Par anglais élizabéthain, nous entendons l´anglais parlé à l´époque de la reine Elisabeth I (c´est-à-dire entre le XVe et le XVIe siècle).
En plus du corpus (Kroch, Santorini, Delfs (2004)), nous étudions deux pièces de Shakespeare. La première tragédie – Roméo et Juliette (R&J) – a été écrite entre 1594 et 1597 (début de la production littéraire de Shakespeare), la seconde – Othello (Oth) – entre 1601 et 1608 (fin de sa production littéraire). Quant à la traduction, nous nous réfèrerons aux éditions de la Pléiade (Shakespeare (2002)).
Dans le chapitre précédent, nous avons vu que la langue de Chaucer (MA tardif) s´était morphologiquement appauvrie, mais que l´on trouvait encore des formes fléchies des verbes modaux (sg2 et pl2 du présent). Nous avons aussi vu qu´il existait deux têtes fonctionnelles : vModal, pour les modaux déontiques, et Mode pour les modaux épistémiques. Dans les deux cas, les verbes modaux sont des verbes de montée.
C´est aussi à cette époque qu´apparaissent les formes contractées de certains verbes modaux, comme WILL, WOULD, SHALL et SHOULD, ainsi que le DO vide et la contraction de la négation.
Quelle est désormais la situation des verbes modaux en anglais élisabéthain (AE) ?
Rappelons d´abord la syntaxe des verbes modaux à la période moyen-anglaise. Nous avons affaire à deux structures syntaxiques, qui sont intimement liées à la modalité : nous avons soit une lecture épistémique, soit une lecture déontique. Pour les lectures déontiques, nous avons la structure suivante :
où le verbe modal est généré sous vModal et fusionne totalement à T (au niveau du composant morphologique) et est gouverné par vModal. Quant au sujet, il est généré sous Spec,vP et monte à Spec,TP, où il satisfait les traits ϕ de T. Le processus de grammaticalisation s´est mis en place (et nous allons voir que ce n´est pas étranger au fait que nous trouvons, de plus en plus, la contraction de certains modaux ainsi que celle de la négation sur les modaux).
Si un modal a une lecture épistémique, sa structure est alors la suivante,
où le modal est généré sous T, mais il est gouverné par Mode pour satisfaire son trait [-déont] et son trait de temps, et, comme dans la structure précédente, le sujet est généré sous Spec,vP, monte à Spec,TP et satisfait ses traits ϕ avec T.
En MA, nous n´avions pas trouvé d´occurrences de formes contractées de verbes modaux, comme c´est désormais le cas en anglais elisabéthain.
Si l´on regarde maintenant les différentes occurrences dans le corpus, nous remarquons que, comme pour le moyen-anglais, l´anglais élisabéthain présente encore des formes fléchies de verbes modaux, mais seulement à la seconde personne du singulier (thou, le « tu » français).
Farewell, thou canst not teach me to forget.
Adieu, tu ne peux pas m´apprendre à oublier. (R&J I,1 231)
Dost thou love me ? I know thou wilt say « Ay »,/ And I will take the word ; yet if thou swear´st,/ Thou mayst prove false : at lovers perjuries,/ They say Jove laughs.
M´aimes-tu ? Je sais que tu vas dire « oui »,/ Et je te prendrais au mot ; pourtant, si tu jures,/ Tu peux te montrer faux : des parjures des amants,/ On dit que rit Jupiter. (R&J II,1 132-5)
Thou desirest me to stop in my tale against the hair./ Thou wouldst else have made thy tale large.
Tu veux qu´à rebrousse-poil je coupe la queue de mon histoire./ Oui, sinon ça t´aurait fait une queue à n´en plus finir. (R&J II,3 86-7)
I do protest I never injuri´d thee,/ But love thee better than thou canst devise,/ Till thou shalt know the reason of my love ;
Je proteste que je ne t´ai jamais fait d´affront,/ Mais que je t´aime plus que tu ne peux l´imaginer,/ Tant que tu ne sauras pas la raison de mon amour ; (R&J III,1 66-8)
That thou, Iago, who hast my purse,/ As if the strings were thine, shouldst know of this.
Que toi, Iago, qui tenais les cordons de ma bourse/ Comme si elle t´appartenait, tu aies été au courant. (Oth I,1 2-3)
O heavy ignorance, thou praisest the worst best ! But what praise couldst thou bestow on a deserving woman indeed ?
Oh ! Lourde ignorance, la pire est celle que tu vantes le mieux ! Mais quel éloge pourrais-tu accorder à une femme de vrai mérite ? (Oth II,1 142-3)
Ces mêmes flexions sont présentes lorsqu´il s´agit des formes lexicales des verbes modaux (note: ➳),
Shall ever medicine thee to that sweet sleep/ Which thou owedst yesterday.
Ne te rendront jamais ce délicieux sommeil/ Que tu goûtais encore hier. (Oth III,3 336-7)
Therefore stay yet, thou need´st not to be gone.
Aussi reste encore ; tu n´as besoin de partir. (R&J III,5 16)
And, if thou dar´st, I´ll give thee remedy.
Et, si tu l´oses, je te donnerai le remède. (R&J IV,1 76)
Un peu plus loin dans notre travail, nous allons voir que la position syntaxique des verbes modaux, et de ces mêmes verbes employés lexicalement, est différente, comme nous l´avons souligné dans les deux précédents chapitres.
On retrouve aussi des structures CP-V2 chez Shakespeare, en grande majorité avec les formes lexicales des verbes modaux (comme dans l´exemple (465)),
What, dares the slave/ Come hither, cover´d with an antique face,/ To fleer and scorn at our solemnity ?
Quoi ! cet esclave ose/ Venir ici, sous un masque grotesque,/ Railler et narguer notre célébration ? (R&J I,4 165-7)
What, are you busy, ho ? Need you my help ?
Ah, vous êtes occupées, hein ? Avez-vous besoin de mon aide ? (R&J IV,3 6)
Wert thou as young as I, Juliet thy love,/ An hour but married, Tybalt murdered,/ Doting like me, and like me banished,/ Then mightst thou speak,/ Then mightst thou tear thy hair ;/ And fall upon the ground as I do now,/ Taking the measure of an unmade grave.
Serais-tu jeune comme moi, amoureux de Juliette,/ Marié depuis une heure à peine, Tybalt assassiné,/ Eperdu comme moi, et comme moi banni,/ Alors tu pourrais parler, alors tu pourrais t´arracher les cheveux,/ Et te jeter à terre, comme je le fais à présent,/ Pour prendre la mesure d´une tombe à creuser. (R&J III,3 65-70)
My husband ?/ What needs this iteration ? Woman, I say thy husband.
Mon mari ?/ A quoi rime cette répétition ? Femme, je dis ton mari. (Oth V,2 152-3)
On trouve aussi des occurrences où les modaux sont encore employés lexicalement,
I would not for the world they saw thee there.
Je ne voudrais pas pour le monde entier qu´ils te voient ici. (R&J II,1 116)
Nay, he will answer the letter´s master, how he dares, being dared.
Non, il répondra à l´auteur de la lettre qui le défie, étant défié. (R&J II,3 11-2)
I have more care to stay than will to go./ Come, death, and welcome, Juliet wills it so.
Je me soucie plus de rester que de partir./ Viens, mort, et sois la bienvenue, Juliette le veut ainsi. (R&J III,5 23-4)
Come hither, gentle mistress :/ Do you perceive in all this noble company,/ Where most you owe obedience ?
Venez ici, douce demoiselle :/ Distinguez-vous dans toute cette noble compagnie/ A qui vous devez le plus obéissance ? (Oth I,3 165-7)
Be it as you shall privately determine,/ Either for stay or going, the affairs cry haste,/ And speed must answer, you must hence tonight.
Qu´il en soit comme vous le déciderez entre vous,/ Qu´elle reste ou qu´elle parte, nos affaires crient urgence,/ Et la rapidité doit leur répondre, vous devez partir cette nuit. (Oth I,3 260-3)
I durst, my lord, to wager she is honest, /Lay down my soul at stake : if you think other,/ Remove your thought, it doth abuse your bosom.
J´oserais, mon seigneur, parier qu´elle est honnête,/ Placer mon âme comme enjeu ; si vous pensez autre chose,/ Arrachez votre pensée, elle abuse votre cœur. (Oth IV,2 12-4)
My lord, I would I might entreat your honour/ To scan this thing no farther, leave it to time ;
Mon seigneur, je voudrais supplier Votre Honneur/ De ne pas scruter la chose plus attentivement, laissez faire le temps ; (Oth III,3 248-9)
Cependant, à la différence du MA, on trouve des formes nouvelles en anglais élisabéthain, parmi lesquelles les formes contractées des verbes modaux (qui rendent compte du processus de grammaticalisation des modaux : ce sont désormais des têtes fonctionnelles qui peuvent être considérées, lorsqu´elles sont contractées, comme des clitiques en Morphologie Distribuée ; elles peuvent ainsi fusionner avec le sujet qui va les « porter »).
Go waken Juliet, go and trim her up,/ I´ll go and chat with Paris.
Va réveiller Juliette, va et aide-la à se préparer./ Je vais bavarder avec Pâris. (R&J IV,4 24-5)
And then to have a wretched puling fool,/ A whinning mammet, in her fortune´s tender,/ To answer, « I´ll not wed, I cannot love,/ I am too young, I pray you pardon me ! »
Voilà qu´une misérable sotte pleurnicharde,/ Une marionnette geignarde, devant l´offre de la Fortune,/ Vous répond : « Je ne veux pas me marier, je ne peux pas aimer,/ Je suis trop jeune, je vous prie de me pardonner ! » (R&J III,5 185-8)
This cannot anger him ; ´twould anger him/ To raise a spirit in his mistress´ circle/ Of some strange nature, letting it there stand/ Till she had laid it and conjur´d it down ;
Ceci ne peut pas l´irriter. Ce qui l´irriterait,/ Ce serait de faire surgir dans le cercle de sa maîtresse/ Un démon d´une nature étrangère, le laissant là dressé/ Jusqu´à ce qu´elle l´ait couché bas et que sa magie l´ait mis sur le flanc ; (R&J II,1 23-6)
No, ´tis not so deep as a well, nor so wide as a church door, but ´tis enough, ´twill serve : ask for me tomorrow, and you shall find me a grave man.
Non, elle n´est pas aussi profonde qu´un puits, ni aussi large qu´un porche d´église, mais elle est suffisante, elle fera l´affaire : demandez à me voir demain et vous me trouverez rigide. (R&J III,1 93-5)
But still the house affairs would draw her thence,/ And ever as she could with haste dispatch,/ She´ld come again, and with a greedy ear/ Devour up my discourse ;
Mais toujours, les affaires de la maison l´éloignaient,/ Et chaque fois, les dépêchant au plus vite,/ Elle revenait, et d´une oreille gourmande/ Dévorait mon discours ; (Oth I,3 134-7)
He told me, he´d have nothing to do with it,
Il m´a dit qu´il n´aurait rien à voir avec cela, (LISLE-E3-P1,4,109.205)
Were I but sure of that, I´d quickly lay my Case before you.
Si j´étais sûr de cela, je vous exposerais rapidement mon cas. (VANBR-E3-P1,51.406)
Ces exemples sont intéressants pour trois raisons : 1) du fait qu´il y a contraction, la grammaticalisation est visible : en effet, s´il y a contraction du modal, cela implique que le modal est désormais une tête fonctionnelle, et qu´elle peut fusionner morphologiquement avec la tête nominale du sujet contiguë, 2) il est intéressant de noter que seul WILL a déjà la forme contractée que nous lui connaissons en anglais contemporain ; en ce qui concerne WOULD, les données sont différentes puisque nous trouvons plusieurs types de contractions, et 3) dans certains exemples, ce n´est plus la contraction du modal qui devient un morphème lié, mais le pronom sujet.
Dès la fin de la période moyen-anglaise, nous avons vu qu´il ne subsistait que deux formes pour les verbes modaux : une forme présente et une forme passée. Dans le tableau qui suit, nous rappelons les modaux du MA, ainsi que ceux de l´anglais élisabéthain (AE).
ANGLAIS ELISABETHAIN | ||
MOYEN-ANGLAIS | PRESENT | PASSE |
WITEN | - | - |
OWE (a) | - | - |
DUGEN | - | - |
UNNEN | - | - |
CUNNEN | CAN | COULD |
ÐURFEN (b) | - | - |
DURREN | DARE | - |
MON | - | - |
SCULEN | SHALL | SHOULD |
MOTEN | MUST | - |
MAGEN | MAY | MIGHT |
WILLEN | WILL | WOULD |
[NIEDAN-NEADIAN (c)] | NEED | - |
Notes : (a) Nous référons le lecteur aux annexes. (b) Idem. (c) Ces deux verbes lexicaux ont donné « naissance » tant au verbe lexical qu´au verbe modal NEED. Voir www.celineromero.com pour une version téléchargeable d´un article sur ce sujet.
Ce tableau nous permet de remarquer les choses suivantes :
1. La classe des perfecto-présents s´est réduite, et nous avons désormais la classe des verbes modaux ; certains de ses membres ont disparu : c´est le cas de WITEN, « savoir », DUGEN "être utile", UNNEN « accorder », MON « se souvenir » et ÐURFEN « avoir besoin de, être nécessaire ». Pour WITEN, on peut encore trouver quelques occurrences, mais en tant que verbe lexical.
Full well I wot the ground of all this grudge.
Je connais, et fort bien, la clé de toute cette rancœur. (Titus Andronicus II,1 48)
Ah, Marcus, Marcus, brother, well I wot/ Thy napkin cannot drink a tear of mine,
Ah ! Marcus, Marcus, frère, je le sais,/ Ton mouchoir ne peut boire une seule de mes larmes, (Titus Andronicus III,1 139-40)
Quant à ÐURFEN, il a été remplacé par NEED.
2. En AE, DURREN n´a plus qu´une forme présente ; dès qu´il a une forme passée, il est lexical.
I durst, my lord, to wager, she is honest,
J´oserais, mon seigneur, parier qu´elle est honnête, (Oth IV,2 12)
Ce sera la même chose pour OWE : nous trouvons des formes présentes et passées du verbe lexical, ainsi que des occurrences où il est employé modalement.
Do you perceive in all this noble company,/ Where most you owe obedience ?
Distinguez-vous dans toute cette noble compagnie,/ A qui vous devez le plus obéissance ? (Oth I,3 166-7)
Look where he comes : not poppy, not mandragore,/ Nor all the drowsy syrups of the world/ Shall ever medicine thee to that sweet sleep/ Which thou owedst yesterday.
Le voici qui vient : ni le pavot, ni la mandragore,/ Ni tous les philtres narcotiques du monde/ Ne te rendront jamais ce délicieux sommeil/ Que tu goûtais encore hier. (Oth III,3 334-7)
and greatest authoritie to amend it, as good and wise magistrates ought to do
et la plus grande autorité de la modifier, comme les bons et sages magistrats doivent le faire (ASCH-E1-P1,8R.114)
yee also ought to wash one anothers feete.
vous devrez aussi vous laver mutuellement les pieds. (AUTHNEW-E2-P1,XIII,1J. 181)
you ought to pay some respect to this stranger...
vous devez présentez votre respect à cet étranger... (BEHN-E3-H,189.155)
3. MOTEN n´a, dans une grande majorité, plus qu´une forme en AE : morphologiquement, c´est une forme passée, mais grammaticalement, c´est un présent. Pour beaucoup d´entre eux, nous aurions pu avoir OUGHT TO.
moste nedes be doone, with thy charte...
cela doit être nécessairement fait grâce à ta charte... (FITZH-E1-P2,29.78)
Simon, thou moste suffer as well as I myselfe ;
Simon, tu dois souffrir comme j´ai moi-même souffert ; (FORMAN-E2-H,10.220)
The father of heauen mote strenght thy frailtie, my good daughter and the frayltie of thy fraile father too.
ma chère fille, Dieu doit renforcer ta fragilité et aussi celle de ton père. (MORELET2-E1-H,545.81)
4. Nous n´avons trouvé qu´un exemple du verbe MON,
none of your servants shall not pas the dowers, but they mon be trobled...
aucun de tes serviteurs ne devra traverser les douves, mais ils se souviendront de leurs inquiétudes... (APLUMPT-E1-H,186.103)
5. Ce que nous remarquons enfin, c´est l´absence de forme infinitive en AE et l´uniformisation des formes passées de CAN, SHALL et WILL.
Par rapport au VA et au MA, le sens des modaux a changé. Ce changement de sens semble aller de pair avec le changement de statut de ces verbes, et le fait qu´ils deviennent grammaticaux. Ainsi,
MAY avait un sens très proche de CAN. Il signifiait « avoir la possibilité, la capacité, la permission de ». En AE, MAY va garder le sens de permission et de possibilité, mais c´est CAN qui va désormais avoir le sens de capacité physique, alors qu´en VA et MA, il se référait à la connaissance, à la capacité acquise.
MUST avait le sens « avoir la permission, la possibilité de » en VA, mais aussi « devoir ». A la fin du MA, il a définitivement pris le sens de « devoir, avoir l´obligation de », sens qu´il a gardé en AE.
OUGHT, en VA et MA, avait le sens « avoir, posséder » : ce sont les verbes lexicaux owe, own qui vont garder ce sens, alors que le (semi-)modal OUGHT va désormais vouloir dire « avoir l´obligation de ». C´est le seul verbe modal qui se construise avec TO.
le perfecto-présent MON n´est plus utilisé en AE ; il en est de même avec WITEN : on le rencontre encore sous sa forme lexicale, mais il n´est pas devenu un verbe modal (on le rencontre maintenant sous ses formes nominales et adjectivales).
NEED, DARE et WILL sont les seuls modaux à avoir deux statuts : ils sont soit des verbes modaux, soit des verbes lexicaux (la proposition infinitive est alors introduite par TO). Concernant NEED, sa forme morphologique est celle des verbes lexicaux NIEDAN, NEADIAN. Le perfecto-présent du VA ÐURFAN et celui du MA ÐURFEN n´existent plus.
Nous avons rappelé, en début de chapitre, les structures des modaux que nous trouvions en MA. A l´aide d´exemples, regardons ce qu´est désormais leur structure syntaxique (pour le moment, sans faire aucune distinction entre modaux épistémiques et modaux radicaux).
Les exemples qui suivent comportent des formes contractées.
they´d think surely we kept a bawdy house...
ils penseraient sûrement que nous avons tenu une maison de passes... (PENNY-E3-H,117.66)
you´d be laught at soundly,
on se moquera de toi haut et fort, (MIDDLET-E2-P1,36.453)
I´ll give thee twenty for it.
pour cela, je t´en donnerai vingt. (ARMIN-E2-H,46.423)
we´ll drink his Health.
nous boirons à sa santé. (FARQUHAR-E3-H,3.99)
Tous ces exemples comportent le modal WILL, forme présente ou passée. Désormais, les modaux sont directement générés sous T, puisque ils fusionnent morphologiquement avec le sujet. Ils sont devenus des items grammaticaux, c´est-à-dire des têtes fonctionnelles (puisqu´il y a fusion morphologique, selon la Morphologie Distribuée [N-T]).
´twill be with less relucktancy then ever I did in my life.
ce sera moins fait à contrecœur que je n´ai jamais pu le faire dans ma vie. (ANHATT-ON-E3-H,2,212.14)
´twill be more like Oroonoko to encounter him at an army´s head...
cela ressemblera plus à Oronoko de le rencontrer à la tête d´une armée... (BEHN-E3-P2,176.96)
´Twou´d be hard to guess which of these Parties is the better pleas´d,
Il serait difficile de deviner laquelle de ces parties est la plus contente, (FARQUHAR-E3-P1,72.800)
´twill doe the childe noe harme...
cela ne fera aucun mal à l´enfant... (LOCKE-E3-P1,42.175)
´Twould be a Iest through the whole Vniuersitie,
Ce serait une plaisanterie qui ferait le tour de toute l´université, (MIDDLET-E2-P1,36.455)
´twould have sav´d you many a Tear.
cela t´aurait évité bien des larmes. (VANBR-E3-P1,45.205)
Mais ce second type de contraction n´est pas seulement propre aux modaux WILL et WOULD, mais aussi à l´auxiliaire BE : le pronom sujet it fusionne sur ces formes verbales (ou bien, dans certains contextes (lorsqu´il est objet, par exemple), devient un morphème libre (i.e non lié) – ´t). Ces différentes contractions nous confirment que les modaux sont des items grammaticaux générés sous T.
Ainsi, les exemples (496) (structure (503)) et (500) (structure (504)) ont les structures suivantes,
Nous n´irons pas plus loin dans l´analyse du pronom contracté, ce sera sujet à des recherches ultérieures.
Il est intéressant de noter est que le recours au DO-vide ne s´est pas encore généralisé : nous avons encore des impératifs négatifs sans DO, des verbes finis suivis de la négation not sans que celle-ci soit portée par DO, et des questions négatives sans DO, mais nous trouvons déjà l´utilisation du DO emphatique, et du DO porteur du temps et de la contraction de la négation.
Doth she not think me an old murderer,
Ne pense-t-elle pas que je suis un assassin endurci, (R&J III,3 93)
what doeth hinder me to be baptized ?
Qu´est-ce qui m´empêche de me faire baptiser ? (AUTHNEW-E2-P2,VIII,20A.308)
What doth it import then... ?
En quoi est-ce alors important... ? (BOETHPR-E3-P1,55.330)
And yet no man like he, doth grieve my heart.
Et pourtant aucun homme autant que lui n´afflige mon cœur. (R&J III,5 84)
Thou told´st me,/ Thou didst hold him in thy hate.
Tu m´avais dit que tu le tenais en haine. (Oth I,1 7)
because they can refuse a Man they don´t like, when they have got one they do.
car ils ne peuvent refuser un homme qu´il n´aime pas quand ils en ont un qu´ils aiment. (VANBR-E3-P1,55.544)
You shall not write my praise./ No, let me not.
Je ne vous demanderais pas d´écrire mon éloge./ Veuillez m´en dispenser. (Oth II,1 116)
I speak not yet of proof :/ Look to your wife, observe her well with Cassio ;
je ne parle pas encore de preuve :/ Surveillez votre femme, observez-la bien avec Cassio ; (Oth III,3 200-1)
Dans les exemples où nous trouvons DO, la position syntaxique de ce constituant est la même que celle des modaux : il est généré sous T, puisqu´il porte le temps et le morphème contracté de la négation. L´utilisation de ce DO vide implique que le verbe ne monte plus à T (de fusion totale, nous sommes passés à fusion partielle, en terme de Morphologie Distribuée). Dans les phrases affirmatives, le Saut de l´Affixe se met en place.
not any in the court durst but haue sought him, which this man did,
peu à la cour n´a osé le chercher, ce que cet homme a fait, (ARMIN-E2-H,43.282)
At last out comes William with his wit, as the foole of the play does, ...
William le spirituel parut enfin, comme le fait le bouffon dans une pièce, ... (ARMIN-E2-H,45.367)
and yet they cary many tymes, as good and costlie ware, as greater vessels do.
et pourtant ils transportent des marchandises de prix, comme le font de plus grands vaisseaux. (ASCH-E1-H,20R.120)
Wilt thou kill me, as thou diddest the Egyptian yesterday ?
Me tueras-tu, comme tu as tué l´Egyptien hier ? (AUTHNEW-E2-P2,VII,20A.124)
Ce dernier exemple a la structure suivante,
Nous trouvons des structures identiques pour les modaux, ce qui nous indique qu´ils ont la même position syntaxique, et que ce sont des items grammaticaux.
And what should I doe ?
et que devrais-je faire ? (ARMIN-E2-H,44.345)
Canst thou change mee a crowne ?
Peux-tu me faire la monnaie sur une couronne ? (ARMIN-E2-P1,19.143)
and wilt thou reare it vp in three dayes ?
et le dresseras-tu en trois jours ? (AUTHNEW-E2-H,II,20J.219)
and to give him all the satisfaction I possibly could :
et lui donner toute la satisfaction que je pouvais : (BEHN-E3-H,192.205)
they desyre naturally to lyue as longe as they may.
il est naturel qu´ils désirent vivre aussi longtemps que possible. (BOETHCO-E1-H,81.514)
La structure des exemples (507) et (518) est alors la même, avec un mouvement de T à C.
Nous venons donc d´illustrer le fait que les modaux et le DO-vide ont la même structure syntaxique. Cependant, nous n´irons pas plus loin dans l´analyse de ce dernier.
Les deux exemples qui vont suivre (dont l´un possède un modal employé lexicalement) sont des occurrences d´une structure CP-V2, encore usitées en anglais élisabéthain (mais il y en a beaucoup d´autres). Cependant, nous ne trouvons ces structures qu´avec des verbes lexicaux, comme WILL, NEED et DARE. Cet état de fait prouve que les verbes lexicaux, à cette période donnée, peuvent encore (mais dans une moindre mesure) être des verbes forts : ils peuvent monter à T, puis à C. L´absence des verbes modaux dans ce type de structure (*Can he the book ?) montre que ce sont des items grammaticaux et qu´ils ne sont pas l´événement, l´action, ils y participent (ou plus exactement, ils participent, en tant qu´opérateurs, à l´évaluation de la proposition en terme de vérité).
My husband ?/ What needs this iteration ? Woman, I say thy husband.
Mon mari ?/ A quoi rime cette répétition ? Femme, je dis ton mari. (Oth V,2 152-3)
What said she to you ?
Que vous a-t-elle dit ? (Oth I,1 148)
Ce dernier exemple a la structure suivante,
A la période élisabéthaine, puisque les verbes lexicaux ont encore tendance à être forts (même si ce n´est pas vrai dans tous les cas), il peut encore y avoir mouvement de V à T à C.
Au vu des exemples précédents, nous pouvons donc affirmer qu´il existe encore une compétition syntaxique entre les structures V2, et les structures SVO. Mais cette compétition n´est plus valable pour les verbes modaux.
Qu´en est-il maintenant des formes fléchies que nous rencontrons encore ? Comment doit-on les appréhender ?
Mis à part les marques du présent et du passé, les verbes lexicaux et les verbes modaux peuvent avoir une marque de la 2e personne du singulier, au présent comme au prétérit, et il n´existe pas de différence entre les verbes modaux et les verbes lexicaux. C´est le « tu » français qui est traduit par cet usage. Morphologiquement, ces formes sont identiques à celles que nous rencontrions en VA et MA, sauf sur un point : il n´y a plus d´alternance vocalique à prendre en compte. Nous ne considérons plus le statut de la racine des différents modaux (note: ➳) comme un verbe, mais comme un des morphèmes constituant un paradigme. Ainsi, la structure
devient, en anglais élisabéthain, pour le présent et le prétérit.
devient, en anglais élisabéthain, pour le présent et le prétérit.
Le fait qu´il y a une marque de personne ne change pas la position syntaxique des modaux.
En AE, la négation principale devient not, et elle suit directement le modal.
I hate the Moor,/ And ´tis thought abroad that ´twixt my sheets/ H´as done my office ; I know not if´t be true...
Je hais le Maure,/ Et on pense de par ce monde qu´entre mes draps/ Il a rempli ma charge ; je ne sais pas si c´est vrai... (Oth I,3 365-7)
Saints do not move, though grant for prayer´s sake./ Then move not my prayer´s effect I take,/ Thus from my lips, by thine my sin is purg´d.
Les saints ne bougent pas, exauçant les prières./ Ne bouge pas, je prends l´objet de ma prière./ De mes lèvres, tes lèvres ont lavé le péché. (R&J I,4 215-7)
Doth she not think me an old murderer,
Ne pense-t-elle pas que je suis un assassin endurci, (R&J III,3 93)
En MA, nous n´avions pas trouvé d´exemples de contraction de la négation et de sa fusion sur les modaux, ou sur le DO-vide. Ce n´est plus le cas en anglais élisabéthain : la négation ´nt se rencontre sur pratiquement tous les modaux, mais sur une seule occurrence de DO (c´est l´exemple (510), que nous rappelons ici).
because they can refuse a Man they don´t like, when they have got one they do.
car ils ne peuvent refuser un homme qu´il n´aime pas quand ils en ont un qu´ils aiment. (VANBR-E3-P1,55.544)
a good one can´t cost les then 60 pound.
une bonne perruque ne peut coûter moins de soixante livres. (ALHATTON-E3-H,2,241.19)
Men won´t own it for their Opinion...
Les hommes ne le possèderont pas par leur opinion... (FARQUHAR-E3-H,4.164)
I shan´t be home till it be late.
Je ne rentrerai pas à la maison avant qu´il ne fasse noir. (FARQUHAR-E3-P2,35.650)
she mayn´t see who is her Husband´s Mistress.
il se peut qu´elle ne sache pas qui est la maîtresse de son mari. (VANBR-E3-P1,54.519)
Au vu des ces exemples, nous remarquons que la position de la négation en EA est identique à celle du MA,
Regardons maintenant quelques exemples. Nous en analysons trois : un exemple avec MD + NOT (exemple (539)), un autre avec la fusion de NOT à CAN (exemple (540)), et un dernier exemple qui est une question (exemple (545)).
I would not follow him then.
Mais, dans ces conditions, je ne le servirais pas. (Oth I,1 40)
We cannot be all masters, nor all masters/ Cannot be truly follow´d.
Nous ne pouvons tous être les maîtres, et tous les maîtres/ Ne peuvent être loyalement servis. (Oth I,1 43-4)
It is as sure as you are Roderigo,/ Were I the Moor, I would not be Iago.
Aussi vrai que vous êtes Roderigo,/ Si j´étais le Maure je ne voudrais pas être Iago. (Oth I,1 56-7)
Zounds, sir, you are one of those that will not serve God, if the devil bid you.
Sangdieu, monsieur, vous êtes de ces gens qui refuseraient de servir Dieu, si le diable vous en priait. (Oth I,1 108-9)
He that is strucken blind cannot forget/ The precious treasure of his eyesight lost.
Celui qui est frappé de cécité ne peut pas oublier/ Le précieux trésor de sa vue perdue. (R&J I,2 226-7)
I dare not say he lies any where.
Je n´ose pas dire qu´il est chambré quelque part. (Oth III,4 2)
To be call´d whore ? Would it not make one weep ?
Pour s´entendre appeler putain ? N´y a-t-il pas là de quoi pleurer ? (Oth IV,2 124)
The slip sir, the slip, can you not conceive ?
Vous nous avez faussé compagnie, monsieur, faussé compagnie. Vous ne comprenez pas ? (R&J II,3 58)
La structure de (539), maintenant (547.a), est,
I would not follow him then.
Mais, dans ces conditions, je ne le servirais pas. (Oth I,1 40)
Celle de (540), maintenant (548.a), est,
We cannot be all masters, nor all masters/ Cannot be truly follow´d.
Nous ne pouvons tous être les maîtres, et tous les maîtres/ Ne peuvent être loyalement servis. (Oth I,1 43-4)
Celle de (545), maintenant (549.a), est,
To be call´d whore ? Would it not make one weep ?
Pour s´entendre appeler putain ? N´y a-t-il pas là de quoi pleurer ? (Oth IV,2 124)
Mais, nous trouvons aussi des exemples dans lesquels not ne suit pas directement le modal, et la négation de phrase est différente.
Peace, you mumbling fool,/ Utter your gravity o´er a gossip´s bowl,/ For we need it not.
Taisez-vous, sotte radoteuse,/ Allez débiter vos graves propos en buvant avec vos commères,/ Car ici on n´en a rien à faire. (R&J III,5 174-6)
I neither know it, nor can I learn of him.
Je ne sais rien ni ne peut rien apprendre de lui. (R&J I,1 138)
Yet I persuade myself, to speak the truth,/ Shall nothing wrong him.
Mais, j´en suis persuadé, dire la vérité/ Ne lui nuira en rien. (Oth II,2 211-2)
Come go good Juliet, I dare no longer stay.
Viens, partons, bonne Juliette, je n´ose rester plus longtemps. (R&J V,3 159)
En MA, nous avions trouvé quelques exemples d´items à polarité négative (surtout à la période du MA tardif), ce qui impliquait que la concordance négative se faisait toujours avant cette période. Prenons quelques exemples en AE.
Thou wast never with me for anything when thou wast not there for the goose.
Tu n´as jamais été avec moi pour autre chose que pour courir l´oie. (R&J II,3 70-1)
marry, I would not do such a thing for a joint ring ; or for measures of lawn, nor for gowns, or petticoats, nor caps, nor any such exhibition ;
pardi, je ne ferais pas cette chose-là pour une bague, ou pour des coupons de linon, ni pour des robes ou des jupons, ni pour des chapeaux ou des cadeaux de cette sorte ; (Oth IV,3 43-5)
I will not againe curse the ground any more for mans sake.
je ne maudirai plus la terre pour l´amour des hommes. (AUTHOLD-E2-H,VIII,20G. 464)
there hath not beene since Christs time any King or temporall Monarch which hath ben so learned...
Depuis le temps où vivait le Christ, il n´existe pas de roi ni de monarque si savant... (BACON-E2-P1,1,2V.16)
and will not shew you any pleasure...
et ne te donnera aucun plaisir... (THOWARD2-E2-P1,1,94.423)
but he had not made any Conclusion in that Matter with her,
mais il n´avait tiré aucune conclusion de son affaire avec elle, (THOWARD2-E2-P1,1,97.556))
I do not remember any such Prophecy.
Je ne me souviens pas d´une telle prophétie. (THOWARD2-E2-P2,1,100.29)
Ces exemples prouvent que la concordance négative tend à disparaître en anglais élisabéthain : deux mots négatifs dans une même phrase n´expriment plus une seule négation, mais s´annulent mutuellement, d´où l´apparition des items à polarité négative comme any et ses composés. Quant au critère Neg, il s´applique toujours avec ces items à polarité négative.
Concernant les autres modaux, l´analyse est identique à celle faite dans les chapitres précédents : lorsqu´ils sont suivis d´un verbe non fini, celui-ci appartient à un VP, à la différence des verbes lexicaux qui ont soit un CP ou un TP comme complément. Quant aux verbes causatifs, ils ont désormais la même structure syntaxique que les verbes modaux : ils ont un VP pour complément, mais deviennent des verbes opérateurs générés sous v et non V. Ils se sont grammaticalisés (ils sont passés de verbes lexicaux, générés sous V, à des verbes semi-lexicaux, générés sous v).
Dans le chapitre précédent, nous avons souligné le fait que la disparition des formes fléchies des infinitifs et des formes subjonctives avait pour conséquence la grammaticalisation des modaux et l´absence d´adéquation entre forme morphologique et valeur passée de certains modaux, comme SHOULD, WOULD, COULD et MIGHT.
En anglais élisabéthain, cette différenciation entre morphologie et temps va s´accentuer : SHOULD, WOULD, COULD et MIGHT ont, le plus souvent, une valeur d´irréel. Le temps passé est de plus en plus fréquemment exprimé grâce à l´aspect perfectif, c´est-à-dire en utilisant HAVE + V + EN.
Comme dans le chapitre précédent, nous avons trouvé de plus en plus d´occurrences de la structure MD + HAVE + EN.
Dans tous ces exemples, c´est l´aspect perfectif qui exprime le temps passé de l´énoncé. La forme du modal, quant à lui, va exprimer le mode : [-irréel] lorsque la forme morphologique est présente, et [+irréel] lorsque la forme morphologique est passée (dans ce dernier cas, selon le contexte, la forme passé pourra avoir une valeur passée).
seeing them, she would have run in again.
en les voyant, elle se serait enfuie à nouveau. (BEHN-E3-H,189.153)
the most illustrious courts could not have produced a braver man,
les plus illustres cours n´auraient pu produire un homme plus courageux, (BEHN-E3-P1,153.91)
euin them that for loue of Justice among the Courtiers might haue saued me,
même eux auraient pu me sauver par amour de la justice parmi les courtisans, (BOETHEL-E2-P1,9.34)
I could easily enough have detected the Falseness of that Contrivance, even by the Confessions of my Accusers, which is of greatest Weight in all such Affairs if I might have been allowed to have made use of them.
Même par confessions de mes accusateurs, j´aurais assez facilement pu détecter la fausseté de cette machine qui est d´un plus grand poids dans de tels cas, si l´on avait pu me permettre d´utiliser ces confessions. (BOETHPR-E3-P1,23.67)
It is sayde that I wuld haue saued the senators.
Il est dit que j´aurais sauvé les sénateurs. (BOETHCO-E1-P1,20.47)
Ce dernier exemple a la structure que nous avons donnée dans le chapitre précédent (nous ne donnons pas la lecture du modal, mais nous donnerons le mode de celui-ci),
Dans ce type de structures MD + HAVE + EN, le trait [+perf] aura la valeur d´un trait [+past].
Malgré ce que nous venons de dire, les formes passées de CAN, SHALL, MAY et WILL peuvent encore avoir une valeur passée, avec un T [+past].
And since that time it is eleven years,/ For then she could stand high-lone. Nay, by th´rood,/ She could have run and waddled all about :
Et depuis ce temps-là il s´est passé onze ans,/ Car alors elle pouvait déjà se tenir debout toute seule. Mieux, par la Croix,/ Elle pouvait courir et se dandiner partout : (R&J I,3 37-9)
O, she knew well/ Thy love did read by rote, that could not spell.
Oh ! elle savait bien/ Que ton amour récitait par cœur et ne savait pas lire. (R&J II,2 87-8)
(...) the searchers of the town, (...) Seal´d up the doors, and would not let us forth,/ So that my speed to Mantua there was stay´d./ Who bare my letter then to Romeo ?/ I could not send it, here it is again,
... les inspecteurs de la ville, (...) Mirent les scellés sur la porte, et refusèrent de nous laisser sortir,/ Si bien que ma course vers Mantoue s´est arrêtée là./ Qui donc a porté ma lettre à Roméo ?/ Je n´ai pu l´envoyer – voici, je te la rends – (R&J V,3 8-14)
I think/ He told me Paris should have married Juliet./ Said he not so ?
Je pense/ Qu´il m´a dit que Pâris devait épouser Juliette. Ne me l´a-t-il pas dit ? (R&J V,3 77-9)
The Anthropophagi, and men whose heads/ Do grow beneath their shoulders : this to hear/ Would Desdemona seriously incline ;/ But still the house affairs would draw her thence,/ And ever as she could with haste dispatch,/ She´ld come again, and with a greedy ear/ Devour up my discourse ;
Les Anthropophages, et les hommes dont la tête/ Pousse sous les épaules : d´écouter ces récits/ Desdemona avait le profond désir ;/ Mais toujours, les affaires de la maison l´éloignaient,/ Et chaque fois, les dépêchant au plus vite,/ Elle revenait, et d´une oreille gourmande/ Dévorait mon discours ; (Oth I,3 131-7)
Yet surely Cassio, I believe, receiv´d,/ From him that fled, some strange indignity,/ Which patience could not pass.
Pourtant, à coup sûr, Cassio, je crois, a dû subir,/ De celui qui fuyait, quelque étrange affront,/ Que la patience ne pouvait supporter. (Oth II,3 233-4)
Comme nous venons de le voir, les formes passées des modaux peuvent avoir une valeur de passé (time et tense se rejoignent). Mais, comme nous l´avons souligné plus haut, les formes passées des verbes modaux sont de plus en plus souvent utilisées pour exprimer de l´irréel, et plus particulièrement le conditionnel. La tête qui rend compte de l´irréel est la tête Mode [+irréel]. Dans les phrases irréelles, le modal est généré sous T et il a un trait morphologique [+past]. Cependant, puisqu´il est gouverné par la tête Mode (c´est-à-dire en-dehors de la portée de T, dans le domaine de CP), il a un trait [+irréel]. Le temps, quant à lui, est « porté » par l´infinitif (présent I would come, et nous avons une conditionnel présent, ou passé I would have come, et nous avons un conditionnel passé).
Ainsi, lorsque nous avons la structure WOULD/SHOULD/COULD/MIGHT + V, le temps exprimé est un conditionnel présent, comme l´illustrent les exemples qui suivent :
O heavy ignorance, thou praisest the worst best ! But what praise couldst thou bestow on a deserving woman indeed ?
Oh ! lourde ignorance, ma pire est celle que tu vantes le mieux ! Mais quel éloge pourrais-tu accorder à une femme de vrai mérite ? (Oth II,1 142-3)
Wouldst thou do such a deed for all the world ?/ Why, would you not ?/ No, by this heavenly light./ Nor I neither, by this heavenly light,/ I might do it as well in the dark.
Ferais-tu un tel acte pour le monde entier ?/ Quoi, vous ne le feriez pas ?/ Non, par cette lumière du ciel./ Moi non plus, je ne le ferais pas par cette lumière du ciel,/ Je préfèrerais le faire dans le noir. (Oth IV,3 34-40)
Not tonight, good Iago ; I have very poor and unhappy brains for drinking : I could well wish courtesy would invent some other custom of entertainment.
Pas ce soir, bon Iago ; j´ai une très pauvre et très malheureuse cervelle pour la boisson : je voudrais bien que la courtoisie invente un autre rite de célébration. (Oth II,3 30-2)
Et lorsque nous avons la structure WOULD/SHOULD/MIGHT + HAVE + V + EN, le temps exprimé est du conditionnel passé.
Indeed I should have ask´d you that before.
En effet, j´aurais dû te demander cela avant. (R&J I,2 76)
That villain cousin would have kill´d my husband.
Ce perfide cousin aurait tué mon mari. (R&J III,2 101)
Thou desirest me to stop in my tale against the hair./ Thou wouldst else have made thy tale large.
Tu veux qu´à rebrousse-poil je coupe la queue de mon histoire./ Oui, sinon ça t´aurait fait une queue à n´en plus finir. (R&J II,3 86-7)
Were it my cue to fight, I should have known it/ Without a prompter.
Si mon rôle était de me battre, je m´en serais souvenu/ Sans souffleur. (Oth I,2 76-7)
He might ha´ chid me so, for, in good faith,/ I am a child at chiding.
Il aurait pu me gronder de cette façon, car, de bonne foi,/ Je suis une enfant en fait de gronderie. (Oth IV,2 110-1)
Comme nous l´avons vu dans la section précédente, ces exemples nous montrent bien que l´aspect perfectif est ici une marque du temps passé (action qui a commencé antérieurement au moment de l´énonciation).
Dans les exemples qui suivent, les modaux (employés en tant que verbe modal, ou verbe lexical) appartiennent à la sphère de l´irréel, et appellent un prétérit dit modal (c´est un subjonctif) lorsqu´un verbe fini les suit (en italique).
I would not for the world they saw thee here.
Je ne voudrais pas pour le monde entier qu´ils te voient ici. (R&J II,1 116)
And yet I would it were to give again./ Wouldst thou withdraw it ?
Et pourtant je voudrais pouvoir le redonner./ Voudrais-tu le reprendre ? (R&J II,1 167-72)
I would I were thy bird./ Sweet, so would I,/ Yet I should kill thee with much cherishing.
Je voudrais être ton oiseau./ Doux ami, je le voudrais aussi,/ Pourtant je te tuerais en te chérissant trop. (R&J II,1 223-4)
My lord, I would that Tuesday were tomorrow.
Mon seigneur, je voudrais que ce jeudi soit demain. (R&J III,4 29)
What wouldst thou write of me, if thou shouldst praise me ?
Qu´écrirais-tu sur moi, si tu devais faire mon éloge ? (Oth II,1 117)
My lord, I would I might entreat your honour/ To scan this thing no farther, leave it to time ;
Mon seigneur, je voudrais supplier Votre Honneur/ De ne pas scruter la chose plus attentivement, laissez faire le temps ; (Oth III,3 248-9)
It is as sure as you are Roderigo,/ Were I the Moor, I would not be Iago.
Aussi vrai que vous êtes Roderigo,/ Si j´étais le Maure je ne voudrais pas être Iago. (Oth I,1 56-7)
Nous trouvons aussi des exemples de verbes lexicaux au subjonctif présent, dont la forme ressemble au présent simple, seul le contexte nous permet de dire que nous avons affaire à de l´irréel (phrases introduites par if).
He´ll watch the horloge a double set,/ If drink rock not his cradle.
Il peut veiller pendant deux tours d´horloge,/ Si la boisson ne balance pas son berceau. (Oth II,3 119-20)
If love be blind love cannot hit the mark.
Si l´amour est aveugle, l´amour manque sa cible. (R&J II,1 33)
Ce différents exemples nous ont donc permis de montrer que la forme morphologique passée des modaux pouvait avoir une valeur d´irréel (ainsi que certaines formes de prétérit et de présent).
Dans les deux chapitres précédents, nous avons établi une hiérarchie concernant les adverbes et les têtes fonctionnelles auxquelles ils se rattachent (nous la rappelons ici, mais nous renvoyons le lecteur à la Section 2.7 pour le vieil-anglais et à la Section 3.8 pour le moyen-anglais).
[sweotole/sweotollice clairement, précisément, fullice parfaitement, complètement, gewislicost certainement, sûrement, gerisenlice honorablement, de manière convenable, huru néanmoins, certainement, openlicor manifestement, hluttorlice sincèrement, clairement, rihtlice justement, bien, smealice précisément, subtilement MoodEvidential [eft encore, de nouveau, nu maintenant, iu précédemment, eac depuis T(Past) [þa/þonne alors, nu maintenant, teowardlice vers le futur T(Future) [nede nécessairement, aninga volontairement ModNecessity [eað volontairement, lustlice volontairement ModVolitional [swa ainsi, en conséquence ModObligation [hioweslice familièrement AspHabitual [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspRepetitive(I) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspFrequentative(I) [aninga rapidement AspCelerative(I) [emb avant, après, iu précédemment, syððan depuis, désormais, alors, eac depuis T(Anterior) [get déjà, encore, gen déjà, maintenant, encore, swa ainsi, en conséquence AspContinuative [a/(n)æfre jamais, toujours, simble toujours, constamment AspPerfect [ær auparavant, autrefois AspRetrospective [sona bientôt, sel/selust bientôt, hrædlicor soudainement AspProximative [leng longtemps AspDurative [neah près, presque AspProspective [fullice parfaitement, complètement AspSg.Completive(I) [wel bien, sel/selust bientôt, geara jadis, autrefois Voice [aninga rapidement, geara jadis, autrefois AspCelerative(II) [fullice parfaitement, complètement AspSg.Completive(II) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspRepetitive(II) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspFrequentative(II)]]...
A cette hiérarchie, nous avons ajouté, en MA, la tête fonctionnelle ModPossibilité, qui va de pair avec la tête ModNécessité.
Qu´en est-il maintenant de l´anglais élisabéthain ? Si le processus de grammaticalisation a effectivement eu lieu, cela laisserait à penser que les adverbes de modalité sont désormais plus fréquents en AE.
Les exemples qui suivent illustrent les différentes positions dans lesquelles nous pouvons trouver les adverbes. Et comme pour le vieil et moyen-anglais, les têtes fonctionnelles ne changent pas. Par contre, ce qui est intéressant, c´est la place de l´adverbe dans les exemples (610) et (611). Dans tous les autres exemples, nous pouvons trouver les structures suivantes,
MD + ADV + V,
Valliant Othello, we must straight employ you/ Against the general enemy Ottoman ;
Vaillant Othello, nous devons sur-le-champ vous employer/ Contre l´ennemi commun, l´Ottoman ; (Oth I,3 39-40)
Be it as you shall privately determine,/ Either for stay or going, ...
Qu´il en soit comme vous le déciderez entre vous,/ Qu´elle reste ou qu´elle parte, ... (Oth I,3 260-1)
I will incontinently drown myself./ Well, if thou dost, I shall never love thee after it.
Je vais incontinent aller me noyer./ Ma foi, si tu fais ça, je ne pourrai plus t´aimer après. (Oth I,3 289-90)
which the time shall more favourably minister.
et que les circonstances rendront le plus favorable. (Oth II,1 258)
That you shall surely find him :/ Lead to the Sagittar the raised search,/ And there will I be with him.
Afin de le trouver plus sûrement,/ Dirigez vos recherches vers l´auberge du Sagittaire,/ J´y serai avec lui. (Oth I,1 139-41)
I will rather sue to be despis´d than to deceive so good a commander with so light, so drunken, and indiscreet an officer.
Plutôt solliciter son mépris que de tromper un si bon chef en faveur d´un si inconscient, si ivrogne et si déraisonnable officier. (Oth II,3 265-7)
as the time, the place, the condition of this country stands, I could heartily wish this had not so befallen ;
vu le temps, le lieu, la situation de ce pays, de tout cœur, j´aurais souhaité que ça ne soit pas arrivé ; (Oth II,3 284-6)
For thy sollicitoe shall rather die/ Than give thy cause away.
Car ton avocate mourra plutôt/ Que d´abandonner ta cause. (Oth III,3 27-8)
and you might quickly make it right.
et vous aurez tôt fait de la redressez. (Oth IV,3 51-3)
Could we but learn from whence his sorrows grow,/ We would as willingly give cure as know.
Si nous pouvions apprendre d´où viennent ses chagrins,/ Nous voudrions les guérir autant que les connaître. (R&J I,1 148-9)
But I am sent to find those persons whose names are here writ, and can never find what names the writing person hath here writ.
Mais on m´envoie trouver ces personnes dont les noms sont écrits ici, et je ne sais pas déchiffrer quels noms a écrits ici la personne qui a écrit. (R&J I,2 41-4)
I fear too early, for my mind misgives/ Some consequence, yet hanging in the stars,/ Shall bitterly begin his fearful date...
Trop tôt, je le crains, car mon esprit pressent/ Qu´un avenir encore suspendu dans les étoiles/ Commence amèrement son cours funeste... (R&J I,4 104-7)
Ah, my mistresses, which of you all/ Will now deny to dance ?
Ah ! mes belles, laquelle d´entre vous/ Va refuser de danser ? (R&J I,4 128-9)
MD + ADV + HAVE + P.PASSE / MD + BE + ADV + P.PASSE,
We cannot be all masters, nor all masters/ Cannot be truly follow´d.
Nous ne pouvons tous être les maîtres, et tous les maîtres/ Ne peuvent être loyalement servis. (Oth I,1 43-4)
The wealthy curled darlings of our nation,/ Would ever have (to incur a general mock)/ Run from her guardage to the sooty bosom/ Of such a thing as thou ?
Les chéris fortunés et bouclés de notre nation,/ Aurait-elle jamais (encourant la moquerie générale)/ Quitté ma tutelle pour courir vers la poitrine de suie/ D´une chose telle que toi ? (Oth I,2 67-70)
Blest fig´s end ! The wine she drinks is made of grapes : if she had been blest, she would never have lov´d the Moor.
Béni, queue de figue ! Le vin qu´elle boit est fait de raisins ; si elle était si vertueuse, elle n´aurait jamais aimé le Maure. (Oth II,1 243-4)
I saw no man use you at his pleasure : if I had, my weapon should quickly have been out.
Je n´ai jamais vu un homme abuser de vous pour son plaisir : sinon j´aurais vite sorti mon arme. (R&J II,3 141-2)
MD + V + ADV,
My parts, my title, and my perfect soul,/ Shall manifest me rightly : is it they ?
Ma valeur, mon nom, et mon âme intègre,/ Me montreront tel que je suis : est-ce eux ? (Oth I,2 31-2)
I am not drunk now, I can stand well enough, and speak well enough.
je ne suis pas soûl, je tiens bien sur mes jambes. (Oth II,3 105-6)
et ADV + MD + V / HAVE + EN,
By heaven, I rather would have been his hangman.
Par le Ciel, j´aurais préféré être son bourreau. (Oth I,1 34)
And Cassio high in oaths, which till tonight/ I ne´er might see before ;
Et Cassio qui jure très fort, chose qu´avant cette nuit/ Je n´avais jamais vue ; (Oth II,3 222-4)
Quant nous avons affaire à une phrase où il n´y a qu´un modal et un verbe à l´infinitif – ce que nous appelons une structure verbale simple – l´adverbe se trouve à la même place que son équivalent en anglais contemporain, c´est-à-dire entre le modal et le verbe ; pour ces structures, nous pouvons aussi trouver l´adverbe après le modal et le verbe non fini. Dans les structures verbales complexes – MD + BE / HAVE + V + EN –, nous avons la même position qu´en anglais contemporain. Néanmoins, pour ces structures particulières, nous n´avons pas trouvé d´exemples dans lesquels l´adverbe est entre BE/HAVE et V + EN. Enfin, dans ces exemples, nous pouvons trouver l´adverbe placé après le modal et le verbe non fini, dans une structure verbale simple. Dans tous ces exemples, les adverbes sont générés soit dans le domaine de TP, soit dans le domaine de vP, sous des têtes fonctionnelles spécifiques.
Nous avons vu que, dès la période tardive du vieil-anglaise (950-1050), nous trouvions quelques modaux épistémiques. En MA, nous en rencontrions un peu plus, et en AE, ce nombre va encore augmenter.
Donnons dès lors des exemples de modaux épistémiques et déontiques, sachant que ces modaux appartiennent à des structures de montée.
Dans un premier temps, rappelons d´abord ce que sont les modalités épistémique et déontique.
La modalité épistémique se définit comme suit : elle indique un degré d´implication de l´énonciateur dans ce qu´il dit. Etymologiquement, épistémique signifie « compréhension » ou « savoir » ; ainsi, un modal dit épistémique exprime la compréhension ou le savoir de l´énonciateur par rapport aux termes de son énoncé, et l´évaluation de la relation prédicative se fait au temps de l´énonciation.
Quant à la modalité déontique, elle se définit de la manière suivante : à la différence de la modalité épistémique, un modal dit déontique implique une notion d´action, une idée de volonté exercée par un tiers ou par l´énonciateur lui-même, et dans ce cas, le modal est dans la portée sémantique du temps.
Si nous devions résumer, nous dirions que la modalité épistémique modifie une phrase et qu´elle traite de la valeur de vérité de cette même phrase ; quant à la modalité déontique, elle met en relation un sujet et une activité, et elle traite des notions de permission, d´obligation et de volonté.
Dans les exemples qui suivent, les modaux ont une lecture épistémique (entre crochets),
Sir, he´s rash, and very sudden in choler, and haply with his trucheon [may] strike at you : provoke him that he [may], for even out of that will I cause these of Chyprus to mutiny, whose qualification shall come into no true trust again, but by the displanting of Cassio.
Monsieur, il est violent, et très prompt à la colère, il se peut qu´il vous donne un coup de matraque : incitez-le à le faire, car à partir de cet incident, j´en profiterai pour exciter les gens de Chypre à une émeute, qui ne s´apaisera pour de bon qu´avec la destitution de Cassio. (Oth II,1 260-4)
For Michael Cassio,/ I [dare] presume, I think that he is honest./ I think so too. Men should be what they seem,/ Of those that be not, would they [might] seem none./ Certain, men should be what they seem.
Pour Michael Cassio,/ J´ose le supposer, je pense qu´il est honnête./ Je le pense aussi. Les hommes devraient être ce qu´ils paraissent,/ ou ceux qui ne le sont pas, je voudrais qu´ils ne paraissent rien./ C´est certain, les hommes devraient être ce qu´ils paraissent. (Oth III,3 127-31)
Dans les exemples qui suivent, les modaux ont une lecture déontique (entre crochets),
Heaven is here/ Where Juliet lives, and every cat and dog/ And little mouse, every unworthy thing,/ Live here in heaven and [may] look on her,/ But Romeo [may] not.
Le Ciel est ici/ Où vit Juliette, et un chat ou un chien,/ Une petite souris, les moindres créatures insignifiantes,/ Vivent ici au ciel et peuvent la regarder,/ Mais Roméo ne le peut pas. (R&J III,3 29-33)
It is a judgement maim´d, and most imperfect,/ That will confess perfection so [would] err/ Against all rules of nature, and [must] be driven/ To find out practices of cunning hell/ Why this [should] be :
Seul un jugement mutilé, et très imparfait,/ Admettrait que la perfection peut à ce point s´égarer/ Contre toutes les lois de la nature, aussi est-on conduit/ A rechercher d´artificieuses pratiques d´enfer/ Pour expliquer cela : (Oth I,3 89-93)
you [must] awhile be patient :/ What I can do I [will], and more I [will]/ Than for myself dare, let that suffice you.
vous devez être patient quelque temps ;/ Ce que je peux faire, je le ferai, et même, je ferai plus/ Que je n´oserais pour moi-même, que cela vous suffise. (Oth 122-4)
An ´a speak anything against me, I´[ll] take him down an ´a were lustier than he is, and twenty such jacks ; and if he cannot, I´[ll] find those that [shall]. Scurvy knave ! I am none of his flirt-gills, I am none of his skain-mates. And thou [must] stand by, too, and suffer every knave to use me at his pleasure...
S´il dit quoi que ce soit contre moi, je la lui rabats, même s´il était plus robuste qu´il n´est, lui et vingt autres jean-foutre comme lui ; et si je n´y arrive pas, je saurai trouver ceux qui s´en chargeront. La sale crapule ! Je ne suis pas une de ses gigolettes, je ne suis pas une de ses serineuses. Et toi tu restes planté là, et tu supportes que la première crapule venue abuser de moi pour son plaisir... (R&J II,3 135-40)
Happily met, my lady and my wife./ That may be, sir, when I may be a wife./ That « may be » [must] be, love, on Thursday next./ What [must] be [shall] be. That´s a certain text.
Heureuse rencontre, madame mon épouse./ Cela peut être, monsieur, quand je pourrais être une épouse./ Ce « peut être » doit être, mon amour, jeudi prochain./ Ce qui doit être sera. Voilà une vérité certaine. (R&J IV,1 18-21)
Dans certains des exemples que nous venons de donner, coexistent des modaux épistémiques et déontiques : ce sont les exemples (616), (617) et (618).
Nous avons souligné le fait, qu´en VA, nous avions trouvé des perfecto-présents ayant une lecture épistémique. Cela impliquait que le processus de grammaticalisation pouvait déjà se manifester. De ces lectures épistémiques, et de cette grammaticalisation, nous avons introduit la tête fonctionnelle Mode qui possède tant le trait [+irréel] que le trait [-déont]. Concernant les modaux dits déontiques, nous avons montré qu´ils avaient une position syntaxique particulière : la position que nous avons définie, vModal.
Cet état de fait se retrouvait en MA, avec deux positions distinctes pour les modaux. Le seul changement, majeur, étant que les modaux sont directement générés sous T.
En AE, nous gardons ces deux positions, mais nous allons affiner ce qu´implique que les modaux déontiques et épistémiques sont désormais générés sous T.
A ce point de notre analyse, la structure de la phrase AE est :
CP - ModeP - TP - NegP - vModalP - (vP) - VP.
Dans les chapitres précédents, nous avons vu que les modaux épistémiques et déontiques étaient des verbes de montée. Prenons deux exemples d´un même modal, mais avec des lectures différentes :
He must be mad (épistémisque)
[TP Hei [T must [VP [Spec ti be mad]]]]
He must be careful (déontique)
[TP Hei [T must [VP [Spec ti be careful]]]]
Ces deux exemples ont les structures suivantes,
pour la lecture épistémique et,
pour la lecture déontique.
Reprenons plusieurs des exemples que nous avons cités plus haut, soit les exemples (617) et (618). Ils deviennent maintenant (626) et (627).
An ´a speak anything against me, I´ll take him down an ´a were lustier than he is, and twenty such jacks ; and if he cannot, I´ll find those that shall. Scurvy knave ! I am none of his flirt-gills, I am none of his skain-mates. And thou must stand by, too, and suffer every knave to use me at his pleasure.
S´il dit quoi que ce soit contre moi, je la lui rabats, même s´il était plus robuste qu´il n´est, lui et vingt autres jean-foutre comme lui ; et si je n´y arrive pas, je saurai trouver ceux qui s´en chargeront. La sale crapule ! Je ne suis pas une de ses gigolettes, je ne suis pas une de ses serineuses. Et toi tu restes planté là, et tu supportes que la première crapule venue abuser de moi pour son plaisir. (R&J II,3 135-40)
Happily met, my lady and my wife./ That may be, sir, when I may be a wife./ That « may be » must be, love, on Thursday next./ What must be shall be. That´s a certain text.
Heureuse rencontre, madame mon épouse./ Cela peut être, monsieur, quand je pourrais être une épouse./ Ce « peut être » doit être, mon amour, jeudi prochain./ Ce qui doit être sera. Voilà une vérité certaine. (R&J IV,1 18-21)
Commençons par les SHOULD et MAY épistémiques :
if I had, my weapon should quickly have been out.
Happily met, my lady and my wife. That may be, sir, when...
Dans ces deux phrases, c´est la vérité de la relation entre le sujet et le prédicat qui est mise en relief, le modal modifie cette relation S(ujet)-P(rédicat). Si un modal épistémique modifie une relation S-P, il est forcément généré plus haut que la première phase de la phrase, c´est-à-dire plus haut que vP (car à vP correspond la relation S-P, sans que les traits ϕ et les traits EPP de T aient été satisfaits), et plus haut que TP (à TP correspond la satisfaction des traits mentionnés, sauf le trait de temps qui n´est satisfait que lors de l´insertion du modal). Ainsi, on pourrait représenter nos exemples de la sorte :
SHOULD [my weapon - quickly have been out] (où SHOULD va modifier la relation entre le sujet « my weapon » et « quickly have been out »),
MAY [that - be (when)] (où MAY modifiera la relation entre « that » et « be »).
C´est la valeur de vérité des phrases qui est mise en question : dans le cas où l´on vous aurait manqué de respect, il était certain que mon arme aurait été prompte à réagir (630) ; s´il est vrai que je peux devenir, que j´ai la capacité de devenir une épouse, il se pourrait que je le devienne (631).
Regardons maintenant les modaux déontiques :
if he cannot, I´ll find those that shall. [possibilité]
and thou must (...) suffer every knave... [obligation]
That « may be » must be, love, on Thursday. [obligation]
What must be shall be. [obligation, nécessité]
Les modaux dits déontiques posent une relation entre un sujet et une activité, où il est question de permission, d´obligation ou de possibilité (de capacité à). Ce qui implique que la relation S-P n´est pas encore établie, elle n´est établie qu´avec l´insertion lexicale du modal dans le composant morphologique. La lecture déontique du modal se fait alors dans le domaine de vP : c´est la position que nous avons définie dans les chapitres précédents.
On pourrait alors représenter nos exemples comme suit :
[those - ] SHALL [ - do],
[thou - ] MUST [ - stand by],
[That - ] MUST [ - be],
[what - ] MUST [ - be], [what - ] SHALL [ - be],
où le modal figure la relation entre le sujet et le prédicat.
Ainsi, dans notre exemple (636), le sujet that « may be » est le sujet sémantique de be, et devient le sujet grammatical de MUST. C´est en devenant sujet grammatical que le modal déontique établit une relation entre le sujet sémantique et le prédicat (c´est-à-dire lors de l´insertion lexicale de MUST).
Ainsi, la structure de (636) serait la suivante :
Au sein de VP, l´argument interne on Thursday fusionne avec le verbe. Be assigne un θ-rôle à son argument externe, le sujet sémantique that « may be », car le modal déontique must a été choisi dans le lexique. vP fusionne donc à TP. A ce stade, le modal est inséré, avec son trait de temps, et ses traits ϕ (lesquels sont satisfaits avec ceux du sujet). Une fois l´insertion du modal faite sous T, le modal va alors satisfaire son trait de temps. Le sujet va alors monter sous Spec,TP afin de satisfaire les traits EPP de T.
Nous venons de voir que les modaux épistémiques et les modaux déontiques ont une structure syntaxique identique : ce sont des verbes de montée. Ils sont générés sous la même position syntaxique T, mais le modal épistémique est gouverné par la tête fonctionnelle Mode, dans le domaine de CP ; quant au modal déontique, il est gouverné par la tête fonctionnelle vModal, dans le domaine de vP, il ne fusionne qu´ensuite avec T.
Dans la Section 4.1, nous avons rappelé la syntaxe des modaux épistémiques et déontiques, ainsi que celle de ces mêmes verbes employés lexicalement. Mais, à la différence des deux chapitres précédents, nous avons trouvé des contractions de certains de ces verbes modaux, ce qui montre que les modaux sont devenus des items grammaticaux en AE et qu´ils sont générés sous T.
Dans la Section 4.2, nous avons montré que la classe des modaux s´était réduite par rapport à celle des perfecto-présents du VA et du MA : certains de ces verbes ne se sont pas grammaticalisés et ne sont employés que lexicalement, d´autres ont disparu. D´un point de vue sémantique, nous avons remarqué des glissements qui semblaient aller de pair avec la grammaticalisation de ces verbes.
Dans la Section 4.3, nous nous sommes intéressés, dans un premier temps, à la syntaxe des formes contractées des modaux. Nous avons ensuite introduit le DO-vide qui est généré sous T, et qui, syntaxiquement, fonctionne de la même manière que les modaux : il connaît l´ellipse du verbe infinitif, et il monte à C dans les structures CP-V2. Puis, nous avons remarqué qu´il existait encore une compétition syntaxique entre les structures CP-V2 et SVO. Enfin, en AE, not est devenu la négation principale de la phrase, et nous avons trouvé la contraction de cette négation sur les modaux et le DO-vide. Et, à la différence du chapitre précédent, nous avons trouvé des exemples d´items à polarité négative dans le corpus, impliquant que la concordance négative disparaît.
Dans la Section 4.4, nous avons montré que, désormais, beaucoup des formes morphologiques passées des verbes modaux avaient un sens irréel, notamment dans les structures où apparaît un modal accompagné d´un infinitif passé. Parallèlement, nous trouvons un nombre grandissant de prétérits dits modaux qui rendent compte du processus de grammaticalisation (des verbes modaux) : l´irréel n´étant plus marqué morphologiquement, des formes passées, dans des contextes bien précis comme les subordonnées en if, vont prendre la valeur d´un irréel (et n´auront plus de valeur passée).
Enfin, dans la Section 4.5, nous avons affiné notre analyse des deux positions modales. Désormais, qu´ils soient épistémiques ou déontiques, les verbes modaux sont des verbes de montée : l´épistémicité se trouvant dans le domaine de CP, et la déonticité se trouvant dans le domaine de vP.