure polynômiale comme le montre la preuve
du théorème 15 lorsque le relèvement de P rencontre des
points critiques.
Naturellement, une telle conjecture se prête volontiers à quelques
premiers tests numériques. Comme on le voit sur la figure 4.12,
pour le cas de trois puis quatre points de rupture, les résultats de
nos expérimentations abondent dans ce même sens, ce qui laisse présager
de manière optimiste d'une généralisation prochaine de nos résultats.
[Cas où p=3 (AAK avec 10 pôles)]
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