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L´évolution syntaxique des verbes modaux dans l´histoire de l´anglais

2. Vieil-anglais

2.1. Introduction à la langue

Le vieil-anglais (VA) est une langue dite SOV (les langues germaniques, tel l´allemand contemporain, sont des langues ayant une typologie OV/VO), avec la valeur de paramètre tête finale : quelle que soit la projection, un complément précède la tête de cette projection (sauf pour COMP qui a son complément à droite).

(5)
Tree 7

C´est aussi une langue V2 : le verbe fini monte en seconde position de la phrase, alors que le topique, situé à sa gauche, peut être n´importe quel élément de la phrase. Dans un premier temps, nous suivons Pintzuk (1991), qui analyse la phrase VA comme une structure IP-V2 : le verbe fini monte de V, sa position de base, à I (ou T), qui est la seconde position. C´est le cas dans la phrase simple (où TP est l´équivalent de IP).

(6)
(6.a)
Seuerus se casere onfeng micelne dæl Breotene...
Severus-NOM le-NOM empereur-NOM reçut-IND.PRET grande-ACC partie-ACC Bretagne-GEN...

L´empereur Severus reçut une grande partie de la Bretagne... (cobede,BedeHead : 1.6.14.6)

(6.b)
Tree 8

Dans la phrase complexe dite enchâssée, nous avons toujours une structure IP-V2. Mais pour Pintzuk, il y a deux variantes : une structure INFL-médiane (7.a) et une structure INFL-finale (7.b).

(7)
(7.a)
Tree 9
(7.b)
Tree 10
(8)
... þe god worhte þurh hine...
... lequel Dieu œuvra à travers lui...

... lequel Dieu œuvra à travers lui... (Pintzuk 1991 : 75)

Structure INFL-médiane :

(9)

[C þe [TP godj [T worhte [VP tj þurh hine [V ti]]]]]

Structure INFL-finale :

(10)

[C þe [TP godj [VP tj þurh hine [V ti [T weorhte [PP þurh hine]]]]]]

Enfin, dans un petit nombre de phrases (les questions, les phrases dont le topique est un élément négatif ou les adverbes de temps þa ou þonne), la structure est CP-V2 : le verbe fini monte de V à T à C (Spec,CP étant réalisé).

(11)
Tree 11
(12)
Ða gewænde seo wydewe ham...
Alors retourna-PRET la-NOM veuve-NOM en direction de la maison...

La veuve retourna alors chez elle... (coaelive,ÆLS_[Eugenia] :144.277)

2.1.1. Les différentes structures syntaxiques en anglais contemporain

Avant d´aborder l´analyse des perfecto-présents vieil-anglais, donnons les structures de certains types de verbes. Ces structures vont nous être utiles au cours de notre travail. Toutes suivent le schéma suivant : Sujet + Verbe fini + Verbe à l´infinitif.

En anglais contemporain, nous trouvons deux types de verbes : des verbes lexicaux et des verbes opérateurs. Parmi ces types de verbes, certains sont des verbes de contrôle, d´autres des verbes de montée, d´autres des verbes causatifs, ou encore des verbes dont le complément sera un TP.

Une structure de contrôle est une structure dans laquelle la proposition infinitive comporte un sujet PRO qui est contrôlé par son antécédent :

(13)
(13.a)

They want to stay.

(13.b)
Tree 12

Le complément du verbe fini est ici un CP.

Dans l´exemple (14.a), le complément du verbe fini est un TP.

(14)
(14.a)

They heard John cry

(14.b)
Tree 13

Les verbes causatifs, quant à eux, sont des verbes opérateurs : ils font partie de l´événement, mais ils ne sont pas l´événement ; ils introduisent une notion de cause sur l´événement. Ce sont des verbes comme make, have ou cause en anglais contemporain.

(15)
(15.a)

He made him cry.

(15.b)
Tree 14

Nous avons enfin ce que l´on appelle des structures de montée. En anglais contemporain, un verbe de montée ne possède pas d´argument externe (c´est-à-dire de sujet) et il n´assigne pas de cas à son complément (le plus généralement une proposition infinitive). Ce sont des verbes lexicaux comme seem et appear en anglais contemporain. Parmi ces verbes de montée, nous trouvons aussi les verbes modaux. En anglais contemporain, nous pensons que les modaux sont générés sous T.

(16)
(16.a)

It seems that he understands her.

(16.b)
Tree 15
(17)
(17.a)

He seems to understand her.

(17.b)
Tree 16
(18)
(18.a)

He can understand her.

(18.b)
Tree 17

Nous invitons le lecteur à garder ces structures en tête car nous allons y revenir au fil de notre analyse des perfecto-présents (notamment les structures causatives et les structures de montée).

2.2. Les perfecto-présents

En vieil-anglais, il existe deux classes majeures de verbes : les verbes forts et les verbes faibles (note: ). Les perfecto-présents représentent une classe particulière (à cette classe nous ajoutons le verbe anomal WILLAN).

Les perfecto-présents sont des verbes qui ont la forme d´un parfait mais la valeur d´un présent (par exemple `I have got´ en anglais contemporain). Quant au verbe WILLAN, c´est un verbe athématique (c´est-à-dire sans thème (note: )) en *-mi  : la première personne du singulier du présent de l´indicatif était *-mi en indo-européen et en germanique (bio-m en VA `je suis´).

Les verbes que nous traitons sont donc les suivants (nous suivons la classification de Mossé (1945) : 118-21, des classes 1 à 6 (note: ))  :

Parmi ces verbes se trouvent les verbes modaux que nous connaissons en anglais contemporain. Dans la littérature concernant la diachronie, il est généralement admis que les verbes modaux tels que nous les connaissons sont « apparus » à la période moyen-anglaise (avant cette période, ils étaient de simples verbes lexicaux identiques aux autres, par exemple voir Allen (1975) ou Roberts (1993)). D´un point de vue syntaxique, nous nous opposons à cette assertion car, selon nous, les changements et les évolutions au sein d´une langue sont progressifs. Ainsi, l´hypothèse qui va sous-tendre notre analyse est que, dès la période vieil-anglaise, une position syntaxique particulière existe pour cette classe de verbes. Cette position que nous leur attribuons est différente de celle des autres verbes (les verbes forts et les verbes faibles qui sont générés sous la tête de VP). Notre analyse va nous amener à montrer qu´ils sont générés sous une position que nous nommons vModal. Nous tenons bien sûr compte, tout au long de notre travail, des relations, complexes, qui peuvent exister entre les notions de temps, de mode et de modalité. Pour ce faire, nous étudions l´évolution de ces verbes à travers différents textes issus de différentes périodes : Beowulf (cobeowulf dans les exemples) qui date du VIIe  environ (≃ 680), Ecclesiastical History (cobede) de Bede le Vénérable qui date du IXe  -Xe  siècles (890) et Apollonius of Tyre (coapollo) qui date du XIe  siècle (1050).

2.3. Syntaxe et têtes fonctionnelles

Nous venons de mentionner que le VA est une langue SOV, avec V2. Que le VA soit une langue CP-V2 ou IP-V2 ne change pas le fait qu´il existe des têtes fonctionnelles : C, T, sûrement Neg et v (la tête de transitivité) en plus de la tête lexicale V. L´analyse à venir nous permet d´y ajouter un autre petit v (notre hypothèse, un petit vModal, mais qui reste néanmoins dans le domaine de vP).

2.3.1. Les têtes fonctionnelles C, T et la tête lexicale V

Nous montrons l´existence de ces têtes à partir d´exemples tirés du corpus VA. L´exemple qui suit,

(19)
and cwæð : þu iunga mann, canst ðu þone dom mynra dohtor gifta ?
et dit : toi-NOM jeune-NOM homme-NOM, connais-IND.PRES tu-NOM la-ACC sentence-ACC ma-GEN fille-GEN cadeau de mariage-GEN ?

et il dit : connais-tu, jeune homme, la sentence liée au don de ma fille en mariage ? (coapollo,ApT :4.9.44 ; 1050)

illustre la structure (11), et montre l´existence de la tête C. Quant à l´exemple,

(20)
Forðam gif hit gewurðan mæg, ic wille me bedihlian on eowrum eðle.
Car si cela-NOM s´accomplir peut-IND.PRES, je-NOM veux-PRES moi cacher dans ton-DAT pays-DAT.

Car si cela peut s´accomplir, je voudrais trouver refuge dans ton pays. (coapollo,ApT : 9.9.156)

illustre la structure (6.b) et montre l´existence de la tête fonctionnelle T et de la tête lexicale V.

A ces deux exemples, nous en ajoutons d´autres, afin de mettre en valeur notre propos :

(21)
& he openlice sæde þæt he his bebodum hyrsumian ne wolde.
& il-NOM ouvertement dit-PRET que il-NOM ses ordres-DAT obéir NEG voulait-PRET.

et il dit ouvertement qu´il ne voulait pas obéir à ses ordres. (cobede,Bede_1 :7.36.12. 292 ; 890)

(22)
þonne sceal he hine eaðmodlice ahabban from onsægdnesse þæs halgan gerynes...
alors doit-IND.PRES il-NOM lui-ACC respectueusement retenir de sacrifice le-GEN saint-GEN sacrement-GEN...

il doit alors respectueusement s´abstenir de sacrifier le saint sacrement... (cobede, Bede_1 :16.86.16.784)

(23)
Nolde eorla hleo ænige þinga þone cwealmcuman cwicne forlætan.
NEG+voulait-PRET guerriers-GEN protecteur-NOM aucune-INSTR choses-GEN invités meutriers-ACC rapide-ACC abandonner.

Pour rien au monde le protecteur des guerriers ne voulut laisser partir les inviters meutriers vivants. (cobeowul,26.791. 678 ; 680)

(24)
Ne meahte ic æt hilde mid Hruntinge wiht gewyrcan.
NEG pouvait-PRET je-NOM jusqu´à combat-DAT avec Hrunting-DAT quelque chose-ACC faire.

Avec Hrunting je n´aurais rien pu faire dans le combat. (cobeowul,51.1659.1375)

Les exemples (22) et (25.a) (=(19)) montrent l´existence de la tête fonctionnelle C, car nous avons affaire à des structures CP-V2,

(25)
(25.a)
and cwæð : þu iunga mann, canst ðu þone dom mynra dohtor gifta ?
et dit : toi-NOM jeune-NOM homme-NOM, connais-IND.PRES tu-NOM la-ACC sentence-ACC ma-GEN fille-GEN cadeau de mariage-GEN ?

et il dit : connais-tu, jeune homme, la sentence liée au de ma fille en mariage ? (coapollo,ApT :4.9.44 ; 1050)

(25.b)
Tree 19

En effet, cet exemple illustre une structure CP-V2, avec mouvement du verbe fini de V à T, puis de T à C. D´après l´analyse de Pintzuk (1991), chapitre 3, le moyen de savoir si nous avons affaire à une structure CP-V2 ou IP-V2 est de voir la position du clitique sujet : si celui-ci est placé avant le verbe fini, c´est une structure IP-V2 ; si le clitique sujet est placé après le verbe fini (comme dans notre exemple), c´est une structure CP-V2 (note: ). L´ordre des constituants de ce genre de phrases (les questions directes, les phrases commençant par un constituant négatif ou par les adverbes de temps þa et þonne) est dérivé du mouvement du verbe fini de T à C (Pintzuk (1991) : 133).

L´exemple (26.a) (=(20)) illustre l´existence des têtes fonctionnelles T et de la tête lexicale V. Cet exemple est une structure IP-V2.

(26)
(26.a)
Forðam gif hit gewurðan mæg, ic wille me bedihlian on eowrum eðle.
Car si cela-NOM s´accomplir peut-IND.PRES, je-NOM veux-PRES moi cacher dans ton-DAT pays-DAT.

Car si cela peut s´accomplir, je voudrais trouver refuge dans ton pays. (coapollo,ApT : 9.9.156)

(26.b)
Tree 20

Nous n´entrons pas, pour le moment, dans les détails de cette structure enchâssée. Nous y revenons un peu plus loin dans notre travail.

On suppose généralement que le VA est une langue asymétrique : V2 pour les phrases matrices, mais pas pour les phrases enchâssées, puisque la position C est remplie par un complémenteur lexical. L´analyse de Pintzuk montre que la structure de la phrase VA est IP-V2, tant dans les phrases matrices que dans les phrases enchâssées (sauf pour un petit nombre restreint de phrases que nous venons de mentionner). C´est en analysant la distribution des particules, la distribution des pronoms et des adverbes monosyllabiques, ainsi que la fréquence relativement basse du phénomène syntaxique qu´est le Verb (Projection) Raising, qu´elle a pu montrer l´existence de structures INFL-médianes pour les phrases enchâssées du VA, avec la montée du verbe fini de V à T (note: ). Pour les phrases enchâssées (comme nous l´avons déjà mentionné), il y coexistence entre deux structures : les structures INFL-medianes et les structures INFL-finales. Dans les structures INFL-médianes, le verbe fini monte sous T, qui est en position V2 ; dans les structures INFL-finales, le verbe fini monte aussi sous T, mais c´est l´ordre au sein de TP qui est différent : la tête de TP est en position finale.

Les exemples (23) et (24) montrent l´existence d´une tête fonctionnelle Neg, sans que cela nous éclaire encore sur sa position syntaxique.

L´existence de ces têtes fonctionnelles nous permet d´introduire le cadre théorique dans lequel nous conduisons notre analyse : le programme minimaliste de Chomsky. Chomsky définit les têtes C et T comme appartenant aux catégories fonctionnelles principales (Core Functional Categories) de la phrase. C exprime la force et le mode, il peut ne pas être sélectionné (sélection sémantique) ; C sélectionne T et possède un trait EPP (c´est-à-dire une position Spec). Quant à la tête T, elle doit toujours être sélectionnée (sémantiquement), soit par C, auquel cas elle possède un ensemble de traits ϕ (traits de personne, genre, nombre), soit par V, et T est alors défectif. T possède un trait EPP et il sélectionne V.

La structure d´une phrase est alors (CP)-TP-VP, structure que nous appliquons au VA dans les exemples qui vont suivre.

(27)
Tree 21

Cette structure s´applique aux exemples suivants :

(28)
(28.a)
and cwæð : þu iunga mann, canst ðu þone dom mynra dohtor gifta ?
et dit : toi-NOM jeune-NOM homme-NOM, connais-IND.PRES tu-NOM la-ACC sentence-ACC ma-GEN fille-GEN cadeau de mariage-GEN ?

et il dit : connais-tu, jeune homme, la sentence liée au don de ma fille en mariage ? (coapollo,ApT :4.9.44 ; 1050)

(28.b)

[CP [C canst [TP [Spec ðu [T cansti [VP [V cansti þone dom mynra dohtor gifta ?]]]]]]]

(29)
(29.a)
Forðam gif hit gewurðan mæg, ic wille me bedihlian on eowrum eðle.
Car si cela-NOM s´accomplir peut-IND.PRES, je-NOM veux-PRES moi cacher dans ton-DAT pays-DAT.

Car si cela peut s´accomplir, je voudrais trouver refuge dans ton pays. (coapollo,ApT : 9.9.156)

(29.b)

[CP Forðam [C gif [TP hit [VP [V gewurðan [T mæg, [TP [Spec ic [T wille [VP [V willei [TP me bedihlian on eowrum eðle.]]]]]]]]]]]]

(30)
(30.a)
Ne meahte ic æt hilde mid Hruntinge wiht gewyrcan.
NEG pouvait-PRET je-NOM jusqu´à combat-DAT avec Hrunting-DAT quelque chose-ACC faire.

Avec Hrunting je n´aurais rien pu faire dans le combat. (cobeowul,51.1659.1375)

(30.b)

[CP [C Ne meahte [TP ic [T meahtei [VP [V meahtei [TP æt hilde mid Hruntinge wiht gewyrcan.]]]]]]]

A ce stade, nous n´irons pas plus loin concernant la position de base des perfecto-présents.

Les exemples (21), (23) et (24) donnent des formes présentes et prétérites des perfecto-présents, sans que nous puissions affirmer si ces formes sont indicatives ou subjonctives. En effet, le VA possédait deux modes, et à chacun de ces modes correspondaient des flexions verbales. Les formes des exemples (19), (20) et (22) sont au mode indicatif. Si le mode est indiqué via les flexions verbales, cela impliquerait qu´il existe une tête fonctionnelle pour ces deux modes (réalis et irréalis). Nous supposons que T accueille le mode [-irréel]. Mais nous allons revenir sur ce point plus loin dans notre travail, une fois définie la position correspondant aux perfecto-présents.

2.4. Perfecto-présents et vModal

Précédemment, nous avons mentionné que les perfecto-présents formaient une classe de verbes à part entière, différents des verbes forts et des verbes faibles. En quoi sont-ils différents ? Tout d´abord, ils sont tous défectifs, (à l´exception de WILLAN), c´est-à-dire qu´ils ne possèdent pas un système de conjugaison complet (voir Annexe A). Ensuite, il existe une alternance vocalique entre la forme infinitive et le présent de l´indicatif qui n´apparaît pas pour les verbes forts et les verbes faibles.  (note: )

Enfin, les perfecto-présents sont les seuls à posséder une terminaison spécifique pour le pluriel du présent (toutes les personnes) : -on (witon, agon, cunnon, sculon, ...), alors que les verbes lexicaux ont : - (nim `ils/elles prennent´, dem `ils/elles décident´, habb `ils/elles ont´, ...). Ils ont aussi la spécificité d´avoir des suffixes en dentale – -t(e), -d(e) and -ð(e) – pour le singulier du prétérit (moste, mihte, dorste, ...), comme les verbes faibles (les perfecto-présents sont construits en partie sur les verbes forts et en partie sur les verbes faibles (note: )). Ces différences morphologiques vont nous être utiles lors de notre analyse. S´ils ont une morphologie particulière, ce peut être le point de départ de notre analyse pour leur allouer une position syntaxique.

Dans les exemples (19) à (24), nous avons pu situer les têtes C, T et V. Nous avons laissé sciemment de côté la position de la tête fonctionnelle Neg, et bien sûr celle des verbes perfecto-présents.

Pénétrons maintenant dans le vif du sujet : quelle position occupent les verbes perfecto-présents ?

Nous proposons qu´aux perfecto-présents correspondent deux têtes : V, pour les perfecto-présents qui sont employés commes des verbes lexicaux ; un petit v modal (plus précisément vModal) pour les perfecto-présents suivi d´un verbe à l´infinitif.

Lorsque le perfecto-présent est employé suivi d´un objet, il est donc généré sous un V lexical, puis fusionne à v, et réagit comme les verbes forts et les verbes faibles (c´est la structure (31)). Lorsque le perfecto-présent est suivi d´un verbe à l´infinitif, il est considéré comme un verbe semi-lexical (il n´y a pas encore grammaticalisation totale), et, de fait, il n´est plus généré sous V, mais sous vModal (c´est la structure (32)). Pourquoi postuler un vModal ? Dans tout notre corpus, ces perfecto-présents sont soit déontiques, soit épistémiques (nous y revenons plus longuement dans la Section 2.8.2). Nous avons donc les deux structures verbales suivantes, (31) lorsque le perfecto-présent est lexical, et (32) lorsqu´il est semi-lexical :

(31)
Tree 22
(32)
Tree 23

Dans les exemples qui vont suivre, le perfecto-présent est employé seul :

(33)
No hie fæder cunnon, ...
Même pas ils-NOM père-ACC connaissent-IND.PRES, ...

Ils ne lui connaissent pas de père, ... (cobeowul,42.1355.1119 ; 680)

(34)
Ac sio ðeod þone cræft þæs fiscaþes ne cuðe, ...
Mais le-NOM peuple-NOM le-ACC métier-ACC la-GEN pêche-GEN NEG connaissait-PRET, ...

Mais le peuple ne connaissait pas l´art de la pêche, ... (cobede,Bede_4 :17.304.10.3076 ; 890)

(35)
ic secge ðe to soðan þone forlidenan man ic wille.
je-NOM dis-IND.PRES lui-NOM précisément le-ACC naufragé-ACC homme-ACC je-NOM veux-PRES

Je te le dis en vérité, c´est le naufragé que je veux (pour époux). (coapollo,ApT :20.15. 427)

Reprenons l´exemple (33) (maintenant (36.a)) et donnons-en la structure, où le perfecto-présent CUNNAN est généré sous V, fusionne avec v, puis avec T :

(36)
(36.a)
No hie fæder cunnon, ...
Même pas ils-NOM père-ACC connaissent-IND.PRES, ...

Ils ne lui connaissent pas de père, ... (cobeowul,42.1355.1119 ; 680)

(36.b)
Tree 24

Dans la majorité des cas, le perfecto-présent est suivi d´un verbe à l´infinitif (un verbe fort ou faible, ou bien un autre perfecto-présent (noté en italique)) :

(37)
Nu ic eower sceal frumcyn witan, ...
Maintenant je-NOM vous-ACC dois-IND.PRES ancêtres-ACC connaître, ...

Maintenant, je dois connaître vos ancêtres, ... (cobeowul,10.251.203 ; 680)

(38)
Ic to wille wið wrað werod wearde healdan.
Je-NOM vers lac-DAT PRES contre en colère-ACC hôtes-ACC gardien-ACC protéger.

Je vais retourner vers la mer pour (vous) protéger des hôtes hostiles. (cobeowul,12.318.257)

(39)
Wille ic asecgan sunu Healfdenes, mærum þeodne, min ærende, aldre þinum, gif he us geunnan wile þæt we hine swa godne gretan moton.
PRES je-NOM dire fils-DAT Healfdene-GEN, célèbre-DAT roi-DAT, mon-ACC message-ACC, parent-DAT ton-DAT, si il-NOM nous-DAT accorder veut-PRES que nous-NOM lui-ACC ainsi bonté-ACC saluer devons-IND.PRES.

J´aimerais délivrer mon message au fils du roi Healfdene, le grand prince, si, dans sa bonté, il nous accorde que nous le lui adressions. (cobeowul,13.344.285)

(40)
ac wit on niht sculon secge ofersittan, ...
mais nous deux-NOM dans nuit-ACC devons-IND.PRES épée-ACC renoncer, ...

mais nous devons renoncer à utiliser notre épée pendant la nuit, ... (cobeowul,22.681. 575)

(41)
... þæt he wið ælfylcum eþelstolas healdan cuðe, ða wæs Hygelac dead.
... que il-NOM contre ennemis-DAT ville royale-ACC administrer put-PRET, depuis que était-IND.PRET Hygelac-NOM mort-NOM.

... qu´il put administrer la ville royale contre les ennemis depuis la mort de Hygelac. (cobeowul,73.2367.1931)

(42)
he scolde eaðmodlice for heo þingian, þæt heo ne þorfte in swa frecne siðfæt & in swa gewinfulne & in swa uncuðe elþeodignesse faran.
il-NOM dut-PRET humblement pour elle-ACC demander, pour que elle-NOM NEG eut besoin-PRET dans si dangereux-ACC voyage-ACC & dans si dur-ACC & dans si incertain-ACC pélerinage-ACC partir.

il dut humblement intercéder en sa faveur pour qu´elle n´eut besoin de s´engager dans un dangereux voyage & un pélerinage si dur et incertain. (cobede,Bede_1 :13.56. 6.521 ; 890)

(43)
Ic gehyhte & wende, þæt wit nu hraðe scoldon ætgædre in ece liif gongan.
Je-NOM espérais-IND.PRET & croyais-IND.PRET, que tous deux-NOM maintenant rapidement devaient-IND.PRET ensemble dans éternelle-ACC vie-ACC aller.

J´esperais que nous aurions pu accéder ensemble à la vie éternelle. (cobede,Bede_3 :19.244.7.2499)

(44)
...þæt he swa in toweardnesse ecelice ricsian mid Criste moste.
...que il-NOM ainsi pour le temps à venir éternellement régner avec Christ-DAT pouvait-PRET.

... qu´il pouvait ainsi régner éternellement avec le Christ. (cobede,Bede_3 :21.248.21. 2544)

(45)
... ond hy ealle þa bliðe mode lustlice healdon woldon.
... et ils-NOM tous-NOM cela-ACC joyeux-INSTR cœur-INSTR avec entrain protéger voulaient-IND.PRET.

... et tous l´observèrent-ils volontiers d´un cœur joyeux. (cobede, Bede_4 :5.276.32.2812)

(46)
Gif hit nænge þinga to dæge beon mægge.
Si cela-NOM aucune-INSTR choses-GEN aujourd´hui-DAT être puisse-SUBJ.PRES.

Si aujourd´hui cela ne peut se produire avec aucune de ces choses. (cobede,Bede_4 : 12.290.20.2932)

(47)
... þæt nænig ðara onweardra his heortan degolnessa him helan dorste...
... que aucun-NOM les-GEN opposants-GEN son cœur-GEN secret-ACC lui-DAT dissimuler osait-PRET...

... qu´aucun des opposants n´osait lui dissimuler le secret de son cœur... (cobede,Bede_4 :28.362.27.3643)

(48)
and gif ðu þæt ne dest, þu scealt oncnawan þone gesettan dom.
et si tu-NOM cela-ACC NEG fais-IND.PRES, tu-NOM dois-IND.PRES comprendre la-ACC fait-P.PASSE-ACC sentence-ACC.

et si tu ne fais pas cela, tu dois comprendre la sentence qui a été prise. (coapollo,ApT :5.5. 71 ; 1050)

(49)
Hlaford Apolloni, gif ðu þissere hungrigan ceasterwaru gehelpest, na þæt an þæt we willað þinne fleam bediglian.
Seigneur-NOM Apollonius, si tu-NOM ces affamés habitants aides-IND.PRES, nullement ce-DAT un seul que nous-NOM IND.PRES cette-ACC fuite-ACC cacher.

Seigneur Apollonius, si tu aides ces habitants affamés, non seulement nous lui cacherons ta fuite, (mais) ... (coapollo,ApT :9.18.164)

Illustrons la structure (32) avec l´exemple (48), désormais (50.a) :

(50)
(50.a)
and gif ðu þæt ne dest, þu scealt oncnawan þone gesettan dom.
et si tu-NOM cela-ACC NEG fais-IND.PRES, tu-NOM dois-IND.PRES comprendre la-ACC fait-P.PASSE-ACC sentence-ACC.

et si tu ne fais pas cela, tu dois comprendre la sentence qui a été prise. (coapollo,ApT :5.5. 71 ; 1050)

(50.b)
Tree 25

Lorsque nous avons affaire à la négation, la particule adverbiale négative (selon la terminologie utilisée dans la littérature en diachronie) ne précède immédiatement le verbe fini,

(51)
... no ðu ymb mines ne þearft lices feorme leng sorgian.
... ni tu-NOM à propos moi-GEN NEG est nécessaire-IND.PRES corps-GEN réconfort par la nourriture-DAT plus longtemps s´affliger.

... ni n´as-tu besoin de t´occuper plus longtemps de mon corps. (cobeowul,16.448.374 ; 680)

(52)
ða hine Wedera cyn for herebrogan habban ne mihte.
étant donné que le-ACC sud de la Scandinavie-GEN peuple-NOM à cause de terreur de la guerre-DAT obtenir NEG peut-PRET.

après cela, le peuple de Wedera ne le gardera pas. (cobeowul,16.459.386)

(53)
Ða ne meahte he eaðelice þa unstillnesse onfallendra mengu aberan...
Alors NEG put-PRET il-NOM facilement la-ACC agitation-ACC écrasante-GEROND-GEN foule-GEN supporter...

Il ne put alors pas facilement supporter l´agitation oppressante de la foule... (cobede,Bede_3 :14.216.32.2220 ; 890)

(54)
ac he ne mihte hine þar findan on ðam flocce.
mais il-NOM NEG pouvait-PRET lui-ACC trouver dans les troupes-DAT.

mais il ne pouvait le trouver parmi les troupes. (coapollo,ApT :13.9.232)

De plus, il y a fusion de cette particule adverbiale sur ce type particulier de verbes (et, plus précisément sur les verbes AGAN, WILLAN et WITAN (note: )), comme le montrent les exemples suivants :

(55)
and hi noldon me þa agifan.
et ils-NOM NEG+voulaient-IND.PRET me elle-ACC rendre.

et ils ne voulaient pas me la rendre. (coapollo,ApT :50.10.534 ; 1050)

(56)
Nat he þara goda þæt he me ongean slea.
NEG+connaît-PRES il-NOM ces-GEN outils-GEN que il-NOM moi-DAT contre tue-SUBJ.PRES.

Il ne connaît pas de bons outils avec lesquels se battre contre moi. (cobeowul,22.681.574 ; 680)

(57)
... þæt he þa weorþuncge Eastrena on riht ne heold ne nyste.
... ce que il-NOM le-ACC culte-ACC Pâques-GEN correct-ACC NEG respectait-IND.PRET ni NEG+connaissait-PRET.

... what he imperfectly understood in relation to the observance of Easter ce qu´il ne comprenait qu´imparfaitement du culte de Pâques. (cobede, Bede_3 :14.206.1.2087 ; 890)

Chose frappante, ce phénomène de fusion, même s´il n´est pas obligatoire, ne se produit que sur cette classe particulière de verbes (et sur wesan et habban), mais pas sur les verbes forts et ni sur les verbes faibles.

Résumons donc les différences des verbes perfecto-présents :

  1. Ils entretiennent une relation particulière avec la négation, puisqu´il peut y avoir fusion entre la particule adverbiale négative et le perfecto-présent.

  2. Morphologiquement, ils se différencient des autres classes de verbes du point de vue de leur flexion verbale. Le pluriel du présent de l´indicatif n´est pas identique à celui des verbes forts et faibles, et il y a alternance vocalique entre la forme infinitive et les formes du présent de l´indicatif.

  3. Les perfecto-présents peuvent généralement avoir pour complément :

Lorqu´un infinitif suit un verbe lexical (fort ou faible), celui-ci appartient à un TP ou un CP selon le type de verbe (une analyse plus approfondie est faite dans la section suivante (note: )). La structure de ces phrases (hormis les causatives) est alors :

(58)
(58.a)
Tree 26
(58.b)
Tree 27
(59)
Þa het he hraðe his þegnas hine secan & acsian.
Alors ordonna-IND.PRET il-NOM immédiatement ses vassaux-ACC lui-ACC chercher & appeler.

Après quoi il ordonna immédiatement à quelques soldats d´aller le chercher. (cobede,Bede_1 :7.34.25.280)

(60)
... þæt seolfe he ne blinneþ mærsian & weorþian a butan ende.
... que même-NOM il-NOM NEG cesse-IND.PRES glorifier & célébrer toujours sans fin.

... qu´il ne cesse jamais de [le] glorifier et de [le] célébrer sans fin. (cobede, Bede_5 :20.474.6.4756)

Prenons l´exemple (59) (maintenant (61.a)) et donnons-en la représentation (qui vaudra pour l´exemple (60)).

(61)
(61.a)
Þa het he hraðe his þegnas hine secan & acsian.
Alors ordonna-IND.PRET il-NOM immédiatement ses vassaux-ACC lui-ACC chercher & appeler.

Après quoi il ordonna immédiatement à quelques soldats d´aller le chercher. (cobede,Bede_1 :7.34.25.280)

(61.b)
Tree 28

Tous les exemples que nous venons de donner nous permettent de dire que les verbes perfecto-présents, lorsqu´ils sont lexicaux, sont générés sous V. Lorsqu´ils sont semi-lexicaux, ils sont générés sous vModal, et nous émettons l´hypothèse que ce sont des verbes de montée ayant une structure ressemblant aux structures causatives de l´anglais contemporain. Ils fonctionnent comme des opérateurs, ils font partie de l´événement de la phrase, mais ils ne sont pas l´événement : en cela, ils sont « causatifs » (et ils semblent avoir une syntaxe similaire). De plus, ils ne possèdent pas d´argument externe (c´est-à-dire de sujet, le sujet étant celui du verbe non fini) et ils n´assignent pas de cas à leur complément. C´est le verbe à l´infinitif qui assigne le θ-role au sujet et à l´objet. Cependant, il y a accord visible entre le sujet et le perfecto-présent.

2.4.1. La tête fonctionnelle v

En début de chapitre, les différents exemples utilisés nous ont permis de définir trois têtes fonctionnelles : C, T et Neg (bien que nous n´ayons pas défini sa position syntaxique). Nous allons maintenant en définir une quatrième : petit v (que nous avons déjà introduit dans notre analyse), laquelle appartient aussi aux catégories fonctionnelles principales d´une phase. Dans Chomsky (1998) : 15, v est un « verbe léger », qui est la tête des constructions transitives. Il doit toujours être sélectionné par une catégorie fonctionnelle, T. v sélectionne à son tour un VP et un syntagme nominal (NP) (qui est alors l´argument externe de v). Tout comme C et T, il possède un trait EPP. Dans le cadre minimaliste, C et v définissent les phases fortes d´une dérivation. Illustrons notre propos en VA.

(62)
... þa cliopode heo hi hire to mid liðere spræce.
... alors appella-PRET elle-NOM lui-ACC elle-DAT à avec douce-DAT parole-DAT.

... elle l´appella alors à elle avec une douce parole. (coapollo,ApT :2.14.24)

La structure de cette phrase est la suivante :

(63)
Tree 29

Dans cette structure, il y a deux phases fortes, vP et CP. Le locuteur choisit d´abord des éléments dans son lexique, chaque élément correspondant à une catégorie. Le verbe et les compléments sont générés sous VP, lequel est sémantiquement sélectionné par v. C´est pourquoi V fusionne avec v, qui est la tête de transitivité de la phrase, et la première phase forte. Le sujet en Spec,vP satisfait le trait EPP de TP. Il y a ensuite adjonction d´un Spec supplémentaire à vP, c´est l´argument interne qui occupe cette position.

Le locuteur choisit donc des éléments dans le lexique :

Puis les composants choisis se mettent en place :

(64)
Tree 30

A ce stade, la dérivation peut capoter car les traits de temps du verbe et les traits de T n´ont pas été satisfaits. De fait, il ne peut y avoir Epélation. v va donc fusionner avec T et ainsi satisfaire les traits (ininterprétables) de temps de T, et le sujet en position Spec, vP va monter sous Spec,TP pour satisfaire les traits ϕ de T. Une fois satisfaits, les traits de temps et les traits ϕ du sujet sont effacés. L´épélation ne se fait toujours pas puisque TP n´est pas une phase forte. Comme nous l´avons mentionné, T est sémantiquement sélectionné par C. La fusion de l´adverbe de temps þa sous Spec,CP induit le mouvement de v à C. Dès lors, la dérivation est terminée et peut être épelée.

Nous venons de souligner l´existence d´une autre tête fonctionnelle, v. Nous laissons pour l´instant de côté la tête fonctionnelle Neg, que nous allons traiter plus loin.

Dans la Morphologie Distribuée (DM) de Halle et Marantz, et particulièrement dans Marantz (1999), v a les traits suivants :

  1. Il identifie un verbe.

  2. Il fournit une sémantique événementielle.

  3. Il fournit une sémantique agentive pour les constructions agentives.

  4. Il fusionne avec un argument externe.

  5. Il entretient une relation d´accord avec l´objet (l´argument interne).

Selon Marantz, les traits 1 à 3 vont ensemble, c´est-à-dire le contenu sémantique de v agit sur la phrase. Pour un v particulier, on peut avoir les traits 1 à 3, sans les traits 4 et 5, tout comme on peut avoir les traits 4 et 5 sans les traits 2 et 3.

D´après notre hypothèse, vModal possède les traits 1, 2 et 3 : il identifie un verbe semi-lexical (que l´on peut considérer comme un « opérateur ») qu´est le perfecto-présent, il fournit une sémantique événementielle (il ajoute un complément d´information à la relation mise en place par le verbe non fini), et il pourrait fournir une sémantique agentive (cependant, un verbe de montée fournit-il une sémantique agentive ?). Mais il ne possède pas les traits 4 et 5 car l´argument externe fusionne avec le verbe non fini, et il n´y a pas d´accord avec le verbe infinitif (il ne lui assigne pas de cas).

2.5. Existence de deux positions pour les perfecto-présents

A ce stade de notre travail, nous postulons donc l´existence de deux positions syntaxiques pour les perfecto-présents :

  1. La position V lorsque le perfecto-présent est transitif direct (suivi d´un NP), indirect (suivi d´un PP) ou bitransitif (suivi de deux objets).

  2. Une position que nous nommons vModal, lorsque le perfecto-présent est transitif (le complément est un verbe infinitif (un VP)). Concernant cette dernière, elle est hiérarchiquement plus basse que T.

2.5.1. Les structures infinitives

Pour notre analyse, il va être nécessaire de définir ce qu´est une structure infinitive, et la ou les différence(s) que l´on peut remarquer selon que le verbe fini est lexical ou semi-lexical.

L´analyse des sections précédentes nous permet de dire qu´il existe, en VA, deux positions syntaxiques pour les perfecto-présents, selon qu´ils sont employés comme verbes lexicaux (suivi d´un objet), ou comme verbe semi-lexicaux (suivi d´un autre verbe à l´infinitif). Dans le premier cas, la position syntaxique est V, dans le second, c´est la position vModal. L´exemple qui suit illustre à nouveau cette première position syntaxique. Et dans les deux cas de figure, le sujet est généré sous Spec,vP (mais, lorsque vP est implicite dans nos structures, le sujet est sous Spec,VP).

(65)
(65.a)
Ac sio ðeod þone cræft þæs fiscaþes ne cuðe, ...
Mais le-NOM peuple-NOM le-ACC métier-ACC la-GEN pêche-GEN NEG connaissait-PRET, ...

Mais le peuple ne connaissait pas l´art de la pêche, ... (cobede,Bede_4 :17.304. 10.3076 ; 890)

(65.b)
Tree 31

Quand le perfecto-présent n´a pas pour complément un NP, il a pour complément un VP dans lequel on trouve un verbe infinitif.

Regardons maintenant avec attention les structures infinitives dans lesquelles est présent soit un verbe lexical, soit un verbe perfecto-présent, et ce afin de définir les différences syntaxiques entre ces deux types de verbes.

En anglais contemporain, les propositions infinitives ont les structures suivantes, selon qu´il s´agit d´un verbe lexical (structures (66.b), avec TO, et (67.b), sans TO), ou d´un verbe modal (structure (68.b)) :

(66)
(66.a)

They want to stay.

(66.b)
Tree 32
(67)
(67.a)

They heard John cry.

(67.b)
Tree 33
(68)
(68.a)

Mary can swim.

(68.b)
Tree 34

Le verbe à l´infinitif est le complément du modal, et il est généré sous VP. Concernant les autres types d´infinitives (dans lesquelles le verbe fini est un verbe lexical), ce sont des propositions : c´est une phrase complexe avec un verbe fini et un verbe non fini. Quant au V lexical, il ne monte pas à T, mais c´est l´affixe de temps qui va descendre à V, c´est ce qu´on appelle le saut de l´affixe (Affix Hopping).

Qu´en est-il maintenant en vieil-anglais ? Les propositions infinitives suivant les perfecto-présents appartiennent-elles à un VP (l´hypothèse que nous avons émise) ? Avant d´analyser ces propositions, intéressons-nous aux infinitives qui suivent un verbe (fini) lexical.

Dès la période VA, nous trouvons deux types de propositions infinitives : celles qui sont introduites par TO (exemples (69) à (75)), et celles qui ne sont pas introduites par TO (exemples (59) et (60)).

(69)
ræd eahtedon hwæt swiðferhðum selest wære wið færgryrum to gefremmanne.
conseil-ACC considérèrent-IND.PRET qui-NOM vaillants-DAT le meilleur-NOM était-SUBJ.PRET avec horreur extrême-DAT TO suivre-DAT.

(ils) cherchèrent un plan, ce qui serait le mieux de faire contre ces attaques affreuses pour les hommes vaillants qu´ils étaient. (cobeowul,8.171.138)

(70)
No þæt yðe byð to befleonne.
Nullement cela-NOM facile-NOM est-IND.PRES TO disparaître-DAT.

Il n´est pas facile de disparaître. (cobeowul,32.1002.835)

(71)
and þæt gefremed man gewilnode to bediglianne.
et cet-ACC étranger-ACC homme-ACC désira-PRET TO cacher-DAT.

et (il) désira cacher cet étranger. (ApolT,ApT :1.14.13)

(72)
willaþ þæt gewrecan gif we magon, þeah we beotiaþ to .
voulons-IND.PRES le-ACC venger si nous pouvons-IND.PRES, même si nous-NOM menaçons-IND.PRES TO ∅.

et désirons, si nous le pouvons, nous venger, et (si nous ne le pouvons) nous menacerons néanmoins de le faire. (coblick, HomS_10_[BlHom_3] :33.127.447)

(73)
& het him to gelangian þa ylcan Gotan.
& ordonna-IND.PRET lui-DAT TO envoyer les-ACC mêmes-ACC Goths-ACC.

& il lui ordonna d´envoyer les mêmes Goths. (cogregdH,GD_1_[H] :10.80.10.794)

(74)
Eft þæs on mergen het se manfulla dema þa eadigan Agnen him to gefeccan.
Encore cela-GEN au lendemain-ACC ordonna-IND.PRET le-NOM méchant-NOM juge-NOM la-ACC sainte Agnes-ACC lui-DAT TO chercher.

Le lendemain matin, le méchant juge ordonna d´aller chercher à nouveau sainte Agnès. (coaelive,ÆLS[Agnes] :91.1774)

(75)
Ða cwæð to him oþer of hys leorningcnihtum, Drihten, alyfe me ærest to farenne & bebyrigean minne fæder.
Alors dit-IND.PRET à lui-DAT autre-NOM de ses disciples-DAT, Seigneur-NOM, permette-SUBJ.PRES moi auparavant TO aller-DAT & enterrer mon-ACC père-ACC.

Alors, un autre de ses disciples lui dit : que le Seigneur me permette d´aller d´abord enterrer mon père. (cowsgosp,Mt_[WSCp] :8.21.462)

Si l´on regarde attentivement ces exemples, nous remarquons que lorsqu´une proposition infinitive est introduite par TO, cet infinitif peut être marqué casuellement par un datif, ce qui ne semble pas être le cas lorsque TO est absent. C´est ce que l´on a vu dans l´exemple (72) : il y a ellipse du verbe non fini (ce qui montrerait que TO devient une tête fonctionnelle ; c´est ce que nous allons voir plus loin). Par contre, dans l´exemple (73), l´infinitif est non marqué. On peut alors se demander ce que représente syntaxiquement ce TO : est-ce la tête fonctionnelle que nous connaissons en AC, ou bien, est-ce une préposition qui régit le cas datif, ou encore, est-ce un item semi-lexical, auquel cas ce TO suivrait le même cheminement syntaxique que les perfecto-présents ? Au vu des exemples précédents, nous pouvons considérer TO comme une préposition semi-lexicale (i.e. qui se grammaticalise) qui régit le datif (voir Roberts, Roussou (2003)). Cependant, la représentation syntaxique de cet élément serait la tête fonctionnelle T possédant un trait [+dat] qui est vérifié par le trait [+dat] de l´infinitif (si ce trait est marqué).

Nous allons maintenant illustrer notre propos avec les trois exemples suivant : (76) où TO n´apparaît pas, (77) dans lequel le verbe non fini est précédé de TO et le sujet de la proposition infinitive est visible, et (79.a) dans lequel le sujet de l´infinitive (PRO) est contrôlé par le sujet de la phrase.

(76)
Þa het he hraðe his þegnas hine secan & acsian.
Alors ordonna-IND.PRET il-NOM immédiatement ses vassaux-ACC lui-ACC chercher & appeler.

Après quoi il ordonna immédiatement à quelques soldats d´aller le chercher. (cobede,Bede_1 :7.34.25.280)

(77)
and þæt gefremed man gewilnode to bediglianne.
et cet-ACC étranger-ACC homme-ACC désira-PRET TO cacher.

et (il) désira cacher cet étranger. (coapollo,ApT :1.14.13)

Dont la structure est la suivante,

(78)
Tree 35

Quant à l´exemple

(79)
(79.a)
No þæt yðe byð to befleonne.
Nullement cela-NOM facile-NOM est-IND.PRES TO disparaître-DAT.

Il n´est pas facile de disparaître. (cobeowul,32.1002.835)

(79.b)
Tree 36

Dans les exemples (80) à (84), nous redonnons des occurrences de perfecto-présents suivis d´un infinitif dans les exemples (80) à (82), ils sont suivis d´une proposition infinitive dans laquelle le verbe non fini est réalisé, mais, dans les exemples (83) à (84), il y a ellipse du verbe non fini.

(80)
ne mihte snotor hæleð wean onwendan.
NEG pouvait-PRET sage-NOM héros-NOM tristesse-ACC changer.

ni le sage héros ne pouvait laisser de côté sa tristesse. (cobeowul,8.189.153)

(81)
ic geðristlæhte þæt ic dorste þis weorc ongynnan.
je-NOM supposais-PRET que je-NOM osais-PRET ce-ACC travail-ACC commencer.

je supposais que j´avais osé commencer ce travail. (cobede,BedePref :4.10.163)

(82)
and hi noldon me þa agifan.
et ils-NOM NEG+voulurent-IND.PRET me elle-DAT donner.

et ils ne voulurent pas me la donner. (coapollo,ApT :50.10.534)

(83)
cwæð heo : Wilt ðu, wit unc abidde ondrincan. Cwæð ic : Ic wille ∅...
dit-IND.PRET elle-NOM : veux-IND.PRES tu-NOM, nous deux-NOM appeler-SUBJ.PRES boire. Dis-IND.PRET je-NOM : je-NOM veux-PRES ∅...

elle dit, « Voudriez-vous que je fasse chercher quelque chose à boire ? » « Oui, » répondis-je, « j´en serais ravi si vous le pouviez. » (cobede,Bede_5 :3.392.32.3921)

(84)
unc sceal worn fela maþma gemænra ∅, siþðan morgen bið.
nous-DAT doit-IND.PRES beaucoup-NOM nombreux trésors-GEN précieux-GEN ∅, puisque matin-NOM est-IND.PRES.

(et) nous partagerons beaucoup de trésors précieux, dès que le matin sera là. (cobeowul,55.1782.1472)

2.5.2. Les structures causatives

En anglais contemporain, les verbes dits « causatifs » sont des verbes opérateurs : ils ne sont ni lexicaux ni auxiliaires, ils font partie de l´événement mais ils ne sont pas l´événement. Un verbe causatif est un v qui possède les traits 1 à 5 que nous avons déjà mentionnés dans la Section 2.4.1 : il identifie un verbe, il fournit un sémantique événementielle et agentive, il fusionne avec un argument externe et il entretient une relation d´accord avec l´objet. Redonnons quelques exemples de verbes causatifs en anglais contemporain, puis regardons le vieil-anglais afin de savoir si nous trouvons de telles occurrences.

(85)

He had them eat the cake.

(86)

He made him cry.

La structure de ce dernier exemple est,

(87)
Tree 37

Dans les structures causatives de l´anglais contemporain, le complément du verbe fini est un VP. Qu´en est-il en VA ? Nous avons regardé les occurrences du verbe don « causer, faire » :

(88)
(...) doð foroft drymen & wiccan on heora scincræfte, to beswicenne...
(...) causent-IND.PRES très souvent magiciens-NOM & devins-NOM par leur magie-DAT, TO décevoir-DAT...

Très souvent, par leur magie, les magiciens et les astrologues deçoivent... (coaelhom,ÆHom_18 :91.2543)

(89)
Þone oðerne dæl he dyde gehealden mid him to bebyrgenne æfter his forðsiðe.
Cette-ACC autre-ACC parole-ACC il-NOM causa-PRET observer avec lui-DAT TO enterrer-DAT après son-DAT déces-DAT.

il fit observer cette autre parole en sa présence pour lui ériger une sépulture après sa mort. (coaelive,ÆLS_[Basil] :123.531)

(90)
and dydon on wæter wanhalum to þicgenne, ...
et causèrent-IND.PRET sur eau-ACC croupie-DAT TO boire-DAT, ...

et ils firent boire cette eau croupie, ... (coaelive,ÆLS_[Oswald] :200.5496)

(91)
Ond heo leornunge godcundra gewreota hire underþeodde dyde to bigongenne, ...
Et elle-NOM savoirs-DAT sacrés-GEN écritures-GEN elle-DAT assujetti-P.PASSE-DAT causa-PRET TO suivre-DAT, ...

Et elle obligea ceux qui étaient sous sa direction d´assister à la lecture des Ecritures Saintes, ... (cobede,Bede_4 :24.334.16.3354)

Ce dernier exemple a la structure suivante (laquelle vaut pour les autres occurrences, même l´exemple (89) où le TO n´est pas visible) :

(92)
Tree 38

Au vu des ces exemples (peu nombreux dans notre corpus), la structure infinitive de ce verbe causatif en VA est un TP, et non un VP (comme l´anglais contemporain). En cela, ils diffèrent des perfecto-présents qui prennent pour complément un VP.

Revenons à nos exemples concernant ces derniers. Le perfecto-présent (fini) est suivi d´un infinitif dans (80) à (82). Dans les exemples (83) à (84), le verbe fini est seul, mais il y a ellipse de l´infinitif. Nous allons maintenant analyser la structure de ces verbes et montrer que le complément infinitif est bien un VP. De ce fait, nous pourrons différencier les verbes causatifs des verbes perfecto-présents et affirmer que les verbes causatifs sont des V, alors que les perfecto-présents sont des vModal (car, selon l´analyse de v dans Marantz (1999), notre vModal ne possède que trois traits sur cinq, dont deux ne concernent que la sémantique). Avant de commencer notre analyse, reprenons quelques exemples que nous avons déjà mentionnés :

(93)
willaþ þæt gewrecan gif we magon, þeah we beotiaþ to ∅.
voulons-IND.PRES le-ACC venger si nous pouvons-IND.PRES, même si nous-NOM menaçons-IND.PRES TO ∅.

et désirons, si nous le pouvons, nous venger, et (si nous ne le pouvons) nous menacerons néanmoins de le faire. (coblick, HomS_10_[BlHom_3] :33.127.448)

(94)
... þæt heo his wedenheortnisse gestilden, ac heo ne meahton ∅.
... que il-NOM sa folie apaisèrent-SUBJ.PRET, mais il-NOM NEG put-IND.PRET ∅.

... fit tout ce qu´il put pour apaiser la folie de ce pauvre homme, mais il n´y arriva pas. (cobede,Bede_3 :9.184.32. 1853)

(95)
unc sceal worn fela maþma gemænra ∅, siþðan morgen bið.
nous-DAT doit-IND.PRES beaucoup-NOM nombreux trésors-GEN précieux-GEN ∅, puisque matin-NOM est-IND.PRES.

(et) nous partagerons beaucoup de trésors précieux, dès que le matin sera là. (cobeowul,55.1782.1472)

La première étape de notre analyse va être de mettre en parallèle l´exemple (93) et les exemples (94) à (95). Les différents exemples dans lesquels l´infinitive était introduite par TO nous ont montré que ce même TO tendait à être une tête fonctionnelle (c´est-à-dire une préposition semi-grammaticale). L´exemple (93) nous confirme ce point : avec l´ellipse de la base verbale, TO est considéré ici comme une tête fonctionnelle (que nous supposons être T) ; si TO avait été une préposition, il n´y aurait pas eu ellipse du verbe. Nous proposons de faire un parallèle entre cette structure (où TO est, pensons-nous, généré sous T) et les structures (94) à (95) : cette analyse va nous permettre de montrer que la position, dans laquelle sont générés les perfecto-présents lorsqu´ils sont suivis d´un infinitif, est vModal. Le parallèle que nous faisons est donc le suivant : quand il y a ellipse du verbe non fini, les têtes accueillant TO et le perfecto-présent sont toutes deux des têtes « fonctionnelles ». La structure est alors sensiblement la même : à TO + V correspond la structure suivante :

(96)
Tree 39

et à la structure Perf.Pres. + V correspond la structure suivante (dans laquelle le sujet est généré sous Spec,VP et fusionne avec Spec,TP : en ce sens, nous pouvons parler de structure de montée concernant les perfecto-présents, mais nous allons y revenir) :

(97)
Tree 40

D´après cette structure, il semblerait donc que le perfecto-présent soit un verbe de montée : le sujet sémantique du verbe non fini monte à Spec,TP pour devenir le sujet grammatical (il y a alors accord visible avec le perfecto-présent).

Reprenons maintenant les exemples (93) et (94) (maintenant (98.a) et (99.a)) et donnons-en la structure.

(98)
(98.a)
willaþ þæt gewrecan gif we magon, þeah we beotiaþ to ∅.
si nous pouvons-IND.PRES, même si nous-NOM menaçons-IND.PRES TO ∅.

et désirons, si nous le pouvons, nous venger, et (si nous ne le pouvons) nous menacerons néanmoins de le faire. (coblick, HomS_10_[BlHom_3] :127.446)

(98.b)
Tree 41
(99)
(99.a)
þæt heo his wedenheortnisse gestilden, ac heo ne meahton ∅.
... que il-NOM sa folie apaisèrent-SUBJ.PRET, mais il-NOM NEG put-IND.PRET ∅.

... fit tout ce qu´il put pour apaiser la folie de ce pauvre homme, mais il n´y arriva pas. (cobede,Bede_3 :9. 184.32.1854)

(99.b)
Tree 42

Affinons encore notre analyse des perfecto-présents afin d´accentuer la différence syntaxique d´avec les autres verbes. Les exemples que nous allons regarder sont :

  1. des occurrences ayant la structure MD + INF + OBJ-ACC,

    (100)
    Mæssepreost sceal habban mæsseboc and pistelboc, and sangboc and rædingboc and saltere and handboc (...).
    Prêtre-NOM doit-IND.PRES avoir livre de prière-ACC et livre des évangiles-ACC, et livre des chants-ACC et livre de lecture-ACC et psaumes-ACC et manuel-ACC (...).

    Le prêtre doit posséder le livre des prières, le livre des évangiles, le livre des chants, celui des psaumes et le manuel. (colwstan1,ÆLet_2_[Wulfstan_1] :157. 226)

    (101)
    Hwylc man is þæt mæge ariman ealle þa sar & þa brocu þe se man to gesceapen is ?
    Quel-NOM homme-NOM est-IND.PRES que puisse-SUBJ.PRES énumérer toute-ACC la-ACC souffrance-ACC & les-ACC maladies-ACC que le-NOM homme-NOM à destiné-P.PASSE est-IND.PRES ?

    Quel est l´homme qui peut énumérer toute la souffrance et toutes les maladies auxquelles il est déstiné ? (coblick,HomS_17_[BlHom_5] :55.99.795)

    (102)
    forþon þe heo wolde gehyran his word & his lare.
    parce que elle-NOM voulait-PRET entendre sa parole-ACC & son savoir-ACC.

    car elle voulait entendre sa parole et son savoir. (coblick, HomS_21_[BlHom_6] :67.30.825)

    (103)
    Hwæt, hi eac witon hwær hi eafiscas secan þurfan, ...
    Quoi, ils-NOM ainsi savent-IND.PRES ils-NOM poissons de rivière-ACC chercher ont besoin-IND.PRES, ...

    Quoi, ils savent donc où chercher les poissons dont ils ont besoin, ... (cometboe,176.19.24.318)

  2. des occurrences ayant la structure MD + OBJ-ACC + INF,

    (104)
    Tealde & wende þæt he mid swinglan sceolde þa beldu & þa anrednesse his heortan anescian, ða he mid wordum ne mihte.
    dit-PRET & traduisit-PRET que il-NOM avec coup de fouet-DAT devait-PRET le-ACC courage-ACC & la-ACC persévérance-ACC son cœur-GEN affaiblir, que il-NOM avec paroles-DAT NEG pouvait-PRET.

    il dit et traduisit qu´il devait affaiblir le courage et la persévérance de son cœur en se flagellant, ce qu´il ne pouvait pas faire par les mots. (cobede,Bede_1 :7. 36.32.307)

    (105)
    ac he ma wile his treowa & his gehat wið þe gehealdan...
    mais il-NOM plus veut-PRES son accord-ACC & sa promesse-ACC avec toi tenir...

    mais il ne voudra plus tenir sa promesse envers toi... (cobede,Bede_2 :9. 130.24.1253)

    (106)
    þæt us mæg þa gyfe syllan ecre eadignesse & eces lifes hælo.
    cela-NOM nous peut-IND.PRES le-ACC don-ACC donner éternelle-GEN bonheur-GEN & éternelle-GEN vie-GEN salut-ACC.

    cela peut nous faire don du salut, du bonheur et de la vie éternelles. (cobede,Bede_2 :10.136.15.1320)

    (107)
    Nu nealæceþ þæt we sceolan ure æhta & ure wæstmas gesamnian.
    Maintenant approche-IND.PRES que nous-NOM devons-IND.PRES nos-ACC biens-ACC & nos-ACC fruits-ACC unir.

    Le temps est proche maintenant où nous devons rassembler nos biens. (coblick, HomS_14_[BlHom_4] :39.1.509)

    (108)
    Sum mæg ryne tungla secgan.
    Certain-NOM peut-IND.PRES course-ACC étoiles-ACC dire.

    Certains peuvent prédire la course des étoiles. (cochrist,21.671.453)

    (109)
    ... þæt he sceolde boccræftas & gewrita wisdomas leornian.
    ... que il-NOM devait-PRET science-ACC & écritures-GEN savoir-ACC apprendre.

    ... qu´il devait apprendre la science et le savoir des écritures. (cogregdC, GDPref_2_[C] :95.10.1078)

    (110)
    mæg ic ana eower gemang acuman & eower swarnyssa & eowre saca.
    Nullement peut-IND.PRES je-NOM un votre-ACC assemblée-ACC endurer & votre-ACC lenteur-ACC & vos-ACC ennemis-ACC.

    Je ne peux en aucun cas supporter ni votre assemblée, ni votre lenteur, ni vos ennemis. (cootest,Deut :1.11.4454)

  3. des occurrences ayant la structure V + INF + OBJ-ACC,

    (111)
    Þa heht heo gesomnian ealle þa gelæredestan men & þa leorneras :
    Alors ordonna-IND.PRET il-NOM rassembler tous-ACC les-ACC ecclésiastiques-ACC hommes-ACC & les-ACC disciples-ACC...

    On lui ordonna, en présence de tous les hommes savants... (cobede, Bede_4 :25.344.20.3463)

    (112)
    Broðor mine, nu we gehyrdon secgan þa weorðunga þyses ondweardan dæges...
    Frère-NOM mien-NOM, maintenant nous-NOM entendions-IND.PRET dire le-ACC célébration-ACC ce-GEN présent-GEN jour-GEN...

    Mon frère, nous avons alors entendu parler de cette célébration du présent jour... (coblick,HomS_47_[BlHom_12] :137.106.1661)

    (113)
    & het sceawian ðæt land & ða buruh Iericho, ...
    & souhaita-IND.PRET regarder ce-ACC pays-ACC & la-ACC ville-ACC Jéricho, ...

    il souhaita visiter ce pays et la ville de Jéricho, ... (cootest,Josh :2.1.4382)

  4. des occurrences ayant la structure V + OBJ-ACC + INF,

    (114)
    Þa het se cyning sona neoman þone mete & þa swæsendo...
    Alors ordonna-IND.PRET le-NOM roi-NOM bientôt prendre cette-ACC vinade-ACC & cette-ACC nourriture-ACC...

    Bientôt le roi ordonna que l´on dispose la viande et la nourriture devant lui... (cobede, Bede_3 :4.166.6.1591)

Avec ces exemples, nous allons essayer de montrer que la syntaxe des verbes lexicaux et des perfecto-présents est différente lorsque l´objet est marqué à l´accusatif : vModal n´assigne pas de cas, et sémantiquement, l´objet est lié à un V lexical.

Nous proposons donc que dans les structures où apparaissent des perfecto-présents, l´objet, qu´il soit placé entre le modal et l´infinitif, ou après l´infinitif, est sémantiquement lié au V infinitif : il est effectivement l´objet de ce V (il en est de même pour le sujet qui sera sémantiquement celui du V, avant de devenir le sujet grammatical du perfecto-présent). Nous émettons l´hypothèse que les perfecto-présents, dans ces structures, sont des verbes de montée, et ce dès le vieil-anglais.

Par contre, dans les structures où nous avons deux verbes lexicaux (V fini, V non fini), deux cas pourront se présenter : soit l´objet est lié au verbe fini (c´est ce verbe qui assigne le cas à l´objet), soit il est lié au verbe non fini, et, dans ce cas, il est le sujet de ce verbe non fini.

Dans le corpus VA, lorsque nous avons regardé les occurrences des verbes perfecto-présents et verbes lexicaux confondus, plus de deux tiers présentent des perfecto-présents, quant au dernier tiers, on trouve majoritairement des exemples avec deux verbes lexicaux : hetan et habban.

Ces exemples nous permettent de souligner la syntaxe des perfecto-présents, et de valider notre hypothèse d´un vModal : les objets marqués à l´accusatif sont sémantiquement ceux des verbes non finis. Il apparaît donc que les perfecto-présents, syntaxiquement, ne fonctionnent pas de la même manière que les verbes lexicaux.

Nous remarquons aussi que les objets marqués à l´accusatif sont les objets sémantiques des verbes finis, à la différence des perfecto-présents qui n´ont pas d´objet (autre que le VP).

On en déduit donc que les perfecto-présents ne sont pas des verbes lexicaux en VA (mais semi-lexicaux) : ce ne sont pas des V puisqu´ils n´ont pas d´objets auxquels ils peuvent assigner un cas accusatif. De plus, dès cette époque primitive, les perfecto-présents sont des verbes de montée. Ces deux comportements syntaxiques nous permettent de dire que ces mêmes verbes sont ainsi générés sous une position syntaxique différente de V : vModal.

2.5.3. La position vModal

Nous venons de voir que pour les verbes perfecto-présents, nous pouvions trouver deux types de structures :

  1. Perf.Pres + NP ou,

  2. Perf.Pres + Infinitif (VP).

Dans le premier cas, le perfecto-présent est un verbe lexical comme les verbes forts et les verbes faibles. Dans le second cas (et c´est ce que nous venons de voir), quand il est suivi d´un infinitif, il est directement généré sous vModal, mais le sujet est lui généré sous Spec,vP. Nous avons donc proposé que la tête fonctionnelle vModal domine V dans la hiérarchie syntaxique. A cette période de la langue, les perfecto-présents ne sont pas encore grammaticaux (et ne peuvent donc pas encore être générés sous T). C´est pour cela qu´on les a appelés semi-lexicaux.

Les exemples qui suivent (avec WITAN et MUNAN notamment) illustrent le statut lexical des perfecto-présents. La syntaxe peut être Pref.Pres + NP ou Pref.Pres + CP.

(115)
... wite þu þæt Apollonius ariht arædde mynne rædels ?
... sais-PRES tu-NOM que Apollonius-NOM bien a interprété-PRET mon-ACC énigme-ACC ?

... sais-tu qu´Apollonius a bien interprété mon énigme ? (coapollo,ApT :6.1.76)

(116)
Ac gemyne þu þæt þu þisne ele, þe ic þe nu sylle, synd in þa .
Mais te rappelles-IND.PRES tu-NOM que tu-NOM ces-ACC huiles-ACC, lesquelles je-NOM toi toujours produis-PRES, sont-IND.PRES dans la-ACC mer-ACC.

Mais souviens-toi que tu dois jeter l´huile que je t »ai donnée à la mer. (cobede,Bede_3 :13.200.4.2025)

(117)
wolde þæt he in þon ongete, þæt þæt mon ne wæs, se þe him æteawde, ...
voulut-PRET que il-NOM à travers cela-INSTR sût-SUBJ.PRET, que cet-NOM homme-NOM NEG était-IND.PRET, celui-NOM que lui-DAT révéla-PRET, ...

Grâce à cela, il voulut qu´il sût que cet homme n´était pas celui qui le révélât, ... (cobede,Bede_2 :9.130.16.1245)

(118)
men ne cunnon hwyder helrunan hwyrftum scriþað.
hommes-NOM NEG savent-IND.PRES monstres démoniaques-NOM sortie-DAT va-IND.PRES.

les hommes ne savent pas où les monstres sortis des enfers se dirigent. (cobeowul,7.162. 127)

Nous venons donc de définir deux positions syntaxiques pour les perfecto-présents : V, qui est la position syntaxique d´un perfecto-présent employé lexicalement, puis vModal, pour un perfecto-présent employé semi-lexicalement (i.e. suivi d´un infinitif).

Le perfecto-présent semi-lexical est donc directement généré sous vModal. Il fusionne ensuite avec T pour satisfaire ses traits de temps et ses traits ϕ (avec Spec,TP).

Reprenons l´exemple (33), maintenant (119.a), afin d´illustrer ce qui vient d´être dit.

(119)
(119.a)
... þæt he wið ælfylcum eþelstolas healdan cuðe, ða wæs Hygelac dead.
... que il-NOM contre ennemis-DAT ville royale-ACC administrer sut-PRET, depuis que était-IND.PRET Hygelac-NOM mort-NOM.

... qu´il sut administrer la ville royale contre les ennemis depuis la mort de Hygelac. (cobeowul,73.2367.1931)

(119.b)
Tree 43

L´infinitif assigne un θ-rôle au sujet. Le perfecto-présent est alors généré sous vModal. Pour que la dérivation ne capote pas, le sujet monte à Spec,TP, afin de satisfaire le trait [+EPP] de T. Puis, le perfecto-présent satisfait son trait de temps avec celui de T, et ses traits ϕ avec ceux du sujet sous Spec,TP. Une fois ces traits satisfaits, la dérivation peut être épelée.

2.6. Négation

Revenons maintenant à la tête fonctionnelle Neg. Les exemples (23) et (24) nous ont montré qu´il pouvait y avoir cliticisation de la particule adverbiale négative ne sur le perfecto-présent, et que cette particule précédait toujours immédiatement le verbe fini. Mais nous allons voir que cette cliticisation n´est pas obligatoire.

2.6.1. Concordance négative et critère Neg

2.6.1.1. Concordance négative

Comme dans toutes les langues germaniques, le VA connaît le phénomène de concordance négative : si dans une phrase il y deux constituants négatifs (ou plus), ceux-ci ne s´annulent pas, mais expriment conjointement une seule et même négation (voir Haegeman, Haeberli (1995)).

(120)
Siððan of þære tide nænig Sceotta cyninga ne dorste wið Angelþeode to gefeohte cuman oð ðysne andweardan dæg.
Quand de cette-DAT période-DAT aucun Ecosse-GEN rois-GEN NEG a osé-PRET contre Angleterre pour combat-DAT approcher jusqu´ici-ACC présent-ACC jour-ACC.

A paritr de ce moment-là, aucun des rois d´Ecosse n´a osé aller combattre l´Angleterre. (cobede,Bede_1 :18.92.24.856)

(121)
... no ðu ymb mines ne ðearft lices feorme leng sorgian.
... ni tu-NOM à propos moi-GEN NEG est nécessaire-IND.PRES corps-GEN repos-DAT plus longtemps s´affliger.

... ni n´as-tu besoin de t´occuper plus longtemps de mon corps. (cobeowul,16.448.374)

(122)
forðam þe Apollonius him ondræt þines rices mægna swa þæt he ne dear nahwar gewunian.
car Apollonius-NOM lui-même-DAT redoute-IND.PRES ce-GEN royaume-GEN puissance-ACC de sorte que il-NOM NEG ose-IND.PRES nulle part habiter.

car Apollonius lui-même redoute la puissance de son royaume, de sorte qu´il n´ose aller habiter nulle part ailleurs. (coapollo,ApT :7.17.108)

2.6.1.2. Critère Neg

Selon Haegeman (1995), le critère Neg détermine la syntaxe des phrases négatives. Dans ces phrases, tous les « N-words carry a semantic-syntactic feature Neg and this feature is subject to a specific licensing condition »(note: ). D´où l´introduction d´un critère Neg : « a NEG operator must be in a spec-head configuration with a X0 [+NEG] ; and an X0 [+NEG] must be in a spec-head configuration with a NEG operator » (Haegeman (1997) : 116) (note: ). Le critère Neg s´inspire du critère WH de Rizzi.

Dans le cadre minimaliste, ce n´est pas la relation Spec-tête qui est importante, mais la manière dont cette relation est satisfaite par la c-commande locale (recherche minimale dans un domaine minimal) : « Apparent SPEC-H relations are in reality head-head relations involving minimal search (local c-command) » (Chomsky (2001) : 12). On peut alors reformuler le critère Neg : toute tête négative doit être dans une relation de tête à tête avec un opérateur négatif, réalisé ou pas, dans son domaine minimal de recherche ; la tête négative c-commande alors localement un opérateur négatif.

2.6.2. La particule adverbiale négative ne et NegP

Revenons maintenant à la particule adverbiale négative ne. Selon l´analyse de Zanuttini dans Haegeman (1997), puisqu´elle précède le verbe fini, et qu´elle n´a pas besoin d´un autre constituant négatif pour qu´une phrase soit négative, la particule adverbiale ne est la tête d´une projection négative NegP. Reste à savoir où est située cette projection fonctionnelle. En suivant Zanuttini, nous proposons la position suivante :

(123)
Tree 44

Donnons maintenant l´illustration de la position NegP avec l´exemple (124).

(124)
ac he ne mæg for scame in gan buton scrude.
mais il-NOM NEG peut-IND.PRES par pudeur dans aller sans vêtements-DAT.

par pudeur, il ne peut pas entrer sans vêtements. (coapollo,ApT :14.15.267)

(125)
Tree 45

D´après le programme minimaliste de Chomsky, les constituants d´une phrase sont choisis dans le lexique déjà fléchis, c´est-à-dire que les noms ou les verbes portent les marques du singulier ou du pluriel, du genre, du nombre, de la personne, ... : ces marques représentent un ensemble de traits. Dès lors, pour qu´une dérivation soit grammaticale, chaque constituant doit voir son ensemble de traits satisfait par une catégorie (fonctionnelle) possédant les mêmes traits. Il en est de même pour la négation : celle-ci est choisie en même temps que le verbe fini, et possède un trait ininterprétable [+neg], lequel est satisfait par la tête fonctionnelle Neg, qui possède ce même trait. En même temps que la satisfaction de ce trait, il y a fusion de la tête Neg avec la tête T.

Selon la Morphologie Distribuée de Halle et Marantz, nous avons les étapes suivantes :

Nous avons d´abord, avant la fusion morphologique de T avec vModal,

(126)
Tree 46

puis après la fusion morphologique de T et vModal,

(127)
Tree 47

enfin, après la fusion morphologique de la tête Neg au complexe T+vModal,

(128)
Tree 48

Une fois ces différentes fusions morphologiques effectuées, il y a insertion lexicale.

2.6.3. ne et noht

A ce point de notre analyse, la phrase VA possède une tête fonctionnelle Neg. Dans notre corpus, nous n´avons trouvé que très peu d´exemples où apparaît not. Quand celui-ci apparaît conjointement à la particule adverbiale négative ne (il ne peut pas être la seule négation de la phrase à cette période de la langue), il est considéré comme un quantifieur négatif (dans le corpus VA Pintzuk, Leendert (2001) et (Taylor, Warner, Pintzuk, Beths (2003)). Cependant, il est marqué ACC, ce qui en fait le COD du verbe infinitif.

(129)
Þa ondswared he þæt he noht swylcra cræfta ne cuðe.
Alors répondit-PRET il-NOM que il-NOM rien-ACC tel-GEN métier-GEN NEG connaissait-PRET.

Il répondit alors qu´il ne connaissait rien d´un tel métier. (cobede,Bede_4 :23.328. 8.3291)

(130)
& cwæð : Ne con ic noht singan.
& dit-PRES : NEG sais-IND.PRES je-NOM rien-ACC chanter.

et il dit : je ne sais rien chanter. (cobede,Bede_4 :25.342.29.3445)

(131)
... forþon ic naht singan ne cuðe.
... car je-NOM rien-ACC chanter NEG savait-PRET.

... car je ne savais rien chanter. (cobede,Bede_4 :25.342.29.3446)

Dans ces cas-là, le critère Neg s´applique : il y a une relation entre Neg et le N négatif.

Illustrons l´exemple (130) :

(132)
Tree 49

Le critère Neg se met en place, sans que T bloque la relation de c-commande locale entre la tête Neg, ne et Q, naht. Puis, au niveau morphologique, il va y avoir fusion partielle de la tête Neg et de la tête T (pour avoir l´ordre linéaire ne).

2.6.4. Conséquence(s) de la concordance négative

Le VA peut avoir plusieurs constituants négatifs qui n´expriment qu´une seule et même négation, ne peut alors être associé à des adverbes négatifs. Dans l´optique de Cinque (1999), pouvons-nous dire qu´à ces adverbes négatifs correspondent des Specs de têtes fonctionnelles ? Notre hypothèse est qu´à chaque type d´adverbes correspond une tête fonctionnelle. Regardons quelques exemples.

(133)
forðam þe Apollonius him ondræt þines rices mægna swa þæt he ne dear nahwar gewunian.
car Apollonius-NOM lui-même-DAT redoute-IND.PRES le-GEN royaume-GEN puissance-ACC de sorte que il-NOM NEG ose-IND.PRES nulle part habiter.

car Apollonius lui-même redoute la puissance de son royaume, de sorte qu´il n´ose aller habiter nulle part ailleurs. (coapollo,ApT :7.17.108)

(134)
Ond he þes biscop ricum monnum no for are ne for ege næfre forswigian nolde, ...
Et il-NOM cet-NOM évêque-NOM puissants-DAT hommes-DAT ni à cause de prospérité ni à cause de crainte jamais cacher NEG voulut-PRET, ...

Il ne donnait jamais d´argent aux homme puissants (...) s´il lui arrivait de les divertir, ... (cobede,Bede_3 :3.162.12.1557)

Les exemples (133) et (134) montrent l´utilisation de ne conjointement avec un adverbe négatif (rappelons que les adverbes sont générés in situ). Quant à l´exemple (135), la seule négation de la phrase est l´adverbe négatif.

(135)
Na þu minne ðearft hafalan hydan...
Nullement tu-NOM ma-ACC as besoin-IND.PRES tête-ACC cacher...

Tu n´as vraiment pas besoin de cacher ma tête... (cobeowul,16.445.368)

Nous avons mentionné que le Critère Neg impliquait une relation de tête à tête. Aussi, les différents adverbes négatifs seront des têtes pour que le Critère Neg puisse s´appliquer.

Ainsi, l´adverbe de lieu nahwar dans l´exemple (133) et l´adverbe de temps næfre dans l´exemple (134) sont tous deux positionnés sous une tête Adv. La tête Neg c-commande alors ces deux adverbes (AdvPLieu et AdvPTemps). L´exemple (135) est plus intéressant : si l´adverbe est la seule négation de la phrase, où est-il positionné ? Nous proposons qu´il soit généré sous une position différente de celles précédemment décrites. Ce n´est pas Spec,CP, puisqu´il n´y a pas inversion sujet-verbe (comme dans les phrases où le premier élément est un constituant négatif, ou les adverbes þa/þonne (voir van Kemenade (1987) et Pintzuk (1991))). Ce n´est pas Neg1, auquel cas l´adverbe précède immédiatement le verbe fini. Il existe alors une position au-dessus de TP où est généré ce type d´adverbes (de temps). Nous proposons une tête différente de Neg : le critère Neg pourra alors s´appliquer.

(136)
Tree 50

Reprenons l´exemple (135) (maintenant (137.a)), et donnons-en la structure.

(137)
(137.a)
Na þu minne þearft hafalan hydan...
Nullement tu-NOM mienne-ACC as besoin-IND.PRES tête-ACC cacher...

Tu n´as vraiment pas besoin de cacher ma tête... (cobeowul,16.445.368)

(137.b)
Tree 51

Sous Neg, nous avons placé un élément vide : même si ne n´est pas réalisé, le critère Neg s´applique effectivement.

2.7. Adverbes et têtes fonctionnelles

Essayons maintenant de voir s´il existe autant de têtes fonctionnelles en VA qu´en anglais contemporain (nous suivons Cinque dans sa classification, sauf que nous considérons que les adverbes sont générés sous des têtes fonctionnelles (à chaque type d´adverbes correspond une tête fonctionnelle) et non des Specs). Pour ce faire, nous n´avons sélectionné que des exemples qui nous paraissaient pertinents, c´est-à-dire des exemples dans lesquels coexistent plusieurs adverbes, afin de voir si une hiérarchie existe.

(138)
Nænig heora þohte þæt he þanon scolde eft eardlufan æfre gesecean...
Aucun eux-GEN pensèrent-PRET que il-NOM de là devait-PRET souvent maison aimée-ACC jamais chercher...

Aucun d´entre eux ne pensait qu´à partir de ce moment il n´aurait jamais à chercher continuellement sa chère maison... (cobeowul,23.691.582)

(139)
sceolde hwæðre swa þeah æðeling unwrecen ealdres linnan.
devait-PRET si ainsi cependant prince-NOM impuni-NOM ancêtres-GEN perdre.

cependant un prince avait pu perdre la vie sans qu´il fût venger. (cobeowul,76.2441. 1992)

(140)
þonne wolde heo ealra nyhst hy baþian & þwean.
alors voulut-PRET elle-NOM tout-GEN enfin eux-ACC baigner & laver.

alors elle voulut enfin tous les baigner et les laver. (cobede,Bede_4 :21. 318.18.3198)

(141)
se sceal nede in helle duru unwillsumlice geniþerad geladed beon...
il-NOM doit-IND.PRES nécessairement dans enfer-GEN porte-ACC involontairement condamné-P.PASSE-NOM disculpé-P.PASSE être...

il sera très certainement damné et franchira la porte de l´enfer, qu´il le veuille ou non... (cobede,Bede_5 :15.442.21.4451)

(142)
No he wiht fram me flodyþum feor fleotan mihte...
Nullement il-NOM rien loin de moi-DAT vagues-DAT loin nager pouvait-PRET...

Il ne pouvait absolument pas nager loin de moi dans les vagues... (cobeowul,18.541.460)

(143)
ne mæg ic her leng wesan.
NEG peux-IND.PRES je-NOM ici plus longtemps rester.

je ne peux pas rester ici plus longtemps. (cobeowul,86.2799.2283)

(144)
Nales þæt sona þæt innstæpe & ungeþeahtenlice þæm gerynum onfon wolde þæs Cristenan geleafan...
Aucun cela immédiatement cela-ACC directement & rapidement les-DAT sacrements-DAT recevoir voulut-PRET les-GEN chrétiens-GEN croyances-GEN...

he would not immediately and unadvisedly embrace the mysteries of the Christian faith il ne voulut pas immédiatement et imprudemment embracer les mystères de la foi chrétienne... (cobede,Bede_2 :8.124.13.1180)

(145)
Ðæt hwæðre æðelice ongetan meahton ealle þa þæt cuðon.
Cela-ACC toutefois tout à fait comprendre pouvaient-IND.PRET tous-NOM ce-NOM que connaisaient-IND.PRET.

Toutefois, tous pouvaient comprendre tout à fait ce dont ils avaient connaissance. (cobede,Bede_4 :26.348.29.3518)

(146)
... þæt he ðær eac swylce bebyrged beon moste...
... que il-NOM aussi ainsi enterré-P.PASSE être devait-PRET...

... qu´il devait alors être aussi enterré là... (cobede,Bede_4 :30.374.1.3735)

(147)
Hwider mæg ic nu faran ?
puis-IND.PRES je-NOM maintenant aller ?

Où puis-je aller maintenant ? (coapollo,ApT :12.9.198)

(148)
Hat him findan hwar he hine mæge wurðlicost gerestan.
Ordonne-IMP lui trouver il-NOM lui-ACC puisse-SUBJ.PRES honorablement se loger.

Ordonne-lui de trouver un endroit où il puisse se loger convenablement. (coapollo,ApT :17.27.365)

Dans les exemples (149), (151), (153) et (155), les adverbes ont les positions suivantes :

(149)
Nænig heora þohte þæt he þanon scolde eft eardlufan æfre gesecean...
Aucun eux-GEN pensèrent-PRET que il-NOM de là devait-PRET souvent maison aimée-ACC jamais chercher...

Aucun d´entre eux ne pensait qu´à partir de ce moment il n´aurait jamais à chercher continuellement sa chère maison... (cobeowul,23.691.582)

qui a la structure suivante,

(150)
Tree 52
(151)
sceolde hwæðre swa þeah æðeling unwrecen ealdres linnan.
devait-PRET si ainsi cependant prince-NOM impuni-NOM ancêtres-GEN perdre.

cependant un prince avait pu perdre la vie sans qu´il fût venger. (cobeowul,76.2441. 1992)

qui a la structure suivante,

(152)
Tree 53
(153)
þonne wolde heo ealra nyhst hy baþian & þwean.
alors voulut-PRET elle-NOM tout-GEN enfin eux-ACC baigner & laver.

alors elle voulut enfin tous les baigner et les laver. (cobede,Bede_4 :21.318. 18.3198)

qui a la structure suivante,

(154)
Tree 54
(155)
se sceal nede in helle duru unwillsumlice geniþerad geladed beon.
il-NOM doit-IND.PRES nécessairement dans enfer-GEN porte-ACC involontairement condamné-P.PASSE-NOM disculpé-P.PASSE être

Lui, que l´on a involontairement condamné aux portes de l´enfer, doit nécessairement être disculpé. (cobede,Bede_5 :15.442.21.4451)

qui a la structure suivante,

(156)
Tree 55

Regardons d´abord ces quatre exemples. Dans l´exemple (150), si l´on suit l´analyse de Cinque, les adverbes oft et æfre sont positionnés sous deux têtes fonctionnelles : AspFréquentatif et AspPerfectif, lesquelles suivent la hiérarchie de Cinque (1999) : 106. Nous avons alors une première structure :

(157)

[T [oft AspFréquentatif [vModal [æfre AspPerfectif]]]]

Dans l´exemple (156), nede et unwillsumlice sont aussi positionnés sous des têtes fonctionnelles. Celles-ci sont pertinentes pour notre analyse car ce sont des têtes modales, respectivement ModNécessité et ModVolition. Cela nous donne une seconde structure :

(158)

[T [nede ModNécessité [vModal [(un)willsumlice ModVolition]]]]

Pour Cinque, les têtes fonctionnelles Mod sont hiérachiquement plus hautes que les têtes Asp. Si nous récapitulons, nous obtenons la hiérachie suivante :

(159)

[T [nede ModNécessité [oft AspFréquentatif [v Asp [(un)willsumlice ModVolition [æfre AspPerfectif]]]]]]

La structure précédente ne tient compte que des têtes Mod et Asp. Soyons maintenant plus précis en y ajoutant les têtes fonctionnelles correspondant aux autres adverbes mentionnés dans les exemples (150) à (156) :

(160)

[þonne AdvTemps [C [þanon AdvLieu [hwæðre [swa [þeah [T [nede ModNécessité [oft AspFréquentatif [v Asp [(un)willsumlice ModVolition [æfre AspPerfectif [nyhst]]]]]]]]]]]]].

Cependant, ces quelques exemples n´illustrent l´emploi que d´un petit nombre d´adverbes. Voici un classement, selon les types d´adverbes, de tous ceux que nous avons rencontrés lorsqu´ils étaient employés avec des perfecto-présents(note: ) Les textes de référence sont toujours Beowulf, Cura Pastoralis et Apollonius of Tyre. Nous tenterons ensuite de les hiérarchiser (selon la méthode de Cinque).

Reprenons maintenant la hiérarchie de Cinque (1999) : 106, et voyons si elle peut s´appliquer aux adverbes VA.

[franklyMoodSpeech Act
fortunatelyMoodEvaluative
allegedlyMoodEvidential sweotole/sweotollice, fullice, gewislicost,
gerisenlice, huru, openlicor, hluttorlice,
rihtlice, smealice
probablyModEpistemic
onceT(Past) eft, nu, iu, eac
thenT(Future) þa/þonne, nu, teowardlice
perhapsMoodIrrealis
necessarilyModNecessity nede, aninga
possiblyModPossibility
willinglyModVolitional eað, lustlice
inevitablyModObligation swa
cleverly, diligentlyModAbility/Permission
usuallyAspHabitual hioweslice
againAspRepetitive(I) eft, gelomlice
oftenAspFrequentative(I) eft, gelomlice
quicklyAspCelerative(I) aninga
alreadyT(Anterior) eac, emb, iu, syððan
no longerAspTerminative
stillAspContinuative get, gen, swa
alwaysAspPerfect a/(n)æfre, simble
just, recentlyAspRetrospective ær

soon, suddenly, immediatelyAspProximative sona, sel/selust, hrædlicor
briefly, long timeAspDurative leng
characteristicallyAspGeneric/Progressive
almostAspProspective neah
completelyAspSg.Completive(I) fullice
tuttoAspPl.Completive
wellVoice wel, sel/selust, geara
fast/earlyAspCelerative(II) aninga, geara
completelyAspSg.Completive(II) fullice
againAspRepetitive(II) eft, gelomlice
oftenAspFrequentative(II) eft, gelomlice]

Force est de constater que le VA ne semble pas posséder autant de têtes fonctionnelles qu´en anglais contemporain (même si certains adverbes n´entrent pas dans cette hiérarchie).

En l´état, nous obtenons les têtes fonctionnelles suivantes :

(161)

[sweotole/sweotollice clairement, précisément, fullice parfaitement, complètement, gewislicost certainement, sûrement, gerisenlice honorablement, de manière convenable, huru néanmoins, certainement, openlicor manifestement, hluttorlice sincèrement, clairement, rihtlice justement, bien, smealice précisément, subtilement MoodEvidential [eft encore, de nouveau, nu maintenant, iu précédemment, eac depuis T(Past) [þa/þonne alors, nu maintenant, teowardlice vers le futur T(Future) [nede nécessairement, aninga volontairement ModNecessity [eað volontairement, lustlice volontairement ModVolitional [swa ainsi, en conséquence ModObligation [hioweslice ? familièrement AspHabitual [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspRepetitive(I) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspFrequentative(I) [aninga rapidement AspCelerative(I) [emb avant, après, iu précédemment, syððan depuis, désormais, alors, eac ? depuis T(Anterior) [get déjà, encore, gen déjà, maintenant, encore, swa ainsi, en conséquence AspContinuative [a/(n)æfre jamais, toujours, simble toujours, constamment AspPerfect [ær auparavant, autrefois AspRetrospective [sona bientôt, sel/selust bientôt, hrædlicor soudainement AspProximative [leng longtemps AspDurative [neah près, presque AspProspective [fullice parfaitement, complètement AspSg.Completive(I) [wel bien, sel/selust bientôt, geara jadis, autrefois Voice [aninga rapidement, geara jadis, autrefois AspCelerative(II) [fullice parfaitement, complètement AspSg.Completive(II) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspRepetitive(II) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment aAspFrequentati- ve(II)]]...

Dans la Section 2.8.2, certaines des têtes fonctionnelles que nous venons d´énumérer vont servir à notre analyse, notamment les têtes Mod(alité). Dans la Section 2.8.1, bien qu´une tête fonctionnelle ModeIrrealis n´apparaisse pas dans notre hiérarchie, nous montrerons qu´elle existe néanmoins.

2.8. Temps, mode et modalité

2.8.1. Temps et mode

2.8.1.1. Temps

En VA, il existe deux temps : le présent et le passé. Ces deux temps, dans la théorie minimaliste, existent sous forme de traits formels que possède la tête fonctionnelle T.

(162)
Tree 56

Ces traits sont satisfaits par des traits identiques qu´un verbe possède, comme l´illustre l´exemple suivant :

(163)
(163.a)
Hwider mæg ic nu faran ?
puis-IND.PRES je-NOM maintenant aller ?

Où puis-je aller maintenant ? (coapollo,ApT :12.9.198)

(163.b)
Tree 57

Dans cet exemple, nous savons que mæg est une forme présente grâce à sa morphologie : nous avons la voyelle radicale æ (à opposer à i qui marque la forme prétérit). Dès lors, ce verbe a le trait [-past] lorsqu´il est choisi dans le lexique, ainsi que le trait [+modal] inhérent aux verbes perfecto-présents. Le trait [+modal] est satisfait par un v qui possède ce même trait (c´est-à-dire vModal), quant au trait [-past], il est bien sûr satisfait par T. Nous avons alors :

qui sous forme de structure donne (même s´il s´agit de Morphologie Distribuée, il nous semble plus clair de le représenter de la sorte) :

(164)
Tree 58

ou, selon la Morphologie Distribuée :

(165)

[T-V-Agr-sg2] ⟷ mæg [modal, présent, sg2]

C´est cette dernière forme qui est insérée dans la phrase.

A ce stade de la computation, mæg possède encore le trait [-past] (qui doit obligatoirement être satisfait). Ce trait va être satisfait avec celui de T. Et comme précédemment, lorsqu´il y a satisfaction des traits [-past] de T et vModal, ils sont effacés. A ce trait [-past], on peut ajouter le trait indicatif [-irréel]. Nous proposons qu´il existe une tête fonctionnelle Mode pour les formes subjonctives et que le mode [-irréel] est sous T pour les formes indicatives.

Prenons maintenant un exemple où il y a accord visible de la personne sur le verbe.

(166)
Gif ðu wilt mine æðelborennesse witan...
Si tu-NOM veux-IND.PRES. ma-ACC noblesse de naissance-ACC connaître...

Si tu veux connaître ma noble naissance... (coapollo,ApT :15.17.298)

Le verbe WILLAN se décompose de la sorte, au niveau du composant morphologique,

(167)
Tree 59

Si, maintenant, il y a satisfaction des traits ϕ du verbe avec le Spec de T, on obtient,

(168)
Tree 60

Lorsqu´il s´agit du prétérit, c´est encore la morphologie qui nous en indique la forme.

(169)
ac he ne mihte hine þar findan on ðam flocce.
mais il-NOM NEG pouvait-PRET lui-ACC trouver dans les-DAT troupes-DAT.

mais il ne pouvait pas le trouver parmi les troupes. (coapollo,ApT :13.9.232)

Nous avons :

En ce qui concerne le futur, il n´existe pas à proprement parler en VA (il en est de même en AC) : le locuteur utilise le présent, ou bien une périphrase utilisant les verbes WILLAN ou SCULAN au présent. Ainsi, il faudrait renommer la tête fonctionnelle T(Futur) dans la hiérarchie (161) et l´appeler T(Présent).

2.8.1.2. Mode

Au fil de notre analyse, nous avons remarqué que le VA possède deux modes : un mode indicatif, le réel, et un mode subjonctif, l´irréel. Cependant, bien que la morphologie du VA soit riche, bien des exemples sont ambigus : nous ne savons pas si nous avons affaire à un indicatif ou à un subjonctif, les désinences étant morphologiquement les mêmes. De plus, tous les perfecto-présents ne possèdent pas une forme subjonctive.

Dans la hiérarchie (161), nous avons remarqué l´existence d´une tête fonctionnelle pour le mode réel, qui est T, mais pas de tête fonctionnelle pour le mode irréel. Est-ce à dire que cette tête n´existe pas ? Nous venons de mentionner que le VA possédait effectivement un mode irréel. Les différents exemples de notre corpus illustrent effectivement l´existence d´une tête fonctionnelle irréelle, laquelle se situera plus haut que T. Dans la sphère irréelle, nous incluons, bien entendu, le subjonctif, mais aussi le conditionnel (note: ) (et plus loin dans notre travail l´épistémicité).

Les données du corpus VA nous indiquent la présence d´une tête fonctionnelle ModeIrréel dans notre hiérarchie (161) : il y a des formes indicatif, subjonctif et des formes ambiguës (on ne sait pas si, morphologiquement, ce sont des indicatifs ou des subjonctifs). De plus, le grand nombre de formes ambiguës trouvées annonce la fusion des formes indicatif et subjonctif en moyen-anglais.

Dans la sous-section précédente, nous avons souligné qu´il existait une tête fonctionnelle ModeRéel. Nous postulons deux têtes : une tête Mode [+irréel], et T sous laquelle se trouve le réel.

Reprenons l´exemple (168). Dans cette structure morphologique, nous avons fait apparaître la racine ainsi que la désinence. Cette dernière reflète tant le temps, la personne que le mode. Si l´on en donne maintenant la structure, nous avons (avec le verbe CUNNAN par exemple) :

(170)
Tree 61

et si nous linéarisons ces éléments morphologiques, nous avons :

(171)

[T-V-sg] ⟷ cunne [modal,past,irréel,sg]

et

(172)

[T-V-pl] ⟷ cunnen [modal,past,irréel,pl]

La structure syntaxique correspondante est :

(173)
Tree 62

A cette structure, nous allons ajouter la tête T pour le mode réel.

(174)
Tree 63

Illustrons maintenant nos propos concernant le subjonctif (exemples (175) à (177)) et l´indicatif (exemples (178) et (179)).

(175)
... læf folc ond rice, þonne ðu forð scyle metodsceaft seon.
... épargne-IMP peuple-ACC et royaume-ACC, alors que tu-NOM constamment doives-SUBJ.PRES destinée-ACC considérer.

... laisse à tes hommes le peuple et le royaume quand tu dois suivre sa destinée. (cobeowul,37.1176.971)

(176)
ond eac swylce leafnesse sealde, þæt heo mosten Cristes geleafan bodian & læran.
et aussi de même permission donna-PRET, que ils-NOM pussent-SUBJ.PRET Christ-GEN foi prêcher & enseigner.

et (il) donna aussi la permission pour qu´ils pussent prêcher et enseigner la foi du Christ. (cobede,Bede_1 :14.60.11.564)

(177)
Ðæt mæden cwæð : « Sege me gewislicor þæt ic hit mæge understandan... »
La-NOM jeune fille-NOM dit-IND.PRET : « dis-IMP moi clairement que je-NOM cela-ACC puisse-SUBJ.PRES comprendre... »

La jeune fille dit : « Dis-(le) moi clairement afin que je puisse le comprendre... » (coapollo,ApT :15.18.299)

(178)
him mid scoldon on flodes æht feor gewitan.
lui-DAT avec devaient-IND.PRET sur marée-GEN pouvoir-ACC d´ailleurs aller.

avec lui, (ils) devaient aller sur la puissance des flots. (cobeowul,4.36.36)

(179)
Eac neah þan ealle þa ðing, þe ðanon cumað, wið ælcum attre magon.
aussi presque les-INSTR toutes-NOM les-NOM choses-NOM, d´où que viennent-IND.PRES, contre chaque-DAT poison-DAT peuvent-IND.PRES.

presque toutes les choses (de cette île) sont bonnes contre le poison. (cobede,Bede_1 :1.30.3.225)

Afin d´illustrer notre analyse, donnons d´abord leur structure morphologique, sous la forme d´une arborescence, puis les structures syntaxiques des exemples (182.a) et (183.a).

La « structure » morphologique de (182.a) est alors,

(180)
(180.a)
Tree 64
(180.b)

[T-irréel] ⟷ mæge [modal,présent,irréel,sg]

Quant à celle de (183.a), c´est,

(181)
(181.a)
Tree 65
(181.b)

[T-réel-pl] ⟷ scoldon [modal,passé,réel,pl]

(182)
(182.a)
Ðæt mæden cwæð : « Sege me gewislicor þæt ic hit mæge understandan... »
La-NOM jeune fille-NOM dit-IND.PRET : « dis-IMP moi clairement que je-NOM cela-ACC puisse-SUBJ.PRES comprendre... »

La jeune fille dit : « Dis-(le) moi clairement que je puisse le comprendre... » (coapollo,ApT :15.18.299)

(182.b)
Tree 66
(183)
(183.a)
him mid scoldon on flodes æht feor gewitan.
lui-DAT avec devaient-IND.PRET sur marée-GEN pouvoir-ACC d´ailleurs aller.

avec lui, (ils) devaient aller sur la puissance des flots. (cobeowul,4.36.36)

(183.b)
Tree 67

2.8.1.3. Temps et conditionnel

Laissons maintenant le subjonctif, et intéressons-nous au conditionnel, qui lui aussi appartient au domaine de l´irréel. Les textes du corpus nous montrent qu´il existe des structures introduites par gif si qui marque la condition. Les formes sur lesquelles nous allons nous arrêter sont les formes « conditionnelles » des perfecto-présents : trouve-t-on, dès le viel-anglais, des perfecto-présents ayant une forme morphologique passée avec une valeur de conditionnel ?

Sur l´ensemble des textes du corpus (Pintzuk, Leendert (2001) et Taylor, Warner, Pintzuk & Beth (2003)) du VA, nous avons trouvé les exemples suivants, où nous avons mis en italique gif (exemples (184) à (191)) ; dans les exemples (193) à (207), nous pensons que les formes morphologiques passées correspondent à des conditionnels au vu du contexte (notamment les temps) (note: ).

En anglais contemporain, une des structures pour une phrase conditionnelle est : if + temps passé + WOULD/SHOULD/COULD/ MIGHT/MUST, où les modaux appartiennent à la phrase matrice. Nous avons les structures suivantes en vieil-anglais :

  1. if + Subj.Pres + CONDITIONNEL ,

    (184)
    Gif nu hæleða hwone hlisan lyste, unnytne gelp agan wille, þonne ic hine wolde wordum biddan þæt he hine æghwonon utan ymbeþohte, ...
    If now men-GEN few-ACC glory-GEN please-SUBJ.PRES, useless-ACC help-ACC have control over will-PRES, then I-NOM him-ACC would-PRET orders-DAT ask that he-NOM him-ACC everywhere from outside thought about-PRET, ...

    Si les hommes aiment un peu la gloire, ils contrôleront une aide inutile ; j´avais alors voulu lui demander qu´il songeât aux ordres en tout lieu, ... (cometboe,165.10.1.137)

  2. if + Subj.Pret + CONDITIONNEL,

    (185)
    ... sua hie manegra unðeawa gestiran meahton mid hiora larum & bisenum, gif hi ongemong monnum beon wolden.
    ... as they-NOM many-GEN faults-GEN cause could-IND.PRET with their learnings-DAT & examples-DAT, if they-NOM among men-DAT be would-SUBJ.PRET.

    ... comme ils auraient pu faire beaucoup de fautes de par leur éducation et de par leur exemple, s´ils avaient été parmi les hommes. (cocura,CP :5.45.20.257)

    (186)
    Him mon sceal cyðan ðara goda sum ðe hie on him habbað oððe ðara sum ðe hie habban meahton, gif hie næfden.
    Him-DAT one-NOM shall-IND.PRES prove these-GEN abilities-GEN something-ACC that they-NOM on him-DAT have-IND.PRES or these-GEN ones-ACC that they-NOM have could-IND.PRET, if they-NOM NEG+had-SUBJ.PRET.

    Ils doivent lui prouver les capacités qu´ils ont sur lui ou qu´ils pourraient avoir, s´ils ne les possédaient (déjà). (cocura,CP :41.303.2.2011)

  3. if + Ind.Pres + CONDITIONNEL,

    (187)
    Ðonne mæg he witan be ðy, gif he hierran folgað habban sceal, hwæðer he ðonne don mæg ðæt ðæt he ær ðencð ðæt he don wolde, ...
    Then can-IND.PRES he-NOM know with this-INSTR, if he-NOM higher-ACC destiny-ACC have shall-IND.PRES, whether he-NOM then do can-IND.PRES that-ACC that he-NOM soon attempts-IND.PRES that he-NOM make would-PRET, ...

    Grâce à cela, il peut alors savoir s´il aura une destinée plus haute, s´il sera alors capable de le faire, ce qu´il essaierait et ferait bientôt, ... (cocura,CP :9.57.14.363)

    (188)
    Hu gerades mæg ðonne se biscep brucan ðære hirdelican are, gif he self drohtað on ðam eorðlicum tielongum ðe he oðrum monnum lean sceolde ?
    How long since can-IND.PRES then the-NOM bishop-NOM cohabit with this-DAT domestic-GEN desire-GEN, if he-NOM self-NOM behaves-IND.PRES on the-DAT worldly-DAT culture-DAT that he-NOM other-DAT men-DAT blame should-PRET ?

    Comment l´èvêque peut-il vivre avec ce désir, si lui-même agit selon la culture terrestre alors qu´il devrait blâmer les autres hommes ? (cocura,CP :18.133.3.909)

    (189)
    Hu bið þonne gif we nellað to þam Hælende clypian, þonne Moyses werignyss ne mihte beon beladod ?
    How is-IND.PRES then if we-NOM NEG+will-IND.PRES to the-DAT Lord-DAT speak, then Moses-GEN cursing-NOM NEG could-PRET be prevented-P.PASSE ?

    Comment cela peut-il alors être, si nous ne voulons pas parler au Seigneur, quand la malédiction de Moïse pourrait-elle être évitée ? (coaelive,ÆLS[Pr_Moses] : 43.2897)

    (190)
    And se ðe nele Godes bodan hyran mid rihte ne godcundre lare gyman swa he sceolde, he sceal hyran feondan, gif he nele freondan.
    And the one-NOM who NEG+will-PRES God-GEN foundation serve by right-DAT nor religious-GEN knowledge-GEN observe as he-NOM should-PRET, he-NOM shall-IND.PRES obey enemies-DAT, if he-NOM NEG+will-PRES friends-DAT.

    Et celui qui ne sert pas bien la fondation de Dieu, ni n´observe le savoir religieux comme il le devrait, celui-ci obéira aux ennemis s´il ne veut pas d´amis. (cowulf,WHom_17 :50.1398)

  4. if + passé + CONDITIONNEL,

    (191)
    & þæt mot ure gehwylc rihtlice healdan gif we aht gefaran scylan ;
    & that-ACC must-IND.PRES ours-GEN all-NOM rightly celebrate if we-NOM possessions-ACC obtain should-IND.PRET ;

    Et nous devons tous (le) célébrer avec raison s´il faut que nous obtenions des biens ; (cowulf,WHom_18 :138.1503)

    (192)
    ðonne he sceal ymb monigra monna are ðencan, gif he nolde ða ða he moste Pymb his-GEN anes.
    then he-NOM shall-IND.PRES about many-GEN men-GEN freedom consider, if he-NOM NEG+would-PRET when he-NOM must-PRET about his only-GEN.

    et il considèrera alors l´honneur de nombreux hommes, même s´il ne le voulut pas quand il aurait pu le faire. (cocura,CP :9.57.19.365)

Avant d´analyser les autres exemples, regardons d´un peu plus près ceux que nous venons de donner. Si l´on s´en tient à ce que la grammaire contemporaine nous dit, les exemples (185), (192) et (186) contiennent un conditionnel. Dans les exemples (184), (187), (188), (189) et (190), le contexte nous permet de dire que nous avons aussi affaire à des conditionnels.

En ce qui concerne l´exemple (191), le schéma est inversé puisque le « conditionnel » est introduit par if. Cependant, c´est encore le contexte qui nous permet de dire que la forme introduite par if est un conditionnel.

Regardons maintenant le reste de nos exemples, dans lesquels les formes conditionnelles ne sont pas introduites par if, et voyons si ces formes sont effectivement des formes morphologiques passées à valeur de conditionnel (note: ).

(193)
and we sceolon his gesetnyssum gehyrsumian, ðeah ðe he gyt wolde þas niwan gecyðnysse eft awendan, ac we witon þæt he nele.
and we-NOM should-IND.PRES his-DAT instructions-DAT obey, although he-NOM yet would-PRET this-ACC newly-ACC testimony-ACC again change, but we-NOM know-IND.PRES that he-NOM NEG+will-PRES.

et nous devrions obéir à ses instructions, bien qu´il veuille encore changer sa récente déclaration, mais nous savons qu´il ne le fera pas. (cocathom2, ÆCHom_II,_12.2 :123.458.2703)

(194)
ac we woldon ærest eow gereccan ymbe ðas gerynu and siððan hu hit man ðicgan sceal.
but we-NOM would-IND.PRET first to you explain about this-ACC mystery-ACC and then how it-ACC one-NOM accept shall-IND.PRES.

mais d´abord on vous expliquerait tout de ce mystère et comment l´accepter. (cocathom2,ÆCHom_II,_15 :157.255.3503)

(195)
Ic mæg fromlicor fleogan þonne pernex oþþe earn oþþe hafoc æfre meahte ;
I-NOM can-IND.PRES faster fly than bird-NOM either eagle-NOM or hawk-NOM ever could-PRET ;

Je peux voler plus vite que l´oiseau, bien plus vite qu´un aigle ou un faucon ne le pourrait ; (coriddle,202.66.604)

(196)
Ne eft ða gelæredan, ðe sua nyllað libban sua hie on bocum leornedon, ðæt hie sceoldon ne underfon ða are ðæs lariowdomes.
nor often the-NOM learnings-NOM, that so will-IND.PRES exist so they-NOM inbooks-DAT learnt-IND.PRET,   that they-NOM should-IND.PRET NEG accept the-ACC help-ACC the-GEN ecclesiastical authorities-GEN.

et les savants qui ne veulent pas vivre comme ils l´ont appris dans les livres, et qui ne devraient pas accepter l´aide des autorités religieuses. (cocura,CPHead :9.2.3)

(197)
... ðæt se sacerd beran sceolde ðæs domes racu, forðam se sacerd scolde & git sceal simle smealice geðencean ðæt he cunne god & yfel tosceadan, ...
... that the-NOM priest-NOM produce should-PRET these-GEN judgments-GEN explanation-NOM, because the-NOM priest-NOM should-PRET & yet shall-IND.PRES always subtlely attempt that he-NOM can-SUBJ.PRES good-ACC & evil-ACC distinghish, ...

... de sorte que le prêtre doive avoir à expliquer ces lois, et toujours de manière subtile pour qu´il puisse distinguer le bien du mal, ... (cocura,CP :13.77.22.515)

(198)
Forðam bebiet sio halige æ ðæt se sacerd scyle onfon ðone suiðran bogh æt ðære offrunge, & se sceolde bion asyndred from ðæm odrum flæsce.
Because commands-IND.PRES the-NOM holy-NOM rite-NOM that the-NOM priest-NOM shall-SUBJ.PRES accept the-ACC more-ACC offspring-ACC from the-DAT sacrifice-DAT, & he-NOM should-PRET be separated-P.PASSE from the-DAT other-DAT bodies-DAT.

Car le rite saint ordonne que le prêtre accepte le plus de progéniture issue du sacrifice, et qu´elle devrait être séparée des autres corps. (cocura,CP :14.81.18.533)

(199)
... ðæt he ne mæge ðurhteon his niehstum ðæt he him utan don scolde.
... that he-NOM NEG can-SUBJ.PRES undergo his neighbours-DAT that he-NOM them-DAT out cause should-PRET.

... qu´il ne puisse plus supporter ses voisins de sorte qu´il devrait les mettre dehors. (cocura,CP :18.127.14.862)

(200)
Monige ðeah nyllað na geðencean ðæt hi beoð oðrum broðrum ofergesett, & him fore bion scoldon on godcundum ðingum ;
Many-NOM however NEG+will-IND.PRES not at all think that they-NOM are-IND.PRES other-DAT brothers-DAT set over-P.PASSE, & them-DAT for be should-IND.PRET about divine-DAT things-DAT ;

Néanmoins, beaucoup ne penseront, en aucun cas, qu´ils sont commandés par d´autres frères et que, pour eux, ils devraient appartenir aux choses divines ; (cocura,CP :18.127.16.863)

(201)
Oððe eft (...) se ðe wile forgiefan ðæt he wrecan sceolde, to ecum witum geteo his hieremenn.
And often (...) who-NOM will-PRES forgive that-ACC he-NOM banish should-PRET, to eternal-DAT knowledge-DAT educate-SUBJ.PRES his serviteurs-ACC.

Et souvent celui qui pardonnera ce qu´il devrait bannir éduque ses serviteurs au savoir éternel. (cocura,CP :20.149.21.1022)

(202)
Forðæm hit ær hit nolde behealdan wið unnyt word, hit sceal ðonne niedinga afeallan for ðæm slide.
Because it-NOM soon it-ACC NEG+would-PRET observe with useless-ACC speech-ACC, it-NOM shall-IND.PRES then necessarily demolish for this-DAT fall-DAT.

Car bientôt on ne l´examinerait pas avec un discours sans fondement, et cela devra tomber en décadence. (cocura,CP :38.279.4.1810)

(203)
... him hwæthwugu wiðstent ðæt hi ne magon swa hrædlice forðbrengan ðæt hi tiohhiað swa hi woldon.
... them-DAT something-NOM resist-IND.PRES that they-NOM NEG can-IND.PRES so soon bring forth that-ACC they-NOM determine-IND.PRES that they-NOM would-IND.PRET.

... et quelque chose leur résiste de sorte qu´ils ne peuvent réussir si rapidement ; ce qu´ils se détermineraient à faire. (cocura,CP :61.455.15.3278)

(204)
ne we nellað forberan an bysmorlic word for ures Drihtnes naman, swa swa we don sceoldon, ...
nor we-NOM NEG+will-IND.PRES tolerate one-ACC shameful-ACC word-ACC for our-GEN Lord-GEN name, so that we-NOM do should-IND.PRET, ...

ni nous ne tolèrerons de paroles honteuses envers notre Seigneur, comme nous devrions le faire, ... (coaelive,ÆLS[Maurice] :132.5758)

(205)
forðam we nellað Godes lage healdan swa swa we scoldan...
because we-NOM NEG+will-IND.PRES God-GEN rule control so that we-NOM should-IND.PRET...

car nous ne contrôlerons pas la loi de Dieu comme nous le devrions... (cowulf, WHom_3 :29.68)

(206)
Ðonne mæg gecnawan se þe ær nolde soðes gelyfan þæt Crist þurh his mægenþrym þonne geleanað manna gehwylcum ærran gewyrhta.
Then can-IND.PRES know the one-NOM who before that NEG+would-PRET justice-GEN grant that Christ-NOM through his glory-ACC then rewards-IND.PRES man-GEN every-DAT.

Alors, celui qui peut savoir n´aurait auparavant pas accepté de la justice que Jésus Christ récompense alors chaque homme de sa gloire. (cowulf,WHom_3 :63.84)

(207)
& nan þing gecnawað mid ænigean gerade þæs ðe eow þearf sy, nu ge riht nellað habban ne healdan on eowran heortan swa swa ge scoldan.
& no-ACC thing-ACC know-IND by any-DAT reckoning-DAT this-GEN that you-DAT necessity-NOM is-SUBJ.PRES, now you-NOM truth-ACC NEG+will-IND.PRES have nor possess on your heart so as you-NOM should-IND.PRET.

et (il) ne connaît rien de cette échéance qui vous est nécessaire, vous n´aurez ni ne possèderez la vérité conformément à vos cœurs ainsi que vous le devriez. (cowulf,WHom_11 :163.1084)

Nous pouvons dire que dans les exemples (193), (194), (196) à (198), (200), (202), et (204) à (206), les formes morphologiques passées des perfecto-présents ont effectivement une valeur de conditionnel ; en ce qui concerne les exemples (199), (203) et (207), ils nous paraissent ambigus, cependant, nous incluons ces formes dans la liste précédemment mentionnée (note: ).

Ces différentes occurrences nous permettent d´affirmer que le mode irréel existe bien en vieil-anglais, et que le tête fonctionnelle Mode est effectivement présente. Ainsi, selon les contextes bien entendu, les perfecto-présents pourront avoir le trait [+irréel].

Les formes morphologiquement passées peuvent dès lors avoir une valeur, et un sens, autre qu´un passé stricto sensus ; on peut dire qu´il y a un changement de statut, et grammaticalisation, à la période du vieil-anglais tardif.

2.8.2. Modalité et aspect

Dans la structure (159), nous avons montré l´existence de trois têtes fonctionnelles modales : ModNecessity, ModVolitional et ModObligation, sous lesquelles étaient adjoints des adverbes de modalité. Ces têtes fonctionnelles laisseraient à penser que la modalité telle que nous pouvons la concevoir en AC existe déjà en VA. Dans la suite de notre travail, s´il n´y a pas lieu de spécifier, nous n´allons désormais parler que d´une seule tête fonctionnelle que nous allons définir (et qui accueille le mode, l´aspect et l´épistémicité en vieil-anglais tardif).

Nous ne pouvons pas être totalement sûrs que les perfecto-présents peuvent tous avoir une lecture modalisante, c´est-à-dire une lecture épistémique ou déontique. Il est vrai que certains d´entre eux peuvent avoir cette lecture (voir, par exemple Warner (1993) : 162 et suivantes). Ils sont avant tout, soit déontiques, soit épistémiques, et s´ils sont épistémiques, peut-être sont-il plus susceptibles d´être aussi déontiques.

Avant d´analyser quelques exemples, définissons ce qu´est la modalité épistémique et déontique (ou radicale).

On définit le terme épistémique de la manière suivante :

(...) the term `epistemic´ should apply not simply to modal systems that basically involve the notions of possibility and necessity, but to any modal system that indicates the degree of commitment by the speaker to what he says. (...) The use of this term may be wider than usual, but it seems completely justified etymologically since it is derived from the Greek word meaning `understanding´ or `knowledge´, and so is to be interpreted as showing the status of the speaker´s understanding or knowledge. (Palmer (1986) : 51) (note: )

Quant au terme déontique, il est défini comme suit :

`Deontic´ is used in a wide sense here to include those types of modality that are characterized by Jespersen as `containing an element of will´. It is obvious, however, that the meanings associated with deontic modality are very different from those of epistemic modality. The latter is concerned with belief, knowlegde, truth, etc. in relation to the proposition, wheras the former is concerned with action, by others and by the speaker himself. (Palmer (1986 : 96)) (note: )

Jusqu´à présent, nous avons vu que les perfecto-présents pouvaient apparaître dans deux types de contructions, où ils ont des statuts syntaxiques différents. Quand la structure syntaxique est Perf.Pres + NP, le perfecto-présent est un verbe lexical et il est généré sous V ; quand la structure est Perf.Pres + VP, c´est un verbe semi-lexical, et il est généré sous vModal. Quand le perfecto-présent est semi-lexical, il est, au vu de notre corpus, soit déontique, soit épistémique.

Venons-en maintenant à notre analyse. Dans un premier temps, nous avons pu remarqué que les perfecto-présents de notre corpus semblaient avoir une lecture déontique.

Regardons d´un peu plus près et attachons-nous à analyser certaines occurrences de *SCULAN (le perfecto-présent le plus à même d´avoir une lecture déontique), afin de voir si le processus de grammaticalisation a lieu. En effet, s´il y a ambiguïté pour des mêmes formes entre lecture épistémique et lecture déontique, c´est le signe d´une grammaticalisation : le modal est soit dans la portée du temps de la phrase, et il a une lecture déontique (et il est plus bas que T, c´est-à-dire vModal), soit le modal est hors de la portée du temps (et il est plus haut que T, c´est-à-dire Mode).

2.8.2.1. Lecture déontique

Les occurrences que nous proposons maintenant ont toutes une lecture déontique.

(208)
Ic þe sceal mine gelæstan freode.
je-NOM celui-DAT dois-IND.PRES mon-ACC aider ami-ACC.

Je m´acquitterai de mon amitié envers toi. (cobeowul,52.1706.1409)

(209)
sceal hringnaca ofer heafu bringan lac ond luftacen.
doit-IND.PRES vaisseau-NOM de l´autre côté mers-ACC amener offrandes-ACC et preuves d´amour-ACC.

LE vaisseau apportera des présents et des gages d´amitié au-delà des mers. (cobeowul,57.1855.1534)

(210)
... hu he in Godes huse drohtian & don scolde.
... comment il-NOM dans Dieu-GEN maison-DAT se comporter et agir devait-PRET.

... comment il devait se comporter et agir dans la maison de Dieu. (cobede, Bede_1 :16.64.10.601)

(211)
ic sceal hraðe deað underhnigan.
je-NOM dois-IND.PRES immédiatement mort-ACC subir.

je dois mourir immédiatement. (cobede,Bede_3 :11.190.16.1920)

(212)
Hwæt sculon we nu þæs mare sprecan ?
Que devons-IND.PRES nous-NOM maintenant cela-GEN plus-ACC parler ?

De quoi devons-nous parler en plus de cela ? (cobede,Bede_3 :19.244.10.2502)

(213)
and gif ðu þæt ne dest þu scealt oncnawan þone gesettan dom.
et si tu-NOM cela-ACC NEG fais-IND.PRES tu-NOM dois-IND.PRES connaître le-ACC établi-ACC jugement-ACC.

et si tu ne le fais pas, tu dois connaître le jugement établi. (coapollo,ApT :5.5.71)

(214)
... þæt he scolde Appolonium acwellan.
... que il-NOM devait-PRET Appolonius-ACC tuer.

... qu´il devait tuer Appolonius. (coapollo,ApT :7.7.99)

(215)
þa wende he ærest þæt hine man scolde ofslean.
alors crut-IND.PRET il-NOM d´abord que lui-ACC on-NOM devait-PRET tuer.

Il crut d´abord qu´on devait le tuer. (coapollo,ApT :51.12.569)

La structure des modaux déontiques est la suivante :

(216)
Tree 68

2.8.2.2. Lecture épistémique

Cette lecture est encore très minoritaire en VA, mais elle se généralise au cours de l´histoire de l´anglais (ce que nous allons voir dans les chapitres suivants). Les exemples de perfecto-présents ayant une lecture épistémique sont tirés de Denison (1993) : 298-303.

Les exemples (217) à (225) ont un sujet réalisé,

(217)
And hi ða ealle sæton, swa swa mihte beon fif ðusend wera.
Et ils-NOM alors tous s´assirent-IND.PRET, comme pouvaient être cinq mille hommes.

Et, alors, ils étaient tous assis, peut-être étaient-ils cinq mille hommes. (ÆCHom I 12.182.15 ; 950-1050.)

(218)
Sume beladunge mihte se rica habban his uncyste, gif se reoflia wædla ne læge ætforan his gesihðe...
Quelque excuse-ACC pouvait-IND.PRET le homme riche-NOM avoir sa radinerie-DAT, si le lépreux mendiant-NOM NEG mette-SUBJ devant sa vue...

L´homme riche aurait pu avoir quelque excuse pour sa radinerie si le mendiant lépreux ne s´etait pas placé devant ses yeux... (ÆCHom I 23.330.9 ; 950-1050.)

(219)
Wel þæt swa mæg.
Bien cela-NOM ainsi peut.

Cela peut bien en être ainsi. (Bede 2 1.96.23 ; 850-950.)

(220)
Ðuhte him on mode þæt hit mihte swa, þæt hie weron seolfe swegles brytan, ...
Semblait eux-DAT en toute conscience que cela-NOM pouvait de sorte, que ils étaient mêmes cieux-GEN gouverner, ...

Il leur semblait qu´il se pourrait bien qu´ils gouvernent eux-mêmes les cieux, ... (Sat 22 ; Xe s.)

(221)
Swiþe eaþe þæt mæg-PRES beon þæt sume men þencan...
Très bien cela-GEN peut être que certains hommes pensent...

Il se peut très bien que certains hommes pensent... (BlHom 21.17 ; 950-1050.)

(222)
ðu-NOM scealt-PRES deaðe sweltan.
tu dois sûrement mourir.

tu mourras très certainement. (Gen 2.17 ; 950-1050.)

(223)
Wende ic þæt þu þy wærra weorþan sceolde...
pensais je que tu-NOM le plus conscience devenir devait...

Je pensais que tu prendrais conscience... (Jul 425 ; 950-1050)

(224)
wen is, þæt hi us lifigende lungre wyllen sniome forsweolgan.
espérance est, que ils-NOM nous vivant rapidement veulent-SUBJ.PRES immédiatement engloutir

Il est vraisemblable qu´ils vont nous engloutir immédiatement. (Jul 123.2 ; 950-1050.)

(225)
eastewerd hit mæg bion syxtig mila brade oþþe hwene bræde.
vers l´est cela-NOM peut-PRES être soixante miles large ou un petit peu plus large.

vers l´est, cela peut être large de soixantes miles, ou un peu plus. (Or 15.26 ; 850-950.)

les exemples (226) à (238) n´en ont pas,

(226)
Mæg þæs þonne ofþyncan ðeodne Heaðobeardna ond þegna gehwam þara leoda, þonne he...
Peut-PRES cela-GEN alors regretter seigneur-DAT Heathobards-GEN et vassaux-GEN chaque le peuple-GEN, quand il...

Il se peut que le seigneur de Heathobards et que chaque gentilhomme du peuple le regrettent quand il... (Beo 2032 ; 950-1050.)

(227)
Nu mæg eaþe getimian, þæt eower sum ahsige, hwi...
Maintenant peut bien arriver, que vous-GEN quelque demander, pourquoi...

Il se peut fort bien que l´un d´entre vous demande maintenant pourquoi... (ÆLet2 (Wulstan 1)147 122.11 ; 950-1050.)

(228)
[Me mæig]... & raðe æfter ðam, gif hit mot gewiderian, mederan settan...
[On peut]... & rapidement après cela, si cela peut être beau temps, garance plantez...

... et tout de suite après, si le temps le permet, plantez de la garance... (LawGer 12 454 ; Xe-XIe s.)

(229)
Ic axige hwæðer hit mihte gedafenian abrahame þam halgan were...
Je me demande si cela pourrait aller à Abraham le saint homme...

Je demande si cela aurait pu convenir à Abraham, le saint homme... (ÆIntSig 61 400 ; 950-1050.)

(230)
Þon mag hine scamigan þære brædinge his hlisan.
Alors peut lui-ACC avoir honte la étendue sa gloire.

il se peut alors qu´il ait honte de l´étendue de sa gloire. (Bo 46.5 ; 950-1050.)

(231)
Hu wolde þe nu lician gif...
Comment vouloir-COND toi-DAT maintenant faire plaisir si...

Comment voudrais-tu que cela te plaise maintenant si... (Bo 142.2 ; 950-1050.)

(232)
... þæt we þa þing don þe us to ecere hælu gelimpan mote.
... que nous ces choses faisons-PRES qui nous-DAT pour salut éternel arriver peut.

... que nous fassions ces choses qui peuvent mener à notre salut éternel. (HomS 25 412 ; 950-1050.)

(233)
... ðæt us ne ðurfe sceamian.
... que nous-DAT NEG a besoin honte.

... que nous n´avons pas besoin de ressentir de la honte. (HomM 5(Willard) 57.6 ; Xe s.)

(234)
... hine sceal on domes dæg gesceamian beforan gode ... swa þam men dyde, þe...
... lui-ACC doit jour du jugement avoir honte devant Dieu ... comme cet homme-DAT fit, qui...

... le jour du jugement, il ressentira la honte devant Dieu... comme l´a ressentie cet homme qui... (HomU 37(Nap 46) 238.12 ; 950-1050.)

(235)
... ne him hingrian ne mæg...
... ni lui-DAT avoir faim NEG peut...

... ni ne peut-il avoir faim... (ÆHom I 2.235.112 ; 950-1050.)

(236)
... þonne sceal þe spowan & þe bet limpan.
... alors FUTUR toi prospérer & le mieux arriver.

... alors tu prospèreras et tout ira pour le mieux pour toi. (HomU 14(Holt) 4 ; 950-1050.)

(237)
Ac se þe geð into fihte wið-ute heretoche. him mai sone mislimpe.
Mais celui qui va dans combat sans chef. lui-DAT peut bientôt aller mal à propos.

Mais celui qui va au combat sans chef pourrait bientôt devenir un métayer. (1175 Lamb.Hom 243.18 ; 950-1050)

(238)
Eaðe mæg gewurðan þæt þu wite þæt ic nat, ðu þe þer andweard wære.
Fort bien peut-PRES être que tu-NOM connaisses-SUBJ.PRES que je-NOM NEG+connais-IND.PRES, toi-NOM qui-NOM présent-P.PASSE était-IND.PRET.

Il se peut fort bien que tu saches ce que je ne sais pas, toi qui étais présent. (Warner (1993) : 166 ; Apollonius of Tyre, 950-1050.)

Ces perfecto-présents épistémiques, bien que peu nombreux, impliquent un processus de grammaticalisation dès la première partie de la période du vieil-anglais tardif, ce qui correspond aux Xe-XIe siècles. Ainsi :

  1. Ces structures sont des structures de montée ; le cas NOM est assigné par T.

  2. Si ce sont des verbes épistémiques, et des verbes de montée, ils sont générés sous T et gouvernés par une position plus haute que nous pensons être Mode ([ModeP - TP - VP]).

Donc, dès le VA tardif, il y aurait une position syntaxique pour ces verbes épistémiques. Mais quelle est-elle ?

Avant de répondre à cette question, nous allons nous intéresser à la notion d´aspect perfectif, et souligner le lien qui existe entre épistémicité et aspect d´un point de vue syntaxique, ce qui nous permet de motiver que la position Mode accueille tant l´aspect que l´épistémicité.

2.8.2.3. Aspect perfectif

Dans cette section, nous allons relier aspect perfectif et épistémicité. Et nous émettons l´hypothèse suivante : l´apparition de certains modaux épistémiques serait à mettre en parallèle avec l´emploi de plus en plus rare de l´aspect à la période du vieil-anglais tardif. Regardons la structure HAVE + EN. L´emploi de cette forme est assez important en VA primitif, mais beaucoup moins en VA tardif, période à laquelle les premiers épistémiques apparaissent.

Ces premiers modaux épistémiques, ainsi que l´usage plus rare de l´aspect perfectif motiverait la position syntaxique Mode qui accueillerait tant l´épistémicité que l´aspect (en plus du mode [+irréel]). En effet, ces deux notions ont en commun le fait que l´énonciateur commente l´événement, donne son point de vue, fait part de son savoir, et ce, après que la relation sujet-prédicat a été mise en place (dans le domaine de C).

Nous avons donc regardé les occurrences de l´aspect perfectif dans notre corpus, et plus précisément les exemples dans lesquels le participe passé suit directement HAVE (afin de ne pas le confondre avec le have événementiel). Sur l´ensemble du corpus VA (Pintzuk, Leendert (2001) et Taylor, Warner, Pintzuk, Beths (2003)) et , nous n´avons trouvé que très peu d´exemples (731 sur 119062 occurrences), et ceux que nous avons trouvés vont, dans leur très grande majorité, jusqu´au Xe-XIe siècles. Mais à partir de cette période, et jusqu´à la fin de la période vieil-anglaise, ces structures se font beaucoup plus rares. Elles n´apparaissent quasiment plus dans le corpus sensiblement au même moment de l´émergence de la lecture épistémique de certains perfecto-présents (comme nous allons le voir plus loin). Cela impliquerait que l´aspect (perfectif) est dans un premier temps sous T, mais qu´avec la courbe descendante de l´emploi de la structure HAVE + EN à la fin de la période VA, il se trouve plus haut dans la structure (c´est-à-dire au-dessus de T, dans le domaine de CP, dans le domaine d´interprétation des perfecto-présents épistémiques), sous Mode. Regardons quelques exemples.

(239)
We habbad nu gesæd sceortlice on Englisc þis halige godspell...
Nous-NOM avons-IND.PRES maintenant expliqué-P.PASSE brièvement en anglais ce saint évangile...

Dès lors, nous avons brièvement expliqué en anglais ce saint évangile... (coaelhom,ÆHom_8 :50.1194)

(240)
& se cyng hæfde gegadrod sum hund scipa.
& le-NOM roi-NOM avait-PRET assemblé-P.PASSE quelques-ACC centaines bateaux-GEN.

& le roi avait rassemblé quelques centaines de bateaux. (cochronA-2b, ChronA_[Plummer] :911.3.1205))

(241)
Ge wel habbad geworht...
Vous bien avez-IND.PRES travaillé...

Vous avez bien travaillé... (cogregdC,GDPref_and_3_[C] :14.202.6.2631)

(242)
Darius hæfde gebunden his agene mægas mid gyldenre racentan.
Darius-ACC avait-PRET attaché-P.PASSE son propre-NOM parent-NOM avec en or chaîne.

Le propre père de Darius l´avait attaché à l´aide d´une chaîne en or. (coorosiu,Or_3 :9.70.7.1374)

Nous nous sommes aussi intéressés à la structure MD + HAVE + EN. Sur l´ensemble du corpus, tous textes confondus, nous n´avons trouvé que quatre occurrences. Elles datent toutes d´une période allant du Xe au XIIe siècles. On peut donc avancer que ces perfecto-présents, dans ces exemples particuliers, ont une lecture épistémisque. Quant à l´aspect, il n´est plus à mettre sur le même plan syntaxique que les modaux puisque c´est lui qui désormais va « porter » le temps : il indique si l´événement se situe dans le présent ou le passé. Dans le cas de la structure MD + HAVE + EN, la sphère temporelle est passée (comme le montre l´anglais contemporain).

Illustrons notre propos, et donnons les exemples que nous avons trouvés (il est intéressant de remarquer que toutes les structures que nous avons trouvées comportent WILLAN) :

(243)
hu micelan woldest þu þa habban geboht þæt ðu switole mihtest tocnawan þine frind & ðine fynd...
how many would-IND.PRET you-NOM then have paid for-P.PASSE that you-NOM precisely might-IND.PRET recognise your-ACC friend-ACC and your-ACC enemy-ACC...

combien aurais-tu payé pour reconnaître ton ami de ton ennemi... (coboeth,Bo :20. 48.14.868)

(244)
hu micle feo woldest þu nu habban geboht þæt þu meahte ongitan hwæt þæt soðe god wære...
how much money would-IND.PRET you-NOM now have paid for-P.PASSE that you-NOM might-SUBJ.PRET understand what-NOM that-NOM true-NOM god-NOM were-SUBJ.PRET...

combien aurais-tu payé pour que tu pus comprendre ce que le vrai dieu était vraiment... (coboeth,Bo :34.89.26.1712)

(245)
hæo wile habban gefadad hiræ æhta for Gode & for worldæ...
they-NOM will-PRES have granted-P.PASSE their possessions-ACC for God-DAT & as regards this world...

ils auront accordé leurs biens à Dieu et au monde... (codocu3,Ch_1486_ [Whitelock_15] :1.282)

(246)
he wolde habban forsuwod þæt, þæt na forholen beon ne mihte.
he-NOM would-PRET have silenced-P.PASSE that-ACC, that-NOM not at all concealed-P.PASSE be NEG might-PRET.

il l´aurait passé sous silence, mais cela ne pouvait absolument pas être tû. (cogregdH,GD_1_[H] :9.60.13.577)

Si l´on illustre ce dernier exemple, nous aurions la structure suivante (où l´aspect perfectif n´est plus sous T (rempli par le modal) mais en-dessous de T) :

(247)
Tree 69

Revenons maintenant aux perfecto-présents. Les exemples (231) à (238) illustrent la lecture épistémique que l´on peut faire des perfecto-présents (le temps de l´évaluation de la relation prédicative est le temps de l´énonciation, et non le temps lié à l´événement, comme nous venons de le voir avec l´aspect) . Si cette lecture est possible en VA, cela implique qu´il existe un domaine d´interprétation qui est lié au temps de l´énonciation, et qui possède un trait [-déont]. Cependant, une question se pose : est-ce qu´un perfecto-présent ayant une lecture épistémique est nécessairement un verbe de montée ? S´il a une lecture épistémique, il est effectivement un verbe de montée, et dès lors, la lecture épistémique est déterminée par une position syntaxique plus haute dans la structure, c´est-à-dire au-dessus de T, dans le domaine interprétatif de CP. Cela implique alors que, dès la période du vieil-anglais tardif, il existe deux positions pour les perfecto-présents : une position vModal lorsque ces derniers sont déontiques, une position Mode lorsqu´ils ont une lecture épistémique. Nous avons donc une structure de ce type en VA tardif :

Tree 70

Si l´on se réfère à nouveau à la structure hiérarchique de Cinque (161), on peut remarquer que la tête fonctionnelle ModObligation existe, mais pas la tête ModPossibilité. En d´autres termes, il y a une tête Mod qui a un trait [+obligation] (c´est-à-dire un trait [+déont]), mais elle ne semble pas encore posséder de trait [-déont]. Les exemples (231) à (238) laissent à penser que cette dernière est effectivement présente en VA. Si l´on se réfère maintenant à Cinque (1999), nous nous rendons compte que celui-ci postule une tête fonctionnelle modale supplémentaire : ModEpistémique, dont le Spec serait un adverbe du type probablement. A la différence de Cinque, nous préférons considérer qu´il y a une seule tête fonctionnelle Mode, qui possède le trait [-déont], et une tête fonctionnelle vModal qui possède le trait [+déont], ou pour rendre mieux compte du processus de grammaticalisation, le modal aurait un trait [±déont], selon la lecture que l´on en fait.

Dans les exemples que nous avons choisis avec *SCULAN, la notion de devoir et d´obligation sont présentes (c´est le cas dans tous les exemples de ce type dans le corpus). Les exemples (208) à (215) ont tous des lectures déontiques : l´obligation est forte, soit de la part du locuteur, soit de la part d´une tierce personne. Quant aux exemples (231) à (238), ils ont tous une lecture épistémique, ce qui nous permet d´introduire un trait [-déont] à la tête fonctionnelle Mode.

Si nous récapitulons ce qui vient d´être dit, nous avons la structure suivante :

(248)

[Mode ([-déont]) [T [vModal ([+déont])]]].

Nous émettons alors les hypothèses suivantes : chaque perfecto-présent possède un trait [+modal], c´est-à-dire [±déont], selon la lecture du perfecto-présent. Ces traits sont satisfaits à distance par les têtes fonctionnelles correspondantes. Le perfecto-présent sera généré sous vModal puis il fusionnera à T, après avoir satisfait son trait de temps et ses traits ϕ (avec Spec,TP). Une fois sous T, toute autre satisfaction de traits ([±déont]) se fera à distance, sans qu´il y ait mouvement du perfecto-présent (c´est-à-dire que la tête fonctionnelle Mod va gouverner T (comme avec l´Affix Hopping en anglais contemporain)).

Prenons maintenant deux exemples parmi ceux que nous venons de proposer : une lecture épistémique (223), maintenant (249.a), et une lecture déontique (214), maintenant (250.a), et illustrons notre propos d´une structure pour chacun d´entre eux.

(249)
(249.a)
Geleafan heo hæfde (...) þæt Drihten mihte hire aweddan dohtor gehælan.
Croyance elle-NOM avait-PRET (...) que Seigneur-NOM pouvait-PRET sa devenue folle-ACC fille-ACC guérir.

Elle croyait que le Seigneur aurait pu guérir sa fille de la folie. (cocathom2, ÆCHom_II,_8 :69.83.1406)

(249.b)
Tree 71
(250)
(250.a)
... þæt he scolde Appolonium acwellan.
... que il-NOM devait-PRET Appolonius-ACC tuer.

... qu´il devait tuer Appolonius. (coapollo,ApT :7.7.99)

(250.b)
Tree 72

Nous n´avons pris que deux exemples, mais ces structures vaudraient pour toutes les autres occurrences. Quand les perfecto-présents ont une lecture épistémique, ce sont des verbes de montée. Analysons-les de plus près.

2.8.3. Perfecto-présents : verbes de montée ?

On appelle verbe de montée, un verbe qui n´assigne pas de θ-rôle externe. C´est le sujet du verbe non fini qui devient le sujet du verbe de montée, en Spec,TP. Ce sont, par exemple, les verbes seem ou appear en anglais contemporain (Johni seems ti to be happy).

Pour les perfecto-présents ayant une lecture épistémique, la structure serait identique.

Rappelons néanmoins ce qu´est un verbe de contrôle. C´est un verbe qui prend comme complément une infinitive laquelle possède un sujet PRO (qui est contrôlé par le sujet ou le COD du verbe fini). Un exemple est le verbe want (Johni wants [PROi to be happy]).

Dans la littérature concernant la syntaxe, les verbes épistémiques sont des verbes de montée. Regardons si tel est le cas dans notre corpus. Mais avant cela, nous allons nous intéresser au verbe ðyncan (l´ancêtre des verbes « seem » et « appear ») qui, dès le VA, est un verbe de montée. Nous allons ensuite essayer de faire un parallèle avec les perfecto-présents (épistémiques et déontiques) afin de voir si ce sont aussi des verbes de montée.

2.8.3.1. Le verbe ÐYNCAN

Avant d´analyser ðyncan, rappelons les structures des verbes de montée en anglais contemporain, avec les exemples suivants :

(251)
(251.a)

It seems that he understands her.

(251.b)
Tree 73
(252)
(252.a)

He seems to understand her.

(252.b)
Tree 74

Dans le corpus VA Pintzuk, Leendert (2001) et (Taylor, Warner, Pintzuk, Beths (2003) , nous avons trouvé des occurrences du verbe ðyncan, avec des structures identiques à celles que nous pouvons trouver en anglais contemporain :

  1. suivi d´une phrase enchâssée (CP) finie, et le sujet est un explétif (nous garderons la notation du corpus *exp*, qui marque une catégorie vide),

    (253)
    *exp* þa ðuhte him nyttre & betre, þæt he ðær Godes word bodade & lærde, ...
    (explétif) alors sembla-PRET lui-DAT utile-NOM & meilleur-NOM, que il-NOM Dieu-GEN parole-ACC annonçât-PRET & enseignât-PRET, ...

    Cela lui sembla alors mieux et plus utile qu´il annonçât et enseignât la parole de Dieu dès ce moment, ... (cobede,Bede_3 :5.166.28.1613)

    (254)
    *exp* Ne ðuhte him to huxlic, þæt he mid gesceade hine betealde unsynninne, ...
    (explétif) NEG semblait-PRET lui-DAT en outre ignomineux-NOM, que il-NOM avec raison-DAT lui-même-ACC opprima-PRET innocent-ACC, ...

    En outre, il ne lui semblait pas honteux qu´il opprimât de manière juste l´innocent, ... (cocathom2,ÆCHom_II,_13 :128.45.2817)

    (255)
    *exp* Ne ðynce him no genog ðæt he ana wel libbe, ...
    (explétif) NEG semble-SUBJ.PRES lui-DAT nullement suffisant-NOM que il-NOM seul bien vive-SUBJ.PRES, ...

    Cela ne lui semble en aucun cas suffisant qu´il vive bien seul, ... (cocura, CP :28.193.22.1295)

    (256)
    & *exp* þuhte þæt hit eal forbyrnan sceolde.
    & (explétif) apparut-PRET que cela-NOM tout brûler devait-PRET.

    il apparut que tout devait brûler. (coblick,LS_17.1_[MartinMor [BlHom_17]] :221.172.2822)

  2. il peut être suivi d´un TP introduit par TO,

    (257)
    Ðara byrðenna hefignesse, eall ðæt ic his geman, ic awrite on ðisse andweardan bec, ðylæs hi hwæm leohte ðyncen to underfonne.
    Ces-GEN fardeaux-GEN lourdeur, tout-ACC cela-ACC je-NOM sien-GEN me souviens-IND.PRES, je-NOM écris-PRES sur ce-DAT présent-DAT livre-DAT, de peur que ils-NOM qui-INSTR légers-NOM semblent-SUBJ.PRES TO accepter.

    Je me souviens du poids de ces fardeaux, je l´écris à présent sur ce livre de peur qu´ils ne paraissent légers à accepter. (cocura,CP :0.23.11.71)

    (258)
    hit ne þuhte æðryt to awritenne.
    cela-NOM NEG semblait-PRET fatiguant-NOM TO transcrire-DAT.

    Transcrire ne paraissait pas fatiguant. (cotempo,ÆTemp :10.22.342)

    (259)
    ... ðylæs hi hwæm leohte ðyncen to underfonne.
    ... de peur que ils-NOM celui-INSTR rapides semblent-SUBJ.PRES TO accepter-DAT.

    ... de peur qu´ils semblent prompts à l´accepter de sa part. (cocura,CP :0.23.11.71)

La structure de cet exemple est,

(260)
Tree 75

Dans les exemples (253) à (255), le sujet du verbe ÐYNCAN est un pronom explétif. Dans l´exemple (257), le sujet du verbe ÐYNCAN est monté : il était en position sujet de la proposition infinitive. Le sujet du verbe ÐYNCAN est marqué au cas nominatif, mais il suit le même schéma que dans les autres exemples : il est généré sous Spec,vP, et monte à Spec,TP pour que la dérivation n´échoue pas ; il satisfait alors les traits ϕ de Spec,TP.

(261)
*exp* þa ðuhte him nyttre & betre, þæt he ðær Godes word bodade & lærde...
(explétif) alors sembla-PRET lui-DAT utile-NOM & meilleur-NOM, que il-NOM Dieu-GEN parole-ACC annonçât-PRET & enseignât-PRET...

Cela lui sembla alors mieux et plus utile, de sorte qu´il annonçât et enseignât la parole de Dieu dès ce moment... (cobede,Bede_3 :5.166.28.1607)

La structure de ce dernier exemple est,

(262)
Tree 76

Dans cet exemple, le seul sujet de la phrase est un pronom explétif, qui n´est pas visible, mais qui est syntaxique. Alors que dans l´exemple qui suit, le sujet est visible,

(263)
... ðylæs hi hwæm leohte ðyncen to underfonne.
... de peur que ils-NOM qui-INSTR rapides-NOM semblent-SUBJ.PRES TO accepter.

... de peur qu´ils ne semblent prompts à l´accepter de sa part. (cocura,CP :0.23.11.71)

Et la structure de cet exemple est,

(264)
Tree 77

Le sujet hi monte en Spec,TP pour satisfaire les traits ϕ de T, d´où la marque du cas nominatif.

Les exemples ci-dessus illustrent ce qu´est un verbe de montée. Si maintenant, nous prenons un perfecto-présent ayant une lecture épistémique, nous nous attendons à ce que celui-ci ait la même structure avec un sujet explétif, ou un sujet qui est monté de Spec,vP à Spec,TP. Regardons maintenant si le fonctionnement des verbes perfecto-présents épistémiques est identique à celui de ÐYNCAN dans les exemples que nous venons de mentionner.

Reprenons notre exemple (249.a), et analysons plus précisément sa structure (par rapport à celle que nous avons proposée précédemment).

(265)
(265.a)
Geleafan heo hæfde (...) þæt Drihten mihte hire aweddan dohtor gehælan.
Croyance elle-NOM avait-PRET (...) que Seigneur-NOM pouvait-PRET sa devenue folle-ACC fille-ACC guérir.

Elle croyait que le Seigneur aurait pu guérir sa fille de la folie. (cathom2, ÆCHom_II,_8 :69.83.1406)

(265.b)
Tree 78

S´il y a lecture épistémique de certains perfecto-présents, dans des contextes définis, et que dans d´autres contextes, ils ont une lecture déontique, nous pourrions penser que les perfecto-présents déontiques sont aussi des verbes de montée (le sujet grammatical est le sujet sémantique du verbe non fini). C´est l´hypothèse que nous faisons et que nous allons analyser dans le prochain chapitre.

2.9. Résumé du chapitre

Dans la Section 2.2, nous avons présenté la classe des verbes que sont les perfecto-présents, et qui comptent dans leurs rangs la grande majorité des verbes modaux de l´anglais contemporain.

Dans la Section 2.3, nous avons montré l´existence de certaines têtes fonctionnelles – C, T et v – à la lumière des nouvelles hypothèses de travail de Chomsky : les phases. Nous avons aussi expliqué succinctement la syntaxe de la phrase VA d´après les travaux de Pintzuk (1991).

Dans la Section 2.4, nous avons décrit plus précisement les caractéristiques propres aux verbes perfecto-présents : leur morphologie, et surtout leur syntaxe, notamment le complément qu´ils peuvent prendre. Un tel verbe se démarque de ses homologues forts et faibles, car un perfect-présent sélectionne un VP, et non un CP ou un TP, comme pour les autres verbes. Nous avons traité le verbe léger, tête de transitivité, v, soulignant ses caractéristiques, pour émettre notre hypothèse d´un vModal spécifique aux verbes perfecto- présents. Ces derniers diffèrent des verbes causatifs qui sont des V, et non des v, en VA.

Dans la Section 2.5, nous avons mis en évidence l´existence de deux positions syntaxiques pour les perfecto-présents qui reflètent leur statut : verbe lexical, dans les constructions Perf.Pres + NP généré sous V, et verbe semi-lexical, dans les constructions Perf.Pres + VP (verbe de montée) généré sous vModal.

Dans la Section 2.6, nous avons abordé la négation et décrit la concordance négative et le critère Neg. Puis, nous avons analysé la particule adverbiale négative ne, laquelle est la tête d´une projection négative NegP. Nous avons montré qu´en VA, il existait deux projections NegP : une à la périphérie gauche de TP et l´autre à la périphérie gauche de vP. L´existence de ces deux projections illustrent, quand celles-ci apparaissent, la présence de la négation principale ne conjointement à l´adverbe négatif noht.

Dans la Section 2.7, nous avons repris l´analyse de Cinque (1999) concernant les adverbes et les têtes fonctionnelles. Notre analyse nous a permis de montrer qu´il existait en VA une hiérarchie (moins complexe) comparable à celle que propose Cinque pour l´AC. Nous proposons qu´aux différents types d´adverbes correspondent des têtes fonctionnelles particulières. Cette analyse nous permet de mettre en lumière l´existence de têtes pour le mode et la modalité.

Dans la Section 2.8, nous nous sommes intéressés au temps, au mode, à l´aspect perfectif et à la modalité, et nous avons reflété syntaxiquement leur présence en VA. Concernant la modalité, même si elle est moins marquée en VA, les exemples nous ont permis de voir que la grande majorité des perfecto-présents ont une lecture déontique, mais que dès la période tardive du VA, il existe quelques occurrences de perfecto-présents ayant une lecture épistémique. L´émergence de ces modaux coïnciderait avec l´emploi de en plus plus rare de l´aspect perfectif. De plus, nous avons souligné que les formes morphologiques passées pouvaient désormais avoir un sens irréel (et donc conditionnel). Ces deux faits de langue nous permettent de voir la grammaticalisation à la fin de cette période VA, qui, syntaxiquement, souligne le statut de verbes de montée des perfecto-présents épistémiques.

Tous ces différents points augurent des stabilisations et des changements que vont connaître les verbes perfecto-présents à la période moyen-anglaise, notamment les perfecto-présents déontiques.

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