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L´évolution syntaxique des verbes modaux dans l´histoire de l´anglais

3. Moyen-Anglais

3.1. Quelques généralités

Nous commençons par une citation,

Il est convenu d´appeler « moyen-anglais » la langue anglaise parlée et écrite en Grande-Bretagne entre 1150 et 1550 (...) ; ces dates ne sont que des points de repères commodes : d´une façon normale, l´évolution d´une langue ne connaît pas de solution de continuité. Mais si l´on compare l´ensemble des traits qui caractérisent les textes écrits pendant la période « moyen-anglaise » à ceux de la période précédente, on est frappé par des différences constantes : a) à la finale et dans les désinences, les voyelles (dans la mesure où elles subsistent) prennent un ton uniforme e ; b) ce nivellement a déterminé une altération profonde et une grande simplification de la flexion ; c) il en résulte une tendance (déjà amorcée en vieil-anglais) à recourir aux constructions analytiques et à utiliser des prépositions au lieu de cas ; d) enfin, le vocabulaire est rempli de mots français (conséquence de la conquête normande) et scandinaves (suite à la colonisation du Danelaw) (Mossé (1962) : 19-20).

Comparée au vieil-anglais, la structure de la phrase en MA diffère quelque peu, et tend à devenir la structure que nous connaissons en anglais contemporain. Les changements majeurs sont les suivants :

Whereas in Old English, the order object-verb was very frequent, in particular in subordinate clauses and when the object was a pronoun, in Middle English this order became gradually less common, and ceased to show a correlation with clause type. (...) Another, probably related, Middle English change affected the position of particles relative to the verb. (...) such elements were also often preverbal in Old English. In the course of the Middle English period they gradually came to be restricted to postverbal position. In this case too, however, the older order continued to be used every now and then until the end of the Middle English period. (...) A further Middle English change involving verb position is the decline of the so-called `Verb-Second´ rule. (...) Verb-Second rapidly declined in the course of the last part of the fourteenth and in the fifteenth century, and saw a revival in the literary language in the sixteenth century (Fischer, van Kemenade, Koopman, van der Wurff (2000) : 82-3) (note: ).

On peut aussi citer Kroch & Taylor :

Pintzuk (1991, 1993 and 1995) have shown that the transition from INFL- final to INFL-medial word order was a long-term trend characterizing the entire Old English period, so that its disappearance in Early Middle English can be taken as a continuation of Old English development rather than a break with it (...). [Early Middle English texts] exhibit all three of the base orders that have been proposed for Old English : INFL-final with an OV verb phrase, INFL-medial with an OV verb phrase, and the modern order – INFL-medial with a VO verb phrase (Kroch, Taylor (2000) :132-3) (note: ).

Ces trois ordres de base sont dus aux différentes influences que les dialectes du MA ont subies. Toujours d´après Kroch et Taylor,

Although we are not primarily concerned with the historical sociolinguistic dynamics that established the ME dialects, the sociolinguistic history of population contact and diffusion which underlie them is a matter of considerable interest (...). Specifically, we will see that the northern dialect of English most likely became a CP-V2 language under the extensive contact it had with medieval Scandinavian, contact that resulted from the Danish and Norwegian population influx into the North of England during the late OE period (...). The linguistic effect of this combination of population movement and population mixture was extensive (Kroch, Taylor (1997)  : 298-9) (note: ).

De plus,

The difference in the position to which the verb moves in different languages leads to subtle but clearly observable differences in the shape and distribution of verb second clauses. Most strikingly, while all V2 languages exhibit verb second order in main clauses, the two sub-types [IP-V2 and CP-V2] differ in the availability of this word order in subordinate clauses. The CP-V2 languages allow verb second order only in those embedded clauses that in some way have the structure of matrix clauses, either because the complementizer position is empty or because there is an additional complementizer position below the one that introduces the subordinate clause (the so-called `CP-recursion´). (...) The IP-V2 languages, on the other hand, show V2 order in a broad range of subordinate clauses. (...) We will further see that the southern dialect of ME preserves the V2 syntax of OE, despite having become, unlike OE, overwhelmingly I-medial and VO in basic order. In striking contrast to the southern dialect, however, the northern dialect of ME appears to have developed the verb-movement syntax of a standard CP-V2 language and hence to be similar in its syntax to the modern Mainland Scandinavian (Kroch, Taylor (1997)  : 297-8) (note: ).

Pour résumer, nous pourrions dire que la syntaxe du MA montre encore l´ordre syntaxique du VA (langue V2), en plus de l´ordre que nous connaissons en anglais contemporain ; et que ce phénomène V2 a rapidement décliné à partir de la fin du 14e siècle.

3.2. Les perfecto-présents

Nous retrouvons les mêmes membres de cette classe particulière de verbes, à une exception près. Et comme dans le chapitre précédent, ils suivent la classification de Mossé (1945) (note: ).

Le verbe MON n´apparaissait pas en VA, et n´apparaît pas en anglais élisabéthain ni en anglais contemporain.

Les textes sur lesquels nous allons principalement travailler sont (chronologiquement) : l´Ormulum ( ?c1200 ; Midlands-Est : sud-ouest du Lincolnshire), Ancrene Riwle (1225-1230 ; Midlands-Ouest) et Les contes de Cantorbéry de Chaucer (1380-91 ; Midlands-Est : Londres) (note: ), mais nous n´excluons pas les autres textes du corpus (Kroch, Taylor (2000)), s´il est besoin de plus d´exemples, ou d´exemples particuliers que nous ne trouvons pas dans les trois textes mentionnés.

Dans le chapitre précédent, nous avons montré l´existence des têtes fonctionnelles C, T, Neg et v. Notre analyse nous a permis d´en rajouter plusieurs : une deuxième tête fontionnelle Neg, vModal, pour les perfecto-présents déontiques, et Mode pour les perfecto-présents épistémiques (cette tête accueille aussi l´irréel).

Comme en VA, nous trouvons les structures suivantes : celles où le perfecto-présent est employé lexicalement (i.e. suivi d´un CO) et celles où il est employé semi-lexicalement, c´est-à-dire suivi d´un infinitif (le perfecto-présent est un verbe semi-lexical : il est directement généré sous vModal).

(266)
& tohh he it nowwhar funde þær, Ne wollde he it næfre cunnenn, ...
& bien que il-SUJET cela-OBJET nulle part trouva-PRET là bas, NEG voulut il-SUJET cela-OBJET jamais savoir, ...

et bien que, là-bas, il le trouva nulle part, il ne voulut jamais le savoir, ... (CMORM, I,26.318)

(267)
ant alle aʒen hire in an eauer to halden.
et tous-SUJET devaient elle-OBJET dans un toujours TO observer.

et tous devaient toujours l´observer (de la même manière. (CMANCRIW,I.44.34)

(268)
... ne nenoteð naut his wit as mon ach to donne...
... NEG sait-NEG+PRES NOT son esprit-OBJET comme homme-SUJET doit TO faire...

... il n´utilise pas son esprit comme un homme doit le faire... (CMANCRIW,II.48.447)

(269)
ʒef ha aʒen tobeon feor from alle worldliche men hwet hu ancren aʒen to hatien ham & schunen, ...
si ils-SUJET doivent TO+être loin de tous confiance hommes-PL. que comment reclus-SUJET PL. doivent TO appeler eux-OBJET & enseigner, ...

s´ils doivent s´éloigner de tous les hommes de confiance, c´est ainsi que les reclus doivent les appeler et les instruire, ... (CMANCRIW,II.67.721)

(270)
... ase hwa se þus seide, Ich nolde forto þolien deað ...
... comme comme ainsi alors dit-PRET, je-SUJET NEG+voulus FOR+TO souffrir mort-OBJET ...

comme il le dit alors, je ne voulais pas supporter la mort... (CMANCRIW,II.76.889)

(271)
deað me ach to fleon ase forð se me mei-PRES wið uten sunne.
mort-OBJET on-SUJET doit TO fuir comme en comme on-SUJET peut avec de soleil.

on doit fuir la mort comme on peut fuir le soleil. (CMANCRIW,II.85.1029)

(272)
& tærfore hafe icc turrnedd itt Inntill Ennglisshe spæche, Forr þatt I wollde bliþeliʒ Tatt all Ennglisshe lede Wiþþ ære shollde lisstenn itt...
& ainsi ai-PRES je-SUJET traduit-P.PASSE le-OBJET jusqu´à anglaise langue, car ce que je-SUJET voulus-PRET parfaitement que tout anglais peuple-SUJET avec respect dut écouter le-OBJET...

et ainsi je l´ai traduit en anglais, car je voulais que tout le peuple anglais l´écoutât avec respect... (CMORM,DED.L113.33)

(273)
Forþi ach þe gode habben eauere witnesse...
En conséquence doit le bien-SUJET avoir toujours témoin-OBJET...

Car le bien doit toujours avoir un témoin... (CMANCRIW,II.56.543)

Comme en VA, nous trouvons des occurrences de perfecto-présents employés lexicalement, c´est-à-dire suivis d´un objet direct ou/et indirect. Cependant, quand nous regardons plus attentivement les différents textes, nous remarquons que seul un petit nombre de ces verbes sont désormais employés de la sorte.

3.3. Etat et changements syntaxiques

Rappelons la syntaxe de la phrase VA concernant les perfecto-présents (en ne mentionnant que les têtes fonctionnelles principales) : selon les types de phrases, leur syntaxe peut être CP-V2 (dans le cas des questions directes, des phrases introduites par un élément négatif, ou par les adverbes þa et þonne : ces différents éléments sont sous Spec,CP (exemple (274)), ou IP(TP)-V2 (exemple (275))). Dans tous les cas, la phrase VA est SOV.

(274)
Tree 79
(275)
Tree 80

Dans les cas où aucun perfecto-présent n´est employé, nous retrouvons les deux mêmes structures.

Avant d´aller plus avant dans notre analyse, regardons la structure des perfecto-présents en VA, lorqu´ils sont lexicaux. Les exemples que nous venons de mentionner illustrent deux structures : Perf.Pres. + proposition en THAT et Perf.Pres. + infinitive en (FOR)TO. Dans les deux cas, le complément du perfecto-présent est un CP. Quand leur complément est une infinitive CP, celle-ci possède un sujet PRO qui est contrôlé par le sujet de la phrase. Ce sont alors des verbes de contrôle qui assignent un θ-rôle au sujet (contrairement aux verbes de montée qui ne possèdent pas d´argument externe et qui n´assignent pas de θ-rôle externe : ce sont des verbes à un argument) et à son complément (qui est l´argument interne du V). Ce sujet est au cas nominatif dans toutes les constructions personnelles (et majoritairement au datif dans les structures impersonnelles).

Rappelons-en la structure syntaxique :

(276)
Tree 81

Le perfecto-présent employé lexicalement est généré sous V, il assigne un θ-rôle au sujet qui est lui généré sous Spec,vP. C´est la fin de la première phase. Le sujet monte à Spec,TP pour satisfaire les traits EPP de T. Le perfecto-présent satisfait ensuite son trait de temps sous T. C assigne alors le cas nominatif au sujet par gouvernement, et l´accord se fait par T : c´est la fin de la seconde phase qui peut à son tour être épelée.

Nous avons aussi vu que ces mêmes verbes sont aussi des verbes semi-lexicaux (lorsqu´ils sont suivis d´un infinitif) et des verbes de montée. Le sujet grammatical du perfecto-présent est le sujet sémantique de V. Ils ne sont pas générés sous V, mais sous la tête fonctionnelle que nous avons introduite au chapitre précédent : vModal. La structure syntaxique de ces verbes est ici rappelée :

(277)
Tree 82

A la période du VA tardif, nous avons vu que nous pouvions déjà parler de grammaticalisation (note: ) puisque nous avons trouvé des occurrences (empruntées à Denison (1993)) de perfecto-présents ayant une lecture épistémique, et nous avons vu qu´à ces mêmes perfecto-présents correspondait la position syntaxique Mode hiérarchiquement plus haute que T, dans le domaine de CP. En effet, C est une tête fonctionnelle périphrastique, elle apporte un complément d´information sur la phrase, sur la relation qui a été établie entre un sujet et son prédicat ; l´épistémicité, quant à elle, permet à l´énonciateur d´émettre un jugement qui rend compte de sa compréhension ou de son savoir sur cette relation pré-établie. Ainsi, la tête Mode rend compte de ce complément d´information qu´apporte l´énonciateur. Cependant, le perfecto-présent épistémique est généré sous T, et le trait [-déont] de la tête Mode, au niveau phonologique, « sautera » à T (sur le même schéma que le saut de l´affixe en anglais contemporain (Affix Hopping))(note: ). D´un point de vue le la Morphologie Distribuée, les morphèmes de T et de Mode vont fusionner partiellement (les deux nœuds restent distincts). Quant aux perfecto-présents ayant une lecture déontique, ils sont générés plus bas que T, sous vModal, dans le domaine de vP. Ainsi, nous avons la structure syntaxique suivante en VA, et surtout en MA :

(278)

CP - ModeP - TP - vModalP - (vP) - VP - (CP) - (TP) - (VP).

A la période moyen-anglaise, les choses changent syntaxiquement : les exemples qui vont suivre illustrent un changement majeur des valeurs des paramètres : le MA est désormais une langue SVO. Les NP sujets et objets ne possèdent plus de traits de personne morphologiquement marqués (c´est-à-dire visible) : il y a appauvrissement des traits, ce qui entraîne un changement de valeur des paramètres (la structure se fige). Cependant, certaines structures restent V2. C´est partiellement à cause de cette compétition syntaxique (phrases SOV et phrases SVO), de l´apparition du DO vide, de la grammaticalisation de TO et des lectures épistémique des perfecto-présents (note: ), que le phénomène de grammaticalisation se met en place. Dès lors, nous appelons modal un perfecto-présent qui s´est grammaticalisé (un item lexical, ou semi-lexical, va devenir un item grammatical, c´est-à-dire un mot fonctionnel).

Les exemples qui suivent illustrent la structure SVO du MA. Quant aux questions ou phrases commençant par un élément négatif ou focus, leur structure est CP-V2 (comme nous l´avons illustré dans le chapitre précédent).

(279)
Þeʒʒ shulenn lætenn hæþeliʒ Off unnkerr swinnc lef broþerr.
Ils-SUJET doivent laisser noblement au loin leur peine bien-aimé frère.

Cher frère, ils doivent abandonner noblement leur peine. (CMORM,DED.L53.21)

(280)
Þa seʒʒde Zacariass þuss Till Godess enngell sone ; Þurrh whatt maʒʒ icc nu witenn þiss Þatt itt me muʒhe wurrþenn ?
Alors dit Zacharie ainsi à de Dieu ange bientôt ; à cause que peux je-SUJET maintenant savoir ceci-OBJET Que cela-SUJET moi-OBJET peut devenir ?

Alors Zacharie dit à l´ange de Dieu : « Parce que je peux maintenant le connaître, que peut-il advenir de moi ? » (CMORM,I,4.156)

(281)
ʒiff þu willt wurrþenn borrʒhenn, Acc nohht onn ane wise þohh, Swa summ þe boc-SUJET uss-OBJET kiþeþþ.
Si tu-SUJET veux être soutenu-P.PASSE, Mais NOT en une manière alors, Ainsi que le livre nous fait connaître-PRES.

Si tu veux être soutenu, mais pas de cette seule façon, ainsi que le livre nous (le) fait savoir. (CMORM,I,172.1423)

(282)
Heo teacheð al hu me schal beoren him wiðuten, ...
Elle-SUJET enseigne-PRES tout comment on-SUJET INDEF doit mettre au monde lui-OBJET dehors, ...

Elle enseigne tout de la manière dont on doit le mettre au monde, ... (CMANCRIW,I.42.17)

(283)
... þet ich mote blisfulliche grete þe in heouene.
... que je-SUJET puisse joyeusement accueillir le-OBJET au ciel.

... que je puisse l´accueillir au ciel avec joie. (CMANCRIW,I.72. 277)

(284)
ʒef ani seið wel oðer deð wel, ne maʒen ha nan loken þiderwart wið richt echʒe Of god heorte.
si quelconque-SUJET dit-PRES bien ou bien fait-PRES bien, NEG peut il-SUJET aucun regarder là-bas avec juste œil de bon cœur.

si quiconque dit ou fait (quelque chose de) bien, il ne peut vraiment pas regarder de ce côté d´un œil juste et bon. (CMANCRIW,II.157.2133)

(285)
ant þu schalt finden in ham gretunges fiue.
et tu-SUJET dois trouver en lui salutations-OBJET PL cinq.

et tu dois trouver cinq salutations en lui. (CMANCRIW,I.74.290)

(286)
Þe vres of þe Hali Gast, ʒef ʒe ham wulleð seggen, seggeð bifore Vre Lauedi tiden.
Les heures-SUJET PL de le saint esprit, si vous-SUJET elles-OBJET voulez dire, dites-IMP avant notre dame temps.

Les heures du Saint Esprit, si vous voulez les dire, dites-les avant les temps consacrés de Notre-Dame. (CMANCRIW,I.74.297)

(287)
And with this swerd shal I sleen envie.
Et avec cette épée dois je-SUJET tuer envie-OBJET.

Et je dois tuer l´envie de cette épée. (CMASTRO,662.C2.24)

(288)
For certes, al the sorwe that a man-SUJET myghte make fro the bigynnyng of the world...
Pour certainement, tout le chagrin que un homme-SUJET pourrait faire depuis le commencement de le monde...

Il est certain que tout le chagrin qu´un homme pourrait causer depuis le commencement du monde... (CMCTPARS,291.C2.133)

(289)
For certes, the derke light-SUJET that shal come out of the fyr that evere shal brenne shal turne hym al to peyne that is in helle...
Car certainement, la sombre lumière-SUJET qui doit sortir en dehors de le feu qui toujours doit brûler doit transformer lui-OBJET tout en souffrance qui est-PRES dans enfer...

Il est certain que la sombre lumière qui doit sortir du feu éternel doit le transformer totalement en souffrance(s) qui n´existe qu´en enfer... (CMCTPARS,291.C2.137)

(290)
And in this same wise maist thow knowe by night the altitude of the mone or of brighte sterres.
Et dans cette même manière peux tu-SUJET connaître de nuit la altitude-OBJET de la lune ou de éclatantes étoiles-PL.

De nuit, tu peux aussi connaître l´altitude de la lune ou des étoiles éclatantes. (ID CMASTRO,669.C2.211)

(291)
... for thou scholdest knowe that the mowynge of schrewes, whiche mowynge the semeth to ben unworthy, nis no mowynge ;
... car tu-SUJET dois savoir que la capacité-SUJET des tyrans-PL, que possibilité toi-OBJET semble-PRES TO être indigne-OBJET, NEG+est-PRES aucune capacité-OBJET ;

... car tu dois savoir que la capacité des tyrans, qui semble être indigne de toi, n´en est pas une ; (CMBOETH,448.C1.398)

La structure syntaxique des différents exemples que nous venons de citer est la suivante, s´ils ont une lecture épistémique :

(292)
Tree 83

et, s´ils ont une lecture déontique, ils ont la structure suivante :

(293)
Tree 84

Nous reprenons ces différentes structures dans une prochaine section, afin de les analyser de manière plus détaillée.

3.4. Grammaticalisation

On définit le terme grammaticalisation comme suit (nous empruntons la citation à Roberts, Roussou (2003) : 6) :

The term grammaticalisation was first introduced by Meillet (1912) to describe the development of new grammatical (functional) material out of `autonomous´ words. [...] As Hopper and Traugott (1993 : 1-2) point out, the term `grammaticalisation´ can be used to either describe the framework that considers « how new grammatical forms and constructions arise » or « the processes whereby items become more grammatical through time » (note: ).

Nous en donnons une autre, tirée de Matthews (1997) :

The process by which, in the history of a language, a unit with a lexical meaning changes into one with grammatical meaning(note: ).

Dans le cas des verbes modaux, les perfecto-présents – des items lexicaux et semi-lexicaux – sont devenus des items grammaticaux, c´est-à-dire des mots fonctionnels. Ce processus de grammaticalisation se reflète dans la syntaxe de la phrase MA, conséquence de l´appauvrissement morphologique de la langue (surtout avec la perte des désinences de l´irréel), et de la mise en place de nouvelles valeurs aux paramètres existants (comme la grammaticalisation de la préposition TO ou l´apparition progressive du DO vide) à cette période. Cependant, ce processus s´est mis en place progressivement, comme vont le montrer les différents exemples que nous allons analyser.

3.4.1. Conséquences sur les perfecto-présents

Jusqu´à la période moyen-anglaise, les perfecto-présents sont des verbes semi-lexicaux qui appartiennent à une classe particulière, et qui, par conséquent, réagissent différemment des autres verbes, d´un point de vue syntaxique. Qu´ils soient épistémiques ou déontiques, ce sont désormais des verbes de montée. Les premiers sont générés sous T et gouvernés par ModeP ; quant aux seconds, ils sont toujours générés sous vModal, et montent à T (puisqu´ils sont grammaticaux, à la différence des verbes lexicaux).

En MA, ils peuvent encore être employés comme des verbes lexicaux (c´est surtout le cas pour WILLEN, DURREN et CUNNEN), mais la grande majorité d´entre eux tend à être suivie d´un infinitif auquel il ajoute une lecture épistémique et/ou déontique. Et c´est ce dernier point qui est intéressant : si, pour un perfecto-présent, il y a ambiguïté entre une lecture épistémique et déontique, c´est qu´il y a effectivement grammaticalisation de ces verbes (note: ). Nous supposons que l´ambiguïté des lectures rend compte du changement grammatical de ces verbes : d´items lexicaux, ils deviennent des items grammaticaux. C´est la morphologie verbale (qui s´appauvrit), l´emploi plus rare des phrases V2, la syntaxe (qui tend à « figer » les structures) et sa relation avec la négation (laquelle ne précède bientôt plus le verbe fini), et la sémantique (il y a des glissements de sens au sein du groupe des perfecto-présents, de la période VA tardif à la période MA) qui reflètent le changement de statut des perfecto-présents.

Cette grammaticalisation est aussi visible morphologiquement : même si certaines formes reflètent encore le nombre et la personne (particulièrement la seconde personne du singulier, présent ou prétérit), ces verbes ne possèdent désormais que deux formes : une forme présente (différente de celle des verbes lexicaux qui ont la 3e personne du singulier au présent) et une forme passée (alors qu´en VA, nous avions encore une morphologie visible pour l´irréel, et pour les différentes personnes du présent et du prétérit).

Comment cette grammaticalisation est-elle visible ? Dans la théorie des phases, les items choisis dans le lexique sont déjà fléchis, et ils satisfont un ensemble de traits avec des têtes fonctionnelles. Dans la théorie de la Morphologie Distribuée de Halle, Marantz (1993), à chaque morphème va correspondre une tête fonctionnelle, dont les traits ininterprétables sont identiques à ceux des morphèmes. De fait, lorsqu´il y a appauvrissement morphologique, il y a disparition de certains traits au sein des morphèmes, ce qui réduit la compétition entre les items lexicaux. Prenons une exemple. En VA, nous avions la forme présente, à la seconde personne du singulier, du perfecto-présent CUNNAN : canst. Si nous le représentons maintenant sous forme d´arborescence, nous avons :

(294)
Tree 85

Mais nous pouvons aussi faire une autre analyse morphologique de ce perfecto-présent : nous pouvons considérer chaque morphème indépendamment et dire qu´à chacun de ces morphèmes correspond une projection fonctionnelle. La structure ainsi obtenue ne diffère que de très peu de la précédente. Le changement majeur est le statut de la racine <cαn>, que nous ne considérons plus comme un verbe, mais comme un des morphèmes constituant le paradigme canst. La structure serait alors la suivante :

(295)
Tree 86

La notation V-1 est empruntée à Jensen (1990) : elle souligne le fait que can est désormais une racine, et que c´est la somme des morphèmes qui forme le verbe canst. Cette approche diffère du minimalisme où le verbe est choisi dans le lexique déjà fléchi. Mais elle n´est pas incompatible, puisqu´elle peut rendre compte de la grammaticalisation des perfecto-présents pendant la période moyen-anglaise. En effet, si l´on considère que les perfecto-présents sont des paradigmes constitués d´une racine et d´un ensemble de traits, le phénomène de grammaticalisation a pour conséquence que les perfecto-présents perdent leurs désinences et l´alternance vocalique au présent de l´indicatif, c´est-à-dire que des traits morphosyntaxiques s´effacent au sein de ces items lexicaux. Et du fait de l´effacement de certains de ces traits, cela induit l´effacement de certains traits d´autres morphèmes (c´est ce que la Morphologie Distribuée appelle le décrochage (delinking) : lorsque le décrochage de certains traits se produit, il entraîne celui des traits dépendants (le changement se fait toujours d´une valeur marquée vers une valeur moins marquée)).

Reprenons notre exemple þu canst et comparons-le à son équivalent AC you can (forme que nous retrouverons en MA). Que remarquons-nous ? La marque de la personne a morphologiquement disparu, et il n´y a plus d´alternance vocalique (en VA, CUNNAN → can ; en MA CUNNEN → can mais en AC CAN → can). De plus, la forme est identique pour toutes les personnes. La structure que nous obtenons est alors :

(296)
Tree 87

Nous allons nous référer à nouveau à cette structure un peu plus loin dans notre travail. Mais nous allons la corriger car, après grammaticalisation, les modaux ne sont plus des verbes semi-lexicaux mais des items grammaticaux.

Revenons maintenant à nos exemples (279) à (291). Ils nous permettent de souligner les points suivants, importants pour notre analyse.

  1. Nous avons un ordre de surface qui est SVO, même si nous remarquons que la morphologie est encore marquée, c´est-à-dire visible, sur les verbes modaux aux 2es personnes du singulier et du pluriel (exemples (285), (286) et (290)). Nous faisons l´hypothèse que ces marques morphologiques, tant sur les modaux (personne, nombre et temps) que sur les sujets thou (2e personne du singulier) et ʒe (2e personne du pluriel), n´influencent pas la structure SVO.

  2. Nous trouvons encore des structures CP-V2 lesquelles illustrent les structures SOV du VA : dans un cas, ces structures sont introduites par un élément négatif (exemple (284)), dans un autre cas, elles sont introduites par un topique (exemples (287), (290) et (291)).

  3. Dans deux des exemples que nous avons pris (mais il y en a bien sûr d´autres), on peut se poser la question de savoir si nous avons affaire à une structure SOV (donc VA) ou à un structure SVO (donc MA) : l´objet se trouve entre le sujet et le verbe fini (si l´on considère, comme nous l´avons fait à présent, que l´objet est l´argument interne de vP). Ce sont les exemples (280) et (286).

  4. Enfin, dans les exemples (279), (282), (283), (288) et (289), nous avons les structures SVO du MA : les cas ne sont plus morphologiquement marqués (les cas NOM et ACC notamment, ce qui fige la structure), tout comme les verbes modaux ne sont plus marqués pour la personne et le nombre, seul le temps est visible (présent ou prétérit).

Avec la coexistence de ces deux structures en moyen-anglais se pose aussi l´existence d´une tête fonctionnelle pour traduire cette grammaticalisation. C´est ce que nous avons introduit dans le chapitre précédent. Nous avons montré l´existence d´une tête fonctionnelle vModal pour les perfecto-présents semi-lexicaux. Cette tête fonctionnelle est toujours présente pendant la période MA. Il en est de même pour la tête fonctionnelle Mode que nous avons introduite en VA pour les modaux épistémiques et l´irréel. Ces deux têtes rendent compte des deux grands types de modalité en anglais : la modalité épistémique et la modalité déontique même si en MA, selon Denison (1993), les lectures épistémiques des modaux sont moins courantes que les lectures déontiques. On pourrait résumer cet état de fait de la manière suivante : dans l´arborescence, tout ce qui est en-dessous de T (c´est-à-dire vModal) est semi-grammaticalisé ; tout ce qui est au-dessus de T (c´est-à-dire Mode) est grammaticalisé. T marque la frontière syntaxique entre ces deux états. Ce qui revient à dire que le modal est ou non dans la portée sémantique de T. Si le modal n´est pas dans la portée sémantique de T, l´évaluation de la relation prédicative est au temps de l´énonciation, il a alors une lecture épistémique, ou il est dans le domaine de l´irréel, et le passé morphologiques n´a pas de valeur temporelle. Si le temps porte sur le modal, celui-ci est déontique.

Dans les prochaines sections, nous allons analyser les perfecto-présents par rapport à la modalité, en soulignant que les modaux épistémiques et déontiques ont la même structure, la seule différence étant que les modaux épistémiques sont générés sous T et que les modaux déontiques le sont sous vModal et monte à T. Notamment pour les modaux déontiques, nous établirons un parallèle avec les structures causatives. Nous allons aussi esquisser l´analyse de la grammaticalisation de la préposition TO (suivie d´un infinitif), pour la mettre en relation avec la grammaticalisation des verbes modaux. Nous allons aussi revenir sur la notion d´aspect perfectif, ainsi que sur la structure syntaxique des verbes causatifs.

3.5. Structures infinitives : généralités

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que lorsqu´il s´agissait des verbes perfecto-présent ou des verbes lexicaux, la structure infinitive différait. Qu´en est-il en moyen-anglais ? Nous nous rappelons que les infinitifs VA avaient tous une flexion particulière : -an, flexion qui valait tant pour les verbes lexicaux que les perfecto-présents. En MA, nous retrouvons encore cette flexion -en, mais beaucoup d´infinitifs sont désormais nus : la marque morphologique a disparu. Cette perte est due aux différentes influences linguistiques que le MA a connues. Mais, cette perte morphologique (note: ) est aussi responsable, entre autres, de la grammaticalisation des perfecto-présents.

Concernant les verbes lexicaux, nous remarquons différents types de structures :

  1. Le verbe fini est suivi d´un infinitif fléchi avec TO,

    (297)
    that alle schrewes ne ben worthy to han torment ?
    que tous tyrans-SUJET NEG sont-PRES dignes TO avoir tourment-OBJET ?

    que tous les tyrans ne sont pas dignes d´être tourmentés ? (CMBOETH,448. C2.421)

  2. Le verbe fini est suivi d´un infinitif introduit par FORTO,

    (298)
    ... he shall cumenn efft To demenn alle þede-OBJET, & forr to ʒeldenn iwhillc mann Affterr hiss aʒhenn dede.
    ... il-SUJET doit venir souvent TO juger tout-OBJET pays-OBJET, & FOR TO rendre chaque-OBJET homme-OBJET après sa propre mort.

    ... il doit souvent venir juger tout pays, et restituer chaque homme après sa mort. (CMORM,DED.L171.39)

    (299)
    Prudence, his wyf, (...) bisoghte hym of his wepyng for to stynte.
    Prudence, sa femme, (...) implora-PRET lui-OBJET de ses pleurs FOR TO s´arrêter.

    Sa femme Prudence l´implora de ses pleurs pour qu´il s´arrête. (CMCTMELI,217.C1b.10)

  3. Le verbe fini est suivi d´un infinitif sans TO,

    (300)
    Whan Prudence hadde herd hir housbonde avanten hym of his richesse and of his moneye, ...
    Quand Prudence-SUJET eut-PRET entendu-P.PASSE son-SUJET mari-SUJET vanter lui-OBJET de sa richesse et de son argent, ...

    Lorsque Prudence avait entendu son mari se vanter de sa richesse et de son argent, ... (CMCTMELI,232.C2.601)

    (301)
    ... Ne munnde he næfre letenn himm Þurrh rodepine cwellenn ;
    ... NEG se souvint il-SUJET jamais laisser lui-SUJET à cause de le tourment de la croix tuer ;

    ... Il ne se souvint jamais de l´avoir laissé exécuter sur la croix ; (CMORM,I,68.612)

  4. Enfin des structures infinitives dont le verbe fini qui les précède est le verbe let,

    (302)
    þach he seo þt heo him mis paiʒe he let hire ʒete iwurden.
    bien que il-SUJET voit-PRES que elle-SUJET lui-OBJET déplaît il-SUJET laisse-PRES elle-SUJET cependant être.

    bien qu´il se rende compte qu´elle lui déplaît, il la laisse néanmoins être telle qu´elle est. (CMANCRIW,II.161.2223)

Donnons à présent des exemples de structures infinitives introduites par des modaux :

(303)
But nathelees, men shal hope that every tyme that man falleth, be it never so ofte, that he may arise thurgh Penitence...
Mais néanmoins, hommes-SUJET PL doivent espérer que chaque fois que on-SUJET tombe-PRES, est-PRES cela-SUJET jamais si souvent, que il-SUJET peut s´élever par pénitence...

Mais, néanmoins, les hommes doivent espérer qu´à chaque fois que l´un d´entre eux tombe (puisse cela n´arriver que rarement), il puisse se relever par la pénitence... (CMCTPARS,288.C2b.21)

(304)
First a man shal remembre hym of his synnes ;
D´abord un homme-SUJET doit souvenir lui-même de ses péchés-PL ;

Un homme doit d´abord se souvenir de ses péchés ; (CMCTPARS,290.C1.75)

(305)
... whil that iren is hoot, men sholden smyte...
... pendant que le fer-SUJET est-PRES chaud, on-SUJET doit battre...

... il faut battre le fer tant qu´il est chaud... (CMCTMELI,219.C1.82)

(306)
And therfore, er that any werre bigynne, men moste have greet conseil and greet deliberacion.
Et ainsi, avant que quelconque guerre-SUJET commence-PRES, on-SUJET devrait avoir grand conseil et grande délibération.

Et ainsi, avant qu´une guerre ne commence, on devrait tenir un conseil et délibérer. (CMCTMELI,219.C2.90)

(307)
Forr whase mot to læwedd follc Larspell off Goddspell tellenn, He mot wel ekenn maniʒ word Amang Goddspelless wordess.
Car quiconque doit au simple peuple sermon-OBJET de Evangile dire, il-SUJET doit bien développer beaucoup mot-OBJET parmi Evangile paroles-PL.

Car quiconque doit dire un sermon tiré de l´Evangile au peuple ignorant, doit expliquer de nombreux mots issus de ce texte. (CMORM,DED.L53.16)

(308)
Þa Goddspelless alle þatt icc Her o þiss boc maʒʒ findenn, Hemm alle wile icc nemmnenn her Bi þeʒʒre firrste wordess.
Les évangiles-PL tous que je-SUJET ici dans ce livre peut trouver, eux-OBJET tout FUTUR je-SUJET nommer ici par leurs premiers mots-PL.

Tous les évangiles que je peux trouver dans ce livre, je les nommerai en citant leurs premiers mots. (CMORM,DED.L335.65)

(309)
For uh an schal halde þuttere...
Car chaque un-SUJET doit soutenir autre...

Car chacun doit soutenir l´autre... (CMANCRIW,I.44.26)

(310)
& heo schal habbe leaue to gladien hire fere, ...
& elle doit avoir amour TO jouir son pouvoir, ...

& elle doit avoir de l´amour pour jouir de son pouvoir, ... (CMANCRIW,II.57.552)

(311)
and ye shal fynde refresshynge for youre soules.
et vous-SUJET devez trouver repos-OBJET pour vos âmes-PL.

et vous trouverez un repos pour vos âmes. (CMCTPARS,288.C1b.10)

Le changement commun à tous les verbes est que l´on va parfois trouver la désinence -en sur les infinitifs, et parfois, l´infinitif va être nu.

Avec AGEN, la structure infinitive est identique aux verbes lexicaux (car introduite par TO), ce qui reflète la grammaticalisation de ce verbe (nous consacrons une partie entière à ce perfecto-présent, voir l´Annexe B), et le parallélisme que l´on peut faire avec celle de TO.

Ces différents exemples (modaux et verbes lexicaux) sont intéressants d´un point de vue morphologique, ou plus précisément, d´un point de vue morphosyntaxique. En effet, nous avons une « compétition » entre deux structures :

  1. modal + INFINITIF-en et verbe + TO+ INFINITIF-en, d´une part, et

  2. modal + INFINITIF-∅ et verbe + TO + INFINITIF-∅, d´autre part.

Dans la Section 2.5.1 du chapitre précédent, nous avons analysé en quoi la structure infinitive des perfecto-présents et des verbes lexicaux différait :

- [vModal Perfecto-présent [vP sujet Infinitif]] et,

- [VP VLexical[CP [C ∅ [TP PRO [T (TO) [VP Infinitif]]]]]] ou [VP VCausatif [TP (TO) Infinitif]].

On peut maintenant se poser la question : ces structures changent-elles lorsque les infinitifs deviennent nus, c´est-à-dire non fléchis ? En d´autres termes, cette perte morphologique induit-elle un changement syntaxique, ou, plus précisément, une grammaticalisation des perfecto-présents et de TO ?

Dans Roberts, Roussou (2003) : 112-9, les auteurs postulent que la perte du subjonctif et de la forme fléchie des infinitifs jouent un rôle dans la grammaticalisation de TO (le contenu modal de la flexion du subjonctif a été « transféré » à TO), supposant que les traits de mode sont désormais réalisés dans une position plus haute (et non plus par la désinence). De fait, ils considèrent la forme verbale des constructions infinitives introduites par TO comme des « subjonctifs » car elle lui est morphologiquement identique, et, selon eux, l´augmentation de ce type de structures en MA tient à la baisse des propositions subjonctives (avec une morphologie marquée). Dans leur analyse, la particule TO serait donc une « tête subjonctive ». Même si nous ne suivons pas leur analyse de la particule TO, la perte morphologique de la flexion -en des infinitifs et des flexions -e et -en du subjonctif participe de la grammaticalisation de certains items (tels que les perfecto-présents ou TO). Comme nous l´avons vu dans le chapitre précédent, les perfecto-présents et la particule TO se comportent de la même manière par rapport à l´ellipse du verbe non fini. Nous retrouvons ce fait syntaxique en MA.

(312)
and gief he hadde werred wið god alse þe deuel him to eggede...
et si il-SUJET avait-PRET combattu-P.PASSE avec Dieu aussi le diable-SUJET lui-OBJET TO approché-P.PASSE...

et s´il avait combattu Dieu, et que le diable l´avait aussi approché ... (CMTRINIT,195.2699)

(313)
to speke that thou woldist not ∅...
TO dire que tu-SUJET voudrais NOT ∅...

dire ce que tu ne voudrais pas (dire)... (CMAELR4,3.64)

3.5.1. Les structures causatives

Par rapport à ce que nous avions trouvé en VA, les causatifs en moyen-anglais n´ont pas la même structure : ils ont désormais un VP pour complément (comme les perfecto-présents), et non plus un TP. Ce qui impliquerait que ces verbes ont une position syntaxique différente : en VA, nous avons montré qu´ils étaient des V, et qu´il étaient donc lexicaux. En MA, nous proposons (puisque leur structure est identique à celle de l´anglais contemporain) qu´ils sont semi-lexicaux (c´est-à-dire des verbes opérateurs), et que ce sont des v. Nous émettons l´hypothèse qu´ils sont désormais générés sous v. La grammaticalisation des verbes causatifs motiverait la grammaticalisation des modaux déontiques :

(314)
(314.a)

verbe causatif : lexical (V) ⟶ semi-lexical (v),

(314.b)

modal déontique : semi-lexical (vModal) ⟶ grammatical (vModal : c´est la position qui s´est grammaticalisée, en Morphologie Distribuée, vModal et T fusionnent totalement).

Regardons quelques exemples.

(315)
þu habbe heo idon mid þe licome...
you-SUJET have-PRES them-OBJET do with the flesh...

tu leur as fait faire avec la chair... (CMLAMBX1,21.242)

(316)
uor uirtue makeþ wynne heuene, and onworþi þe wordle...
or virtue-SUJET makes-PRES win heaven, and be worth the world...

ou la vertu (nous) fait gagner le paradis et mériter le monde... (CMAYENBI,84. 1630)

(317)
(they sholden) at the last maken hem lesen hire lordshipes...
(they should) at the last make them-SUJET lose their powers-PL...

au moins doivent-ils leur faire perdre leurs pouvoirs... (CMCTMELI,231.C1.532)

Cela implique que, syntaxiquement, ils n´ont plus la même position : ils sont passés du statut de verbe lexical à celui de verbe semi-lexical (alors que les modaux sont passés eux du statut de verbe semi-lexical à celui de verbe grammatical, comme l´illustre l´exemple (314) pour les modaux déontiques).

Avec ces différents exemples (hormis ceux illustrant les verbes causatifs « have » et « make »), nous avons montré que les modaux ont le même comportement syntaxique que la particule TO vis-à-vis de l´ellipse du verbe non fini. Il existe donc un parallèle entre l´évolution des perfecto-présents et celle de TO. Aussi, l´idée proposée par Roberts et Roussou est séduisante, et nous pouvons l´appliquer aux perfecto-présents : avec la perte de la flexion infinitivale, et des flexions du subjonctif, ces mêmes verbes connaissent alors un changement de statut. Ils se grammaticalisent, et c´est ce que nous remarquons avec les formes de should et would qui, pour une grande partie d´entre elles, appartiennent à la sphère de l´irréel (le conditionnel(note: ). Nous traitons de ce point un peu plus loin dans notre travail.

3.6. Modalité

3.6.1. Epistémicité et déonticité

A la différence du VA, il est plus facile de voir les lectures épistémiques et déontiques en MA : l´appauvrissement morphologique et les glissements sémantiques des verbes perfecto-présents motivent leur grammaticalisation, et les notions qui les caractérisent (possibilité, nécessité, obligation) sont plus faciles à percevoir. En plus de ces lectures, certains verbes (comme SCULEN et WILLEN) sont de plus en plus employés pour exprimer un futur (chose qu´ils faisaient déjà, dans une moindre mesure, en VA), et surtout le conditionnel.

Prenons quelques exemples de modaux déontiques,

(318)
ʒho þa shollde ben þurrh Godd Off Haliʒ Gast wiþþ childe.
tu-SUJET alors CONDITIONNEL être à travers Dieu de Saint Esprit avec enfant.

tu porterais alors un enfant issu du Saint Esprit. (CMORM,I,67.609)

(319)
ʒe ne schulen, ic segge, makie na ma uuz of feste biheastes.
tu-SUJET NEG FUTUR, je-SUJET dis-PRES, faire aucun plus usage-OBJET de fête promesses-PL.

je dis que tu ne feras plus aucun usage des promesses de fête. (CMANCRIW,I.46.53)

(320)
... yet thar ye nat accomplice thilke ordinaunce but yow like.
... pas encore as besoin tu-SUJET NOT appliquer ce décret à moins que toi-OBJET aime-PRES.

... cependant, tu n´as pas besoin d´appliquer ce décret, à moins que tu ne le veuilles. (CMCTMELI,220.C2.127)

puis de modaux épistémiques,

(321)
Acc þu shallt findenn þatt min word, ...
Mais tu-SUJET FUTUR trouver que ma parole-SUJET, ...

Mais tu te rendras compte que ma parole, ... (CMORM,DED.L23.14)

[nous avons ici une lecture épistémique de SHALL : je sais que tu te rendras compte que...]

(322)
... michte for te serui þe, wisdom for to queme þe, luue ant wil to don hit ; mihte, þet ich maʒe don, wisdom, þet ich cunne don, luue, þet ich wulle don al þet þe is leouest.
... pouvoir FOR TO servir toi-OBJET, savoir FOR TO satisfaire toi-OBJET, amour et volonté TO faire cela-OBJET ; pouvoir, que je-SUJET peut faire, savoir, que je-SUJET sais faire, amour, que je-SUJET veux faire tout-OBJET que cela-OBJET est-PRES chéri.

... le pouvoir pour te servir, le savoir pour te satisfaire, l´amour et la volonté pour faire cela ; le pouvoir que je peux exercer, le savoir que je peux posséder, et l´amour, qui est tout, que je veux prodiguer. (CMANCRIW,I.62.200)

(323)
The yeer of oure Lord 1391, the 12 day of March at midday, I wolde knowe the degre of the sonne.
La année de notre Seigneur 1391, le 12 jour de mars en milieu de journée, je-SUJET CONDITIONNEL savoir le degré de le soleil.

En l´année 1391 de notre Seigneur, le douzième jour du mois de mars, en milieu de journée, je connaîtrais le degré du soleil. (CMASTRO,669.C1.189)

(324)
I wolde seye, that he wolde geten hym sovereyn blisfulnesse ;
je-SUJET CONDITIONNEL dire, que il-SUJET CONDITIONNEL obtenir lui-OBJET souveraine joie-OBJET ;

je dirais qu´il obtiendrait de lui une joie souveraine ; (CMBOETH,430.C1.82)

Ces exemples nous permettent de montrer deux choses : 1) le processus de grammaticalisation se met définitivement en place, et 2) ce même processus est illustré par un changement de la morphologie des modaux qui va influencer le sens qui leur est donné (c´est-à-dire morphologie passée mais sens irréel (= conditionnel)).

En effet, si l´on se rappelle la structure (295), où l´on a donné la structure morphologique du paradigme canst, nous avons considéré <cαn> comme étant la racine du paradigme en question, et que cette racine n´était pas considérée comme un verbe à proprement parler. D´un point de vue sémantique, cela ne veut pas dire que cette racine ne contient pas de sens ; elle en a effectivement un : « savoir, être capable ». Mais si nous considérons la racine <cαn> comme un V-1, et non comme un V, on peut être amené à penser que V-1 a moins de sens que V, mais non que V-1 n´en a pas du tout. Cependant, en devenant un V, puis un élément temporel, après grammaticalisation, le sens va se stabiliser (car entre le VA et le MA, le sens des perfecto-présents va quelque peu changer, voir Stévanovich (2000)).

Nous allons ajouter quelques autres exemples de modaux épistémiques. Ces modaux épistémiques sont eux aussi tirés de Denison (1993) : 298-303. Et comme dans le chapitre précédent, les exemples (325) à (330) ont un sujet réalisé, mais pas les exemples (331) à (339).

(325)

sone hit mæi ilimpen.

Bientôt, cela peut arriver. (a1225( ?a1200) Lay.Brut 2250)

(326)
And if þou wynus it mai not be Behald þe sune, and þou mai se.
et si tu penses cela peut NOT être Regarde le soleil, et tu pourras voir.

et si tu penses que cela ne peut pas être, regarde le soleil et tu verras. (a1400(a1325) Cursor 289)

(327)
Vr neghburs mai þam on vs wreke.
Nos voisins peuvent eux sur nous venger.

Nos voisins peuvent se venger de nous. (a1400(a1325) Cursor 11963)

(328)

Sen þou ert both ong and fayre, þou mai haue childer to be þine aire.

Puisque vous êtes jeunes et beaux, vous pouvez fort bien avoir des enfants qui soient vos héritiers. (a1425( ?a1350) 7 Sages(2) 2843)

(329)

þough þe fflame of the ffyre of love may not breke out so þat it may be seyn, ...

bien que les flammes du feu de l´amour ne peut pas éclater de sorte qu´il peut etre vu, ... (1472 Stonor 123 I 126.36)

(330)
Þe enbatelynge aboute... mai well be her feyned holynesse wherbi þei colouren al ere euele.
Les remparts autour... peuvent bien être leur feinte sainteté par laquelle ils déguisent tout leur mal.

Les remparts tout autour peuvent être une sainteté feinte avec laquelle ils masquent toute leur méchanceté. ( ?c1425( ?c1400) Loll.Serm. 1.168)

(331)
grisen him mahte þet sehe hu...
ressentir l´horreur lui-OBL pourrait que voyait comment...

Celui qui vit comment on pouvait ressentir l´horreur... (c1225( ?c1200) St.Juliana(Bod) 51.551)

(332)
ne schal him þurste neuere.
NEG doit lui-OBL apaiser sa soif jamais.

cela n´apaisera jamais sa soif. (a1300 Þo ihu crist 85.24)

(333)
Vs shal euer smerte.
nous-OBL doit toujours ressentir la douleur.

nous ressentirons toujours la douleur. (a1300 Sayings St.Bede(Jes-O) 83.336)

(334)
hym shall not gayne.
lui doit NOT profiter.

il n´en profitera pas. (a1500( ?a1300) Bevis(Cmb) p.83, textual note to 1583-1596)

(335)
Ne þurhte þe neuer rewe, myhtestu do þe in his ylde.
NEG avait besoin toi-OBL jamais regretter, pourrais-tu mettre toi-même dans sa protection.

Tu n´aurais jamais à regretter de t´être mis sous sa protection. (a1300 A Mayde Cristes(Jes-O) 96)

(336)
Mai fall sum gast awai him ledd, And es vnto þe felles fledd.
peut arriver quelque esprit au loin lui mena, et est dans les collines enfui.

Peut-être quelque esprit l´a mené au loin et (il ?) s´est enfui dans les collines. (a1400(a1325) Cursor 17553)

(337)
Hym thar not nede to turnen ofte.
lui-OBL a besoin NEG nécessairement TO tourner souvent.

Il n´est pas nécessaire qu´il se tourne souvent. (c1450(1369) Chaucer BD 256)

(338)
Him may fulofte mysbefalle.
lui-OBL peut très souvent supporter malheur.

il se peut qu´il supporte très souvent le malheur. ((a1393) Gower CA 1.457)

(339)
Hym wolde thynke it were a disparage To his estate.
lui-OBL COND sembler cela était une disgrâce pour sa fortune.

Cela lui semblerait être une disgrâce pour sa fortune. ((c1395) Chaucer CT.C1. IV.908)

Ces exemples illustrent le fait qu´à la période moyen-anglaise les lectures épistémiques des modaux augmentent (par rapport à la situation en VA).

Ces exemples nous montrent que la grammaticalisation des modaux se met en place. Ce processus a une forte influence sur la syntaxe : comme nous l´avons déjà mentionné, les positions syntaxiques hiérarchiquement supérieures à T sont grammaticalisées, à la différence de celles qui lui sont hiérarchiquement inférieures. Comme nous l´avons dit, les modaux sont toujours générés sous vModal, mais avant l´insertion lexicale sous T, dans le composant morphologique, vModal fusionne totalement à T. Comme nous l´avons souligné dans le chapitre précédent, la position Mode est « grammaticalisée ». Mais, au cours de la période moyen-anglaise, la position vModal va elle aussi se grammaticaliser, et les modaux ayant une lecture déontique seront, comme leurs homologues épistémiques, des items grammaticaux. Les modaux épistémiques et déontiques sont des verbes de montée.

3.6.2. Modalité et syntaxe

Rappelons la structure des modaux épistémiques et déontiques :

(340)
(340.a)
Tree 88 Tree 89

Dans la Section 3.6.1, nous avons vu qu´il existait quatre têtes fonctionnelles Mod, selon l´analyse de Cinque : ModNécessité, ModPossibilité, ModVolition et ModObligation. Il semble donc, comme nous venons de le voir, qu´il existe en MA des têtes fonctionnelles pour les verbes modaux, selon qu´ils sont épistémiques ou déontiques. Cependant, nous ne suivons pas la multiplicité des têtes fonctionnelles de Cinque. Nous en restons à deux têtes fonctionnelles modales : Mode et vModal. Toutes deux possèdent les traits suivants : [±déont], [±past], [±réel]. Mais vModal aura un trait [+déont], et Mode un trait [-déont]. Le trait [±past] dépend de la forme morphologique du verbe modal, mais surtout du contexte et de la nature de la proposition infinitive (si c´est un infinitif présent, ou un infinitif passé) ; le trait [±réel] dépend du contexte. Donnons-en une représentation, pour chaque forme, sous forme de tableau (la voyelle en italique représente la voyelle radicale, et le morphème en gras, la flexion verbale : prétérit en dentale).

(341)
Infinitif [-past] [±irréel] [+past] [±irréel]
MOTEN mot moste
OWEN owe ahte
WILLEN wil wolde
CUNNEN can cuþe
DURREN dar dorste
MOWEN mai mighte
SCULEN shal sholde
ÐURFEN þarf þorfte
UNNEN an uþe
WITEN wot wiste

Prenons le verbe CUNNEN : avec la forme can, nous savons que nous avons choisi une forme [-past], du fait de la voyelle radicale <a> ; avec la forme cuþe, nous savons que c´est une forme prétérit grâce à la voyelle radicale <u>, d´une part, et grâce à la dentale <þe> qui indique le temps [+past]. Ces deux formes peuvent être [±réel].

3.6.3. Têtes fonctionnelles modales et structures infinitives

Dans le chapitre précédent, nous avons défini deux têtes fonctionnelles correspondant aux deux lectures que l´on pouvait faire des perfecto-présents.

A la période MA, d´après les exemples que nous avons analysés dans la Section 3.6.2, la tête vModal gouverne les modaux déontiques, et la tête Mode les modaux épistémiques. Concernant la négation, nous trouvons encore ne (qui ne fusionne plus dans les exemples que nous proposons), et de plus en plus la négation not.

(342)
& þach þurch me ne schulde hit neauer beon iupped.
& alors à cause moi NEG devait il-SUJET jamais être ouvert-P.PASSE.

et alors, à cause de moi, il ne devait jamais être ouvert. (CMANCRIW,II.70.795)

(343)
Certes, quod she, the wordes of the phisiciens ne sholde nat han been understonden in thys wise.
Certainement, dit-PRET elle-SUJET, les paroles-SUJET PL de les médecins-PL NEG doivent NOT avoir été-P.PASSE comprises-P.PASSE de cette manière.

Effectivement, dit-elle, les paroles des médecins n´ont pas dû être comprises de cette manière. (CMCTMELI,226.C2.360)

(344)
And therfore seith Salomon, « The wratthe of God ne wol nat spare no wight-OBJET... »
Et alors dit-PRES Salomon-SUJET, « La colère de Dieu-SUJET NEG veut NOT épargner aucune créature... »

Et Salomon dit alors : « La colère de Dieu n´épargnera aucune créature... » (CMCTPARS,291.C1.119)

(345)
ne a more worthy thing than God mai not ben concluded.
ni une plus noble chose-SUJET que Dieu peut NOT être décidée-P.PASSE

on ne peut décider d´une plus noble chose que Dieu. (CMBOETH,433.C1.178)

(346)
The serpent seyde to the womman, « Nay, nay, ye shul nat dyen of deeth. »
Le serpent-SUJET dit-PRET à la femme, « Non, non, tu-SUJET devra NOT mourir de mort. »

Le serpent dit à la femme : « Non, non, tu ne mourras pas. » (CMCTPARS,296.C2b. 362)

Nous trouvons deux cas de figure : des exemples dans lesquels la négation principale de la phrase est la particule adverbiale négative ne (employée seule ou conjointement avec un autre élément négatif, comme not) : ne est la tête de Neg1P, et not appartient à une seconde projection Neg2P, plus basse dans la structure (Neg1P-T-Neg2P), dans laquelle la tête Neg n´est pas réalisée, mais est contrôlée par la particule adverbiale négative ne. Il y a alors concordance négative. Dans d´autres exemples, la négation principale de la phrase est not (comme en français, avec la négation ne... pas : ne tend à disparaître et pas devient la négation principale de la phrase, par exemple, « j´ai pas compris la question ») et reste générée sous Spec,Neg2P. La tête Neg, quant à elle, n´est pas réalisée, mais elle n´est plus contrôlée par ne puique celui-ci disparaît (avec Neg1P). Il semble donc que la grammaticalisation des modaux et la prédominance de la négation de phrase not sont liées : en termes de Morphologie Distribuée, la tête Neg2 est contiguë à T qui fusionne à vModal. Du fait de cette contiguïté, la linéarisation des items lexicaux insérés est [T - NOT - vModal]. Or, dans le corpus, la négation principale not ne précède pas le verbe, quel qu´il soit.

Ce qui implique qu´il y a eu apprauvrissement : le nœud fonctionnel Neg1 disparaissant, c´est le second nœud fonctionnel qui prend le relais (c´est le décrochage). Celui-ci se trouvant entre T et V, V ne peut plus être c-commandé par le morphème T, car il n´y a plus de contiguïté entre V et T : la fusion totale ne peut plus se faire, d´où la disparition des phrases V2 pour les verbes lexicaux.

A la période MA, nous avons vu que deux têtes fonctionnelles pour les modaux coexistaient. Au vu des exemples tirés des textes que nous étudions, nous remarquons aussi que le trait [+neg] semble désormais moins fort, car la cliticisation de ne peut aussi apparaître avec des verbes autres que les verbes modaux (nous avons trouvé des exemples dans tous les textes sauf Chaucer, et il y a toujours cliticisation lorsque le verbe commence par une voyelle). Ce trait est aussi moins fort car la négation not tend à remplacer la particule adverbiale négative ne du VA qui précédait immédiatement le verbe fini (nous renvoyons le lecteur à la Section 3.7).

(347)
ne Preche ʒe to nan mon ne naske ʒe of counseil.
NEG préchez-IMP vous-SUJET à aucun homme ni NEG+demandez-IMP vous-SUJET de conseil.

ne prêchez aucun homme et ne demandez de conseil. (CMANCRIW,II.58.569)

(348)
... Þatt tu ʒet nunnderrstanndesst nohht, Forr þatt tu narrt nohht fullhtnedd,
... que tu-SUJET encore NEG+comprends-PRES NOT, car que tu-SUJET NEG+es-PRES NOT encouragé-P.PASSE...

... celui que tu ne comprends pas encore car on ne t´encourage pas... (CMORM,II, 241.2494)

Reprenons maintenant quelques exemples de modaux épistémiques et déontiques, et analysons-les.

Les exemples (349) et (350) sont épistémiques, les exemples (351) et (352) sont déontiques.

(349)
And if þou wynus it mai not be Behald þe sune, and þou mai se.
et si tu penses cela peut NOT être Regarde le soleil, et tu pourras voir.

et si tu penses que cela ne peut pas exister, regarde le soleil et tu verras. (a1400(a1325) Cursor 289)

(350)
Vr neghburs mai þam on vs wreke.
Our neighbours peuvent eux sur nous venger.

Nos voisins peuvent se venger de nous. (a1400(a1325) Cursor 11963)

(351)
Acc þu shallt findenn þatt min word, Eʒʒwhær þær itt iss ekedd, ...
Mais tu-SUJET dois trouver que ma parole-SUJET, partout là-bas elle-SUJET est-PRES developpée-P.PASSE, ...

Mais tu dois trouver que ma parole, partout où elle est développée, ... (CMORM, DED.L23.14)

(352)
And for he shal be verray penitent, he shal first biwaylen The synnes that he hath doon...
Et parce que il-SUJET doit être très pénitent-OBJET, il-SUJET doit d´abord laver les péchés-OBJET PL que il-SUJET a-PRES fait...

Et parce qu´il doit faire pénitence, il doit d´abord se laver des péchés qu´il a commis... (CMCTPARS,288.C2b.17)

Regardons d´abord la structure des propositions infinitives lorsque le modal est épistémique, et donnons l´illustration de l´exemple (349) :

(353)
Tree 90

Le sujet sémantique de be monte à Spec,TP, et devient le sujet grammatical de mei. Le modal a une lecture épistémique. Il est généré sous T et satisfait son trait [-déont] avec la position Mode, dans le domaine de CP. De plus, d´un point de vue sémantique, il ne remet pas en cause la relation sujet-prédicat, il ne fait que poser la vérité/non vérité de cette relation.

Avant de donner à nouveau la structure des modaux déontiques, donnons quelques exemples supplémentaires qui vont nous aider à définir que ce sont effectivement des verbes de montée . Dans ces exemples, l´objet est entre crochets.

(354)
and yf they knewen that thei shuld [no thinge] resceyue...
et si ils-SUJET savaient-PRET que ils-SUJET devaient aucune chose-OBJET recevoir...

et s´ils savaient qu´ils ne devaient rien recevoir... (CMAELR4,3.49)

(355)
for eauer me schal [þe cheorl] polkin & pilien.
car toujours on-SUJET FUTUR l´esclave-OBJET voler & piller.

car on volera et pillera toujours l´esclave. (CMANCRIW,II.69.773)

(356)
Þis zenne him to-delþ and spret ine zuo uele deles þet onneaþe, me may [hise] telle.
Ce péché-SUJET lui-OBJET distribue-PRES et étend-PRES dans ainsi bien parts-PL que avec difficulté, on-SUJET peut les siens-OBJET dire.

Ce péché le distribue et l´étend, c´est avec difficulté qu´on peut reconnaître les siens. (CMAYENBI,17.251)

(357)
ʒif þei wolde not be chastised, þei schulde [his loue] lese for euermore.
si ils PRET NOT être réprimandés-P.PASSE, ils-SUJET devoir-FUTUR son amour perdre pour toujours.

s´ils n´avaient pas été réprimandés, ils auraient dû perdre son amour pour toujours. (CMBRUT3,3.40)

(358)
for they ne kan [no conseil] hyde.
car ils-SUJET NEG peuvent aucun secret-OBJET cacher.

car ils ne peuvent cacher aucun secret. (CMCTMELI,224.C1.281)

(359)
... þat he loueþ or scholde [him] seruen.
... que il-SUJET aime ou devoir-CONDITIONNEL lui servir.

... qu´il aime ou devrait le servir. (CMEDVERN,248.363)

(360)
þt me schulde [katerine] bringe biuoren him.
que on-SUJET devoir-CONDITIONNEL Catherine-OBJET apporter devant lui.

qu´on devrait amener Catherine devant lui. (CMKATHE,35.260)

Au vu de nos exemples, il apparaît que tous les objets sont sémantiquement liés aux différents verbes non finis. Ce qui prouve que les modaux déontiques sont des verbes de montée, comme les modaux épistémiques.

3.6.4. Conséquences sur les têtes fonctionnelles T et Mode

On ne sait pas vraiment si la grammaticalisation des verbes modaux (et celle de la préposition TO) a eu lieu avant ou après la perte de la morphologie verbale en moyen-anglais, ou si c´est cette perte morphologique qui a entraîné la grammaticalisation des modaux (et de TO). Rappelons que l´anglais contemporain possède toujours le mode subjonctif, même s´il est devenu plus rare. Nous avons souligné le fait que la perte désinentielle du morphème -en, tant pour les infinitifs que pour le subjonctif, entraînait la grammaticalisation de la particule TO (et des perfecto-présents) qui pouvaient tenir lieu de tête modale (« mood ») pour le subjonctif (d´après l´analyse de Roberts, Roussou (2003)). Ainsi, certains modaux, comme SCULEN et WILLEN, peuvent avoir une forme passée, mais une valeur de conditionnel, les plaçant dans une sphère irréelle (note: ). Donc, s´il y a dissociation entre temps morphologique et temps syntaxique, c´est qu´il y a grammaticalisation de ces formes : la forme morphologique passée devient une forme modale. Voyons si les exemples qui suivent confirment ce point de vue.

(361)
« Though I wiste that neither God ne man ne sholde nevere knowe it, yet wolde I have desdayn for to do synne. »
« Bien que je-SUJET sais-PRES que ni Dieu ni homme NEG devoir-CONDITIONNEL jamais savoir cela-OBJET, pourtant CONDITIONNEL je-SUJET avoir dédain-OBJET FOR TO faire péché-OBJET. »

« Bien que je sache que ni Dieu ni l´homme ne devra jamais le savoir, j´aurais pourtant du dédain envers le péché. » (CMCTPARS,290.C2.94)

[« Bien que » nous ancre dans l´irréel, de fait sholde et wolde appartiennent aussi à l´irréel, leur forme n´a plus de valeur passée.]

(362)
And for as muche as a man may acquiten hymself biforn God by penitence in this world, and nat by tresor, therfore sholde he preye to God to yeve hym respit a while to biwepe and biwaillen his trespas.
Et pour autant que un-SUJET homme-SUJET peut acquitter lui-même-OBJET devant Dieu par pénitence dans ce monde, et NEG par trésor, ainsi devoir-CONDITIONNEL il-SUJET supplier à Dieu TO donner lui-OBJET répit-OBJET un moment TO regretter et pleurer son trépas-OBJET.

Et pour autant qu´un homme puisse s´acquitter devant Dieu, (par la pénitence dans ce monde et par le trésor), il devrait ainsi le supplier de lui donner un moment de répit pour regretter et pleurer son trépas. (CMCTPARS,291.C2.132)

[même chose que pour l´exemple précédent, « pour autant que » ancre l´énoncé dans l´irréel.]

(363)
but, certes, he sholde suffren it in pacience as wel as he abideth the deeth of his owene propre persone.
mais, certainement, il-SUJET devoir supporter le-OBJET dans patience aussi bien que il-SUJET attend-PRES la mort-OBJET de sa propre propre personne.

mais, c´est certain, il devra le supporter patiemment, de même qu´il attend sa propre mort. (CMCTMELI,217.C1b.20)

[l´énoncé est ici au présent, mais sholde n´en a pas pour autant une valeur passée, mais plutôt une valeur prospective, comme la mort à venir ; il a ici une valeur de « futur ».]

(364)
The yeer of oure Lord 1391, the 12 day of March at midday, I wolde knowe the degre of the sonne.
La année de notre Seigneur 1391, le 12 jour de Mars à midi, je-SUJET CONDITIONNEL savoir le degré-OBJET du soleil.

Le douze mars de l´année 1391 de notre Seigneur, à midi, je connaîtrais le degré du soleil. (CMASTRO,669.C1.189)

[wolde a ici une valeur conditionnelle (qui implique : si toutes les conditions sont requises, ce jour précis, je saurai).]

(365)
Þu þohhtesst tatt itt mihhte wel Till mikell frame turrnenn, ʒiff Ennglissh follc, forr lufe off Crist, Itt wollde ʒerne lernenn & follʒhenn itt...
Tu-SUJET pensais-PRET que cela-SUJET pouvait bien à grand de traduire, si anglais peuple-SUJET, pour amour du Christ, cela-OBJET CONDITIONNEL volontiers apprendre & suivre le-OBJET...

Tu pensais que cela pouvait bien se traduire en entier, si le peuple anglais, par amour du Christ, l´avait volontiers appris, suivi... (CMORM,DED.1.5)

[pour cet exemple, la forme mihhte appartient au passé, mais on peut se poser la question pour wollde, car il est introduit par « si » qui marque une condition.]

(366)
... Forr þatt he wollde uss waterrkinn Till ure fulluhht hallʒhenn, Þurrh þatt he wollde ben himm sellf Onn erþe i waterr fullhtnedd.
... Pour que il-SUJET CONDITIONNEL nous-OBJET water-follower à notre bâptème consacrer, parce ce que il-SUJET CONDITIONNEL être lui-OBJET même sur terre dans eau baptisé-P.PASSE.

... pour qu´il nous consacre à notre baptême parce qu´il serait lui-même baptisé sur terre et dans l´eau. (CMORM,DED.L171.44)

[dans cet exemple, « pour que » ancre l´énoncé dans l´irréel, les deux formes wollde ne sont que des passés morphologiques.]

(367)
... hit walde to swiðe hurten ower heorte ant maken ou swa offered þet ʒe muhten sone, as God forbeode, fallen i desesperance, ...
... cela-SUJET CONDITIONNEL trop grand blesser votre cœur-OBJET et faire vous-SUJET si offert-P.PASSE que vous-SUJET pouvoir-CONDITIONNEL bientôt, comme Dieu-SUJET interdit-PRET, tomber dans désespoir, ...

... cela blesserait trop votre cœur et vous exposerait tant que vous pourriez bientôt devenir désespéré... (CMANCRIW,I.46.65)

[les formes walde et muhten appartiennent toutes deux à l´irréel introduit par « aussi souvent que ».]

(368)
« hwerof chalengest þu me, þe appel þt ich loki on is for bode me to eoten, naut to bi halden », þus walde eve inoche raðe habben i onswered.
« de quoi defies-PRES tu-SUJET moi-OBJET, la pomme-SUJET que je-SUJET regarde-PRES est-PRES interdite-P.PASSE moi-OBJET TO manger, NOT TO contempler », ainsi vouloir-CONDITIONNEL Eve-SUJET assez vite avoir répondu-P.PASSE.

« de quoi me défies-tu, la pomme que je regarde, il m´est interdit de la manger, mais pas de la contempler », ainsi Eve aurait-elle voulu très vite répondre. (CMANCRIW,II.44.405)

[walde a dans cette exemple une valeur de conditionnel, vu le contexte ; de plus, nous avons affaire à une structure complexe MD + HAVE + V + EN, dans laquelle la forme walde a fonction d´un modal, mais le temps est exprimé par la forme HAVE + EN, comme en anglais contemporain.]

(369)
forþi wes ihaten on godes laʒe þt put were iwriʒen eauer. & ʒef ani were vnwriʒen & beast feolle þer in he hit schulde ʒelden.
car était-PRET appelé-P.PASSE dans dieu loi que trou-SUJET étaient-PRET cachés-P.PASSE toujours & si aucun était-PRET non caché-P.PASSE & bête-SUJET tombait-PRET dedans il-SUJET la-OBJET devait rendre.

car (il) était dit dans la loi de Dieu que les trous étaient toujours cachés et si aucun n´était découvert et qu´une bête y tombait, il devrait la restituer. (CMANCRIW,II.47.440)

[ici encore le « si » ancre l´énoncé contenant schulde dans l´irréel, faisant de cette forme un conditionnel.]

D´après les textes, il y a coexistence de deux structures pour les verbes modaux, alors même que les marques morphologiques du subjonctif n´apparaissent plus : elles se confondent avec celles du présent. Le subjonctif n´est plus visible morphologiquement, mais le contexte nous aidera à savoir s´il s´agit effectivement du Mode [+irréel] ou non.

Comme en VA, le MA possède deux temps : le présent ([-past]) et le passé ([+past]). C´est encore la morphologie du verbe fini qui nous indique le temps du verbe. Mais à la différence du VA, cette morphologie est moins marquée : la seule marque de personne est la deuxième personne du singulier et du pluriel (présent et prétérit), et, parfois encore, la marque du pluriel. Il n´y a plus d´alternance vocalique entre la forme infinitive et la forme présente d´un verbe modal. La seule alternance vocalique est désormais entre la forme présente et la forme passée. Mais comme les exemples (361) à (369) l´ont illustré, la forme passée n´a pas forcément une valeur de passé.

Les exemples qui suivent illustrent les deux formes dont nous avons parlées : une forme présente (shall, mei, moot) et une forme passée (walde/wollde, mihhte, cuþe/koude, shollde, must) pour un verbe modal donné.

(370)
For uh an schal halde þuttere efter þet heo best mei wið hire seruin þeo inre.
Car chacun un-SUJET doit soutenir l´ensemble pour obtenir que elles mieux peuvent avec leur accomplir cela intérieur.

Car chacune d´entre elles doit soutenir les autres pour qu´elles puissent intérieurement accomplir cela. (CMANCRIW,I.44.26)

(371)
« Thanne moot it nedis be that verray blisfulnesse is set in sovereyn God. »
« Alors doit il-SUJET nécessairement être que vraie joie-SUJET est-PRES mise-P.PASSIF dans souverain Dieu. »

« Alors il faut nécessairement que la vraie joie soit mise dans le Dieu souverain. » (CMBOETH,432.C1.148)

(372)
he cuþe ben Himm ane bi himm sellfenn.
il-SUJET pouvait être lui-OBJET seul par lui même.

il pouvait enfin être tout seul. (CMORM,I,26.314)

(373)
By thise resons that I have seid unto yow, and by manye othere resons that I koude seye, I graunte yow that richesses been goode to hem...
Par ces raisons-PL que je-SUJET ai-PRES dit-P.PASSE vers toi, et par beaucoup autres raisons-PL que je-SUJET pouvait dire, je-SUJET promets-PRES toi-OBJET que richesses-PL sont-PRES bonnes pour eux...

Pour ces raisons que je t´ai dites, et pour beaucoup d´autres que je pouvais ajouter, je te promets que les richesses sont bonnes pour eux... (CMCTMELI,233.C1.623)

Ces exemples nous permettent de remarquer deux choses : il y a uniformisation morphologique des formes en ce qui concerne le prétérit de SHALL, WILL et CAN ; et il y a encore deux formes verbales pour MUST, mais que ce n´est pas la forme présente qui subsistera en anglais contemporain (alors que MUST a un sens présent de nos jours). Ainsi, nous avons les structures suivantes pour la tête fonctionnelle T en MA pour le présent et pour le prétérit, avec la 2e personne du singulier :

(374)
(374.a)
Tree 91 Tree 92
(374.b)
Tree 93 Tree 94

Si l´on compare les formes verbales des structures (374) et (374.b), nous remarquons qu´il y a effectivement alternance vocalique entre le présent et le passé pour les verbes OWEN, CUNNEN, ÐURVEN, SCULEN et WILLEN. Pour les verbes MOTEN et MOWEN, ce n´est plus le cas. La seule autre marque morphologique de ces verbes est la marque du pluriel au présent et au prétérit (identique pour toutes les personnes : -en, mais cette flexion n´est pas toujours identifiée ; de plus, il y a identité entre cette marque du prétérit pluriel, la marque de l´infinitif et celle du subjonctif, ce qui les fait, à terme, disparaître). Mais la question se pose encore : est-ce qu´une forme morphologique passée est un prétérit ? Nous allons voir, lorsque nous allons aborder l´aspect perfectif, que nous pouvons en partie répondre à cette question. Cependant, c´est toujours le contexte qui nous permet de faire le choix entre passé et conditionnel.

Qu´en est-il maintenant de la tête fonctionnelle Mode que nous avons introduite dans le chapitre précédent ?

Comme nous l´avons mentionné précédemment, les marques morphologiques de l´indicatif et du subjonctif deviennent identiques. Pour les perfecto-présents, nous en avons trois types : ceux dont l´indicatif et le subjonctif présents sont identiques, ceux qui ne possèdent pas de subjonctif, et ceux qui ont des formes différentes pour l´indicatif et le subjontif présents. Dans tous les cas, le subjonctif passé n´existe plus (voir l´Annexe A pour plus de détails). La voyelle radicale est en italique, la flexion est marquée en gras.

(375)
Verbe -irréel sg-pl +irréel sg-pl
Formes identiques OWEN owe/ owe(n) owe/(owen)
DURREN dar/– dar/–
MOTEN mote/mote(n) mote/moten
Pas de subjonctif DUGEN dowe/dowen
Formes différentes UNNEN an/– unnen/–
CUNNEN can/cunnen cunne/cunnen
ÐURFEN þarf/þurfon þurveurven
SCULEN shal/shulen shule/shulen
MOWEN mei/mugen mowe/mowen
WILLEN wil/wilen wille/willen

Ce tableau illustre deux choses : il existe en MA une tête fonctionnelle Mode qui n´est désormais réalisée qu´au singulier, pour les verbes qui présentent des formes distinctes. Pour les autres, ce sera le contexte qui nous indiquera si nous avons affaire à un indicatif ou à un subjonctif. Cela veut surtout dire que le subjonctif disparaît morphologiquement, laissant la position Mode vacante pour les modaux épistémiques. Prenons quelques exemples.

(376)
... mihte, tet ich maʒe don, wisdom, þet ich cunne don, luue, þet ich wulle don al þet þe is leouest.
... pouvoir, que je-SUJET peut faire, savoir, que je-SUJET sais faire, amour, que je-SUJET veux faire tout-OBJET que cela-OBJET est-PRES bien-aimé.

... le pouvoir que je peux faire, le savoir que je sais, et l´amour, qui est tout, que je veux prodiguer. (CMANCRIW,I.62.200)

(377)
... Butt iff itt shule tacnenn, Whatt weorrc himm is þurrh Drihhtin sett To forþenn her onn eorþe.
... Excepté si il-SUJET doive signifier, quelle activité lui-OBJET est-PRES à cause Seigneur déterminée-P.PASSE TO accomplir ici sur terre.

sauf s´il doit signifier quelle activité est déterminée par le Seigneur pour qu´il l´accomplisse en ce monde. (CMORM,I,61.559)

(378)
ant alle aʒen hire in an eauer to halden.
et tout-SUJET doive eux-OBJET dans une toujours TO soutenir.

et que tout doive toujours tous les soutenir. (CMANCRIW,I.44.34)

(379)
ne ne þurue naut, ne ne ahʒe naut halden on ane wise þe vtterre riwle...
ni NEG ait besoin NOT, ni NEG doive NOT soutenir dans une manière la entière règle-OBJET...

ni qu´il n´ait besoin, ni ne doive soutenir d´une quelconque manière la règle entière... (CMANCRIW,I.44.36)

(380)
but that schal he nat fynde in tho thynges that I have schewed that ne mowen nat yeven that thei byheeten ?
mais cela-OBJET doit il-SUJET NOT trouver dans les choses-PL qui je-SUJET ai-PRES montré-P.PASSE que NEG puisse NOT donner que elles promettent  ?

mais doit-il trouver cela dans les choses que je lui ai montrées, qu´il ne puisse pas donner ce qu´elles promettent ? (CMBOETH,430.C1.83)

(381)
that right as maladies been cured by hir contraries, right so shul men warisshe werre by vengeaunce.
que juste comme maladies-SUJET PL étaient-PRET guéries-P.PASSE par leurs contraires-PL, exactement si doive on guérir guerre par vengeance.

tout comme les maladies sont guéries par leurs contraires, de même doit-on guérir la guerre par la vengeance. (CMCTMELI,218.C2.62)

L´exemple (376) illustre le mode [-irréel], les exemples (377) à (381) illustrent quant à eux le mode [+irréel]. Donnons maintenant les structures des exemples (376), désormais (382), et (381), désormais (383), afin d´illustrer notre analyse.

(382)
Tree 95
(383)
Tree 96

Les exemples précédents nous montrent que les traits [-irréel] et [+irréel] de la tête fonctionnelle Mode sont aussi présents en MA, que les marques morphologiques soient visibles ou non. Dans Mossé (1962), l´auteur souligne que c´est à cette période que le prétérit dit « modal » se met fermement en place. Dès lors, la flexion verbale pour le subjonctif peut faire défaut, mais cela ne remet pas en cause l´existence d´un trait [+irréel] de la tête Mode : c´est ce que nous avons effectivement souligné dans les exemples (361) à (369) que nous avons introduits plus haut. Cet état de fait perdure en anglais contemporain.

3.6.4.1. Aspect perfectif HAVE + EN

Définissons d´abord ce qu´est l´aspect :

General term for verbal categories that distinguish the status of events, etc. in relation to specific periods of time, as opposed to their simple location in the present, past, or future. (...) I have read the paper means that, at the moment of speaking, the reading has been completed : it is therefore present in tense but perfect in aspect(note: ). (Matthews (1997))

A la fin de la période vieil-anglaise (correspondant à l´apparition des perfecto-présents épistémiques), nous avions remarqué que l´aspect était moins présent dans le corpus (Pintzuk, Leendert (2001) et Taylor, Warner, Pintzuk, Beths (2003)), ce qui motivait la présence d´une tête fonctionnelle Mode, tant pour les modaux épistémiques que pour cet aspect. Cependant, à la toute fin de la période VA (vers le XIIe siècle), l´aspect réapparaît syntaxiquement plus bas dans la structure.

Cet état de fait perdure en MA, et nous avons trouvé beaucoup d´occurrences des structures MD + HAVE + EN où les modaux sont soit épistémiques, soit déontiques, et l´aspect perfectif indique un ancrage temporel (comme en anglais contemporain).

(384)
He moghte hafe boghte vs agayne on oþer manere.
he-SUJET might have bought us-OBJET again on other manner.

Il nous l´aurait achété d´une manière ou d´une autre. (CMEDTHOR,43.631)

(385)
þenne we mihten more han loued vre buggere þen vre makere ;
then we-SUJET might more have loved our buyer than our maker ;

alors nous aurions pu aimer plus notre acquéreur que notre Créateur ; (CMEDVERN,256.691)

(386)
sche cowd or ellys mygth a schewyd as sche felt.
she-SUJET could or else might have showed as she-SUJET felt-PRET.

elle aurait pu montrer ce qu´elle ressentait. (CMKEMPE,39.871)

(387)
he wolde sone a revenged us.
he-SUJET would soon have revenged us-OBJET.

il nous aurait bientôt vengé. (CMMALORY,32.1005)

(388)
for haddest thow not shewed me that syght I shold have passed my sorow.
for had-PRET you-SUJET NOT showed me-OBJET2 that sight-OBJET1 I should have surpassed my sorrow-OBJET.

car si tu ne m´avais pas montré ce spectacle, j´aurais surmonté mon chagrin. (CMMALORY,66.2249)

Nous avons ici des exemples de modaux épistémiques et déontiques. Nous allons donner la structure d´un exemple épistémique (384) et d´un exemple déontique (388).

(389)
Tree 97
(390)
Tree 98

Ces deux exemples illustrent le fait que l´aspect est désormais sous une tête fonctionnelle particulière distincte de la tête Mode (mais nous n´entrerons pas plus dans les détails) .

3.7. Syntaxe et négation

La période MA voit la prédominance de not sur ne, même si cette dernière particule ne disparaît pas totalement pendant la période primitive du MA. Et cette prédominance de not nous permet de souligner la portée de la négation lorsqu´il s´agit des modaux épistémiques ou des modaux déontiques.

3.7.1. Concordance négative et critère Neg ?

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que le VA connaissait les phénomènes de concordance négative (lorsque qu´il existe au moins deux éléments négatifs dans une phrase, ces deux éléments ne s´annulent pas, mais expriment une seule et même négation), et de critère Neg (toute tête négative doit être dans une relation tête-tête avec un opérateur négatif dans son domaine minimal de recherche). Peut-on encore parler de ces deux processus en MA ? Les exemples suivants en sont encore les illustrations : comme en VA, il y a concordance négative et critère Neg lorsque la négation principale reste la particule ne. Lorsque la négation principale devient not, le processus de concordance négative tend à disparaître, mais pas le critère Neg (la relation se fait avec un opérateur négatif non réalisé lorsque not est la seule négation de la phrase).

(391)
Ne munnde he næfre letenn himm Þurrh rodepine cwellenn ;
NEG se souvint il-SUJET jamais laisser il-SUJET à cause tourment de la croix tuer ;

Il ne se souvint jamais de l´avoir laissé exécuter sur la croix ; (CMORM,I,68.612)

(392)
... forrþi þatt ʒho Ne maʒʒ himm nowwhar findenn.
... donc que vous-SUJET NEG pouvez lui-OBJET nulle part trouver.

... que vous ne pouvez donc le trouver nulle part. (CMORM,I,42.435)

(393)
... þa ne cuðen ha neauer stutten hare cleppen.
... alors NEG pouvaient ils-SUJET jamais répondre son appel-OBJET.

... ils ne purent alors jamais répondre à son appel. (CMANCRIW,II.59.589)

(394)
& þach þurch me ne schulde hit neauer beon iupped.
& alors à cause moi NEG devait il-SUJET jamais être ouvert-P.PASSE.

et alors, à cause de moi, il ne devait jamais être ouvert. (CMANCRIW,II.70.795)

(395)
thanne ne mowen neither of hem ben parfit, so as eyther of hem lakketh to othir.
que NEG puissent aucun de eux-SUJET être parfait, si comme l´un de eux-SUJET trouve à redire-PRES à autre.

... qu´aucun d´eux ne puisse être parfait, de sorte qu´aucun d´entre eux ne trouve à redire à l´autre. (CMBOETH,432.C2.172)

(396)
and certes, that ne may nevere been accompliced ;
et certainement, ceci-SUJET NEG peut jamais être accompli-P.PASSE ;

et ceci ne peut certainement jamais être accompli ; (CMCTMELI,222.C1.201)

Outre les exemples que nous pouvons trouver avec la particule ne, nous trouvons aussi des exemples où ne est employé avec not (c´est le propos de notre prochaine section), mais aussi avec un élément négatif autre que not (exemple (395)). De fait, la concordance négative et le critère Neg s´appliquent. Comme pour le VA, illustrons le critère Neg pour le MA dans la structure (397.b) (reprenant l´exemple (391) : moyen-anglais primitif) et la structure (398.b) (reprenant l´exemple (396) : moyen-anglais tardif) :

(397)
(397.a)
Ne munnde he næfre letenn himm Þurrh rodepine cwellenn ;
NEG se souvint il-SUJET jamais laisser il-SUJET à cause tourment de la croix tuer ;

Il ne se souvint jamais de l´avoir laissé exécuter sur la croix ; (CMORM,I,68.612)

(397.b)
Tree 99
(398)
(398.a)
and certes, that ne may nevere been accompliced ;
et certainement, ceci-SUJET NEG peut jamais être accompli-P.PASSE ;

et ceci ne peut certainement jamais être accompli ; (CMCTMELI,222.C1.201)

(398.b)
Tree 100

Pour ces deux exemples, l´analyse est la suivante : le critère Neg s´établit entre la tête Neg et la tête Adv. Puis, il y a fusion morphologique entre Neg et T. Enfin, il y fusion visible de l´élément ne sur les modaux après son insertion lexicale.

3.7.2. Coexistence de ne et not

3.7.2.1. ne et not

En MA, ne et not coexistent encore plus fréquemment qu´en VA, même si not prend le dessus sur ne. Comme nous venons de le mentionner, quand il y a coexistence de ne et not, ils s´analysent encore comme des occurrences de concordance négative et critère Neg, avec une analyse de la phrase identique à celle du VA. Les exemples qui suivent illustrent l´existence d´une seconde tête fonctionnelle Neg2, laquelle se situe plus bas dans la structure que la première tête fonctionnelle Neg1, Neg1 accueillant ne et Neg2 accueillant not. Leur structure est la suivante :

(399)
Tree 101
(400)
& we ne maʒe naut þolien þt þe-SUJET wint of anword beore-PRES us-OBJET towart heouene.
& nous-SUJET NEG pouvons NOT souffrir que le vent de calomnie emporte nous vers ciel.

& nous ne pouvons souffrir que le vent de la calomnie nous emporte vers le ciel. (CMANCRIW,II.100.1203)

(401)
ne þarf þu naut dreden þt attri neddre of helle.
NEG as besoin tu-SUJET NOT craindre le poison vipère-OBJET de enfer.

tu n´as pas besoin de craindre le poison de la vipère venue de l´enfer. (CMANCRIW,II.108.1355)

(402)
for he ne kan noght conseille but after his owene lust and his affeccioun.
car il-SUJET NEG peut NOT conseiller sauf pour son propre plaisir et son affection.

car il ne peut pas donner de conseil, sauf pour son propre plaisir et sa propre affection. (CMCTMELI,223.C2.251)

(403)
Certes, quod she, the wordes of the phisiciens ne sholde nat han been understonden in thys wise.
Certainement, dit-PRET elle-SUJET, les paroles-SUJET PL de les médecins-PL NEG doivent NOT avoir été-P.PASSE comprises-P.PASSE de cette manière.

En effet, dit-elle, les paroles des médecins n´ont pas dû être comprises de cette manière. (CMCTMELI,226.C2.360)

(404)
And therfore seith Salomon, « The wratthe of God ne wol nat spare no wight... »
Et alors dit-PRES Salomon-SUJET, « La colère de Dieu-SUJET NEG veut NOT épargner aucune créature-OBJET... »

Et Salomon dit alors : « La colère de Dieu n´épargnera aucune créature... » (CMCTPARS,291.C1.119)

Reprenons l´exemple (402), maintenant (405.a), et donnons-en la représentation.

(405)
(405.a)
for he ne kan noght conseille but after his owene lust and his affeccioun.
car il-SUJET NEG peut NOT conseiller sauf pour son propre plaisir et son affection.

car il ne peut pas donner de conseil, sauf pour son propre plaisir et sa propre affection. (CMCTMELI,223.C2.251)

(405.b)
Tree 102

Les exemples (406) à (411.a) sont intéressants : ils nous montrent un adverbe négatifnot – généré (in situ) plus haut que la particule adverbiale négative ne. Pour autant, pouvons-nous postuler pour une troisième tête fonctionnelle Neg, ou, cet adverbe est-il le Spec de Neg1,P ou encore, cet adverbe est-il la tête Adv d´un AdvP adjoint au-dessus de Neg1,P ? Il faut souligner que cette structure n´est présente que dans les deux textes datant de la première moitié de la période MA.

(406)
All wollde he shædenn fra þatt þing Þatt he nohht off ne wisste.
tout voulut il-SUJET cacher de cette chose Que il-SUJET NOT rien NEG connaissait-PRET.

Il voulut tout cacher de ce sujet dont il ne connaissait rien. (CMORM,I,106. 910)

(407)
Swa þatt he nohht ne cuþe ʒet Gastlike lare findenn Inn all þatt alde laʒheboc Þatt he wass læredd...
Ainsi que il-SUJET NOT NEG pouvait encore pieusement savoir-OBJET trouver dans tout le vieux livre de loi que il-SUJET était-PRET enseigné-P.PASSE...

De sorte qu´il ne pouvait encore pas trouver pieusement le savoir dans le vieux livre de loi que l´on enseignait... (CMORM,II,249.2530)

(408)
Þohh þatt itt nohht ne shollde ben O faderr hallfe streonedd...
bien que que il-SUJET NOT NEG devait être au nom du père acquis-P.PASSE...

bien qu´il ne dût être pas acquis au nom du père... (CMORM,I,68.615)

Si l´on regarde l´exemple (406), on peut remarquer qu´un autre adverbe off est adjoint entre nohht et ne. Cet exemple exclut l´hypothèse du Spec,NegP : un adverbe ne peut être adjoint qu´à une projection maximale, et non intermédiaire (ce qui serait le cas ici). Il exclut aussi l´hypothèse d´une troisième tête fonctionnelle Neg : cet opérateur négatif n´est plus dans le domaine minimal de recherche de la tête ne. Ainsi, ce not particulier est un adjoint à la périphérie gauche de Neg1P.

(409)
Tree 103

Illustrons cette structure avec l´exemple (407), maintenant (410.a).

(410)
(410.a)
Swa þatt he nohht ne cuþe ʒet Gastlike lare findenn Inn all þatt alde laʒheboc Þatt he wass læredd...
Ainsi que il-SUJET NOT NEG pouvait encore pieusement savoir-OBJET trouver dans tout le vieux livre de loi que il-SUJET était-PRET enseigné-P.PASSE...

De sorte qu´il ne pouvait encore pas trouver pieusement le savoir dans le vieux livre de loi que l´on enseignait... (CMORM,II,249.2530)

(410.b)
Tree 104

Puis, avec l´exemple (411.a), contenant le verbe WITEN, qui n´appartient plus à la classe des perfecto-présents en anglais contemporain. Cet exemple nous permet de montrer que ce not hiérarchiquement plus haut que la tête Neg1 est un adjoint, comme l´est l´adverbe off.

(411)
(411.a)
All wollde he shædenn fra þatt þing Þatt he nohht off ne wisste.
tout voulut il-SUJET cacher de cette chose Que il-SUJET NOT rien NEG connaissait-PRET.

Il voulut tout cacher de ce sujet dont il ne connaissait rien. (CMORM,I,106. 910)

(411.b)
Tree 105

Dans les textes que nous avons choisis, nous n´avons pas trouvé d´autres occurrences de ce type, où un adverbe intervient entre not et ne.

3.7.2.2. not devient la négation principale

A la période du MA tardif (Chaucer par exemple), nous trouvons des exemples où la négation principale est désormais not. Elle suivra toujours le verbe modal. Par conséquent, la tête Neg1 n´est plus réalisée (il existe encore des exemples avec ne et not, mais ils deviennent moins nombreux).

(412)
The serpent seyde to the womman, « Nay, nay, ye shul nat dyen of deeth. »
Le serpent-SUJET dit-PRET à la femme, « Non, non, tu-SUJET devra NOT mourir de mort. »

Le serpent dit à la femme : « Non, non, tu ne mourras pas. » (CMCTPARS,296.C2b.362)

(413)
Presumpcioun is whan a man undertaketh an emprise that hym oghte nat do, or elles that he may nat do ;
Présomption est quand un homme entreprend-PRES une entreprise qui lui-OBJET doit NOT faire, ou alors que il peut NOT faire ;

La présomption, c´est quand un homme entreprend quelque chose qu´il ne doit pas, ou alors, qu´il ne peut pas faire ; (CMCTPARS,300.C1.487)

(414)
therfore shal ye nat suffren that they serve yow for noght,
ainsi dois tu-SUJET NOT souffrir que ils-SUJET servent-PRES toi-OBJET pour rien,

ainsi tu ne dois pas souffrir du fait qu´ils ne te servent pas, (CMCTMELI,226.C1.353)

(415)
... that every conseil that is affermed so strongly that it may nat be chaunged...
... que chaque conseil qui est-PRES affirmé-P.PASSE si fortement que il-SUJET peut NOT être changé-P.PASSE ...

... que chaque conseil donné avec tant de force ne peut être changé... (CMCTMELI,225.C1.317)

(416)
I seye thanne that ye shul fleen avarice, usynge youre richesses in swich manere that men seye nat that youre richesses been yburyed, ...
Je-SUJET dis-PRES alors que tu dois fuir avarice, utilisant tes richesses-PL de telle manière que on-SUJET dit-PRES NOT que tes richesses-SUJET PL sont-PRES enterrées-P.PASSE, ...

Je dis alors que tu dois fuir l´avarice en utilisant tes richesses, de telle manière qu´on ne puisse pas dire qu´elles sont enterrées, ... (CMCTMELI,234.C1.653)

Dans les exemples (412), (413), (414) et (415), nous supposons que not est généré sous la tête fonctionnelle Neg2 (cf structure (409)). La tête Neg1 n´est pas réalisée, est-ce à dire qu´elle n´existe plus ? Nous avons expliqué qu´en MA, il y a avait une compétition syntaxique entre deux structures de phrases. Dans l´une de ces structures, il y a la tête Neg1 (et Neg2) qui possède un trait [+neg]. On a montré que, lorsque cette tête était réalisée, nous avions affaire à une structure du VA, et que la concordance négative et le critère Neg s´appliquaient. La non-réalisation de cette tête Neg1 (c´est-à-dire sa disparition en termes de Morphologie Distribuée) impliquerait donc qu´au moins un de ces deux processus – la concordance négative – n´aurait plus lieu d´être, ou, tout au moins, qu´elle ne prendrait plus cette forme, mais celle des items à polarité négative. Le trait [+neg] de la négation et des verbes modaux serait moins marqué, (il n´y a pas de fusion de not, ni de n´t sur les verbes modaux en MA). C´est ce que laissent penser les exemples que nous venons de mentionner. Quant à l´exemple (416), il montre aussi que la négation not est bien générée sous Neg2, et que l´emploi du DO vide ne s´est pas encore produit, puisqu´à cette période (et encore pendant une partie de la période élisabéthaine) le verbe peut se trouver devant la négation not. Quand il y aura utilisation de ce DO vide, not sera effectivement généré sous Neg2, et il y aura fusion morphologique [T-Neg2] plus cliticisation de not (et n´t) sur DO et sur les modaux.

Mais surtout, la sélection de not comme tête négative principale va de pair avec la grammaticalisation des perfecto-présents : ce sont désormais des verbes modaux, c´est-à-dire des items fonctionnels.

Nous avions donc les états de fait suivants : ne + V et ne + V + not en VA, puis nous avons désormais V/MD + not. Cette structure – ne + V + not – nous rappelle la structure de la négation française (ne ... pas : « je ne comprends pas la question »), de même que la structure que nous trouvons en MA – V / MD + not – nous rappelle la structure V + pas du français contemporain (« j´ai pas vu le facteur aujourd´hui »). En français et en anglais, les négations pas et not sont hiérarchiquement en-dessous de T. Ainsi, il serait juste de postuler que not en MA est généré sous la tête Neg2 dont nous avons montré la structure, mais qu´il peut encore être un adverbe négatif soumis au critère Neg.

Maintenant, si la négation principale est devenue not, et qu´elle suit immédiatement T dans l´ordre linéaire, il pourrait y avoir fusion avec les modaux. Or, nous n´avons pas rencontré d´exemples de contraction de la négation sur les modaux en MA. Et à cela, nous ajoutons que des perfecto-présents comme sholde et wolde ne sont – majoritairement – plus des formes passées mais des formes appartenant à la sphère irréelle (comme la particule TO, Roberts, Roussou (2003)), lesquelles sont dues à la perte de la morphologie des infinitifs et du subjonctif. Cependant, nous remarquons aussi que ce fait syntaxique – la négation not suivant immédiatement le verbe fini – est visible avec les verbes lexicaux, avec néanmoins des différences.

Les exemples qui suivent illustrent, selon nous, le fait qu´à la période MA, les verbes et les modaux n´ont pas la même position syntaxique, malgré la position de la négation. Nous avons ici deux types d´exemples :

  1. des phrases impératives (exemples (417), (419) et (420)),

    (417)
    Forget not thys, litel Lowys.
    Oublie-IMP NEG cela-OBJET, petit Lowys.

    N´oublie pas cela, petit Lowys. (CMASTRO,664.C2.59)

    (418)
    ... forasmyche as his men wist it not,
    ... pour autant que ses hommes-SUJET PL connaissaient-PRET cela NEG,

    ... pour autant que ses hommes ne le connaissaient pas, (CMBRUT3,13.347)

    (419)
    « Desmaye you not, » said the kyng,
    « Attriste-IMP toi NEG , » dit-PRET le roi-SUJET,

    « Ne t´attriste pas, » dit le roi, (CMMALORY,5.123)

    (420)
    Syr" said Merlyn to Arthur," fyghte not with the swerde that ye had by myracle..."
    Sire," dit-PRET Merlin-SUJET à Arthur," Combattez-IMP NEG avec la épée vous-SUJET eus-PRET par miracle..."

    « Sire, » dit Merlin à Arthur, " ne combattez pas avec l´épée que vous avez acquise par miracle..." (CMMALORY,13.393)

  2. et des phrases négatives (exemples (421) et (422)),

    (421)
    and when thaye came to more aige it grevyd theym not.
    et quand ils-SUJET vinrent-PRET à plus possession cela-SUJET offensa-PRET eux-OBJET NEG.

    et quand ils acquirent plus de possessions, cela ne les offensa pas. (CMEDMUND,164.23)

    (422)
    And Merlion was so disgysed that kynge Arthure knewe hym nat,
    Et Merlin-SUJET était-PRET si déguisé-P.PASSE que roi Arthur-SUJET reconnut-PRET lui-OBJET NEG,

    Et Merlin était tellement bien déguisé que le roi Arthur ne l´a pas reconnu, (CMMALORY,30.939)

En quoi sont-elles intéressantes ? Les impératives, tout simplement parce que seuls les verbes lexicaux ont ce mode en MA ; les négatives, parce que l´on peut remarquer qu´entre le verbe fini et la négation vient s´insérer un constituant, en l´occurrence un pronom objet (nous n´avons pas rencontré ce genre de structure avec les modaux). Du fait de ces comportements syntaxiques des verbes lexicaux, cela indiquerait qu´il existe effectivement une position syntaxique distincte pour les verbes lexicaux et pour les verbes modaux. C´est en cela que not participe à la grammaticalisation des verbes modaux en MA.

Reprenons maintenant quelques exemples et donnons-en une illustration. Soient les exemples (415) et (416) (maintenant (423.a) et (424.a)). Ils ont les structures suivantes.

(423)
(423.a)
... that it may nat be chaunged for no condicioun, ...
... que il-SUJET peut NOT être changé-P.PASSE pour aucune condition, ...

... qu´il (conseil) ne peut être changé sous aucune condition, ... (CMCTMELI,225. C1.317)

(423.b)
Tree 106
(424)
(424.a)
I seye thanne that ye shul fleen avarice, usynge youre richesses in swich manere that men seye nat that youre richesses been yburyed, ...
Je-SUJET dis-PRES alors que tu dois fuir avarice, utilisant tes richesses-PL de telle manière que on-SUJET dit-PRES NOT que tes richesses-SUJET PL sont-PRES enterrées-P.PASSE, ...

Je dis alors que tu dois fuir l´avarice en utilisant tes richesses, de telle manière qu´on ne puisse pas dire qu´elles sont enterrées, ... (CMCTMELI,234.C1.653)

(424.b)
Tree 107

Nous pensons que, lorsque nous trouvons un modal déontique, la négation porte sur le modal car elle est générée au-dessus de celui-ci.

De la même manière, lorsqu´il s´agit d´un modal épistémique, on peut penser que la négation porte d´abord sur la relation sujet-prédicat, puisque la lecture épistémique se fait dans le domaine de CP.

Regardons quelques exemples que nous avons déjà cités précédemment (dans lesquels nous trouvons not en tant que négation principale, mais aussi avec ne). Les exemples (425) et (426) présentent des modaux épistémiques, les exemples (427) et (428), des modaux déontiques.

(425)

þough þe fflame of the ffyre of love may not breke out so þat it may be seyn, ...

bien que les flammes du feu de l´amour ne puissent pas se projeter de sorte que cela puisse être vu, ... (1472 Stonor 123 I 126.36)

(426)
hym shall not gayne.
lui doit NEG profiter.

il n´en profitera pas. (a1500( ?a1300) Bevis(Cmb) p.83, textual note to 1583-1596)

(427)
ne a more worthy thing than God mai not ben concluded.
ni une plus noble chose-SUJET que Dieu peut NOT être décidée-P.PASSE

on ne peut décider d´une chose plus noble que Dieu. (CMBOETH,433.C1.178)

(428)
The serpent seyde to the womman, « Nay, nay, ye shul nat dyen of deeth. »
Le serpent-SUJET dit-PRET à la femme, « Non, non, tu-SUJET devra NOT mourir de mort. »

Le serpent dit à la femme : « Non, non, tu ne mourras pas. » (CMCTPARS,296.C2b. 362)

Nous pourrions représenter ces quatre exemples de la manière suivante :

(429)

MAY NOT [þe fflame of the fyre of love - breke out]

(430)

SHALL NOT [gayne - him]

(431)

[God] MAI NOT [ben concluded]

(432)

[You] SHUL NOT [dyen]

Si l´on s´en tient à la syntaxe, dans (429) et (430), la négation porte sur la relation prédicative, et dans (431) et (432), la négation porte sur le modal. Si l´on regarde maintenant ces exemples d´un point de vue sémantique, cela concorde avec la syntaxe : dans les exemples (429) et (430) MAY et SHALL expriment le degré d´implication de l´énonciateur dans la relation NOT/Sujet-Prédicat ; alors que dans les exemples (431) et (432), MAI et SHUL établissent, de manière négative, la relation entre le sujet et le prédicat.

3.7.3. Négation et adverbes

Nous venons de proposer que la prédominance de la tête Neg2 sur les autres impliquerait la disparition de la concordance négative et/ou du critère Neg. Est-ce que, de ce fait, le MA fonctionne comme le VA ? Regardons la distribution des constituants négatifs afin de souligner la présence ou l´absence de ces processus.

(433)
þatt ʒho Ne maʒʒ himm nowwhar findenn...
que tu-SUJET NEG peux lui-OBJET nulle part trouver...

que tu ne peux le trouver nulle part... (CMORM,I,42.435)

(434)
swa summ itt wollde Godd, Ne mihhte næfrær tæmenn.
ainsi que il-OBJET voulut-PRET Dieu-SUJET, NEG pouvait jamais apprivoiser.

ainsi que Dieu le voulut, il n´avait jamais pu l´apprivoiser. (CMORM,I,23.294)

(435)
ne schule flesches fondunges namare þenne gastliche Meistri þe neaure...
NEG doivent chairs fondements-SUJET PL plus jamais alors pieusement maîtriser toi-OBJET jamais...

Alors, les fondements des chairs ne doivent plus jamais te maîtriser... (CMANCRIW,II.208.2989)

(436)
Edmodnesse ne mei beon neauer ful preiset.
Edmondness-SUJET NEG peut être jamais entièrement apprécié-P.PASSE.

Edmodness ne pourra jamais être totalement apprécié. (CMANCRIW,II.206.2966)

(437)
and certes, that ne may nevere been accompliced ;
et certainement, cela-SUJET NEG peut jamais être accompli-P.PASSE ;

et effectivement, cela ne peut jamais être accompli ; (CMCTMELI,222.C1.201)

(438)
For certes, thyng that nevere hadde lyf may nevere quykene ;
Car certainement, chose-SUJET qui jamais eut-PRET vie-OBJET peut jamais ressusciter ;

Car il est sûr qu´une chose qui n´a jamais vécu ne peut jamais ressusciter ; (CMCTPARS,293.C2.238)

(439)
For certes, sire, oure Lord Jhesu Crist wolde nevere have descended to be born of a womman, if alle wommen hadden been wikke.
Car certainement, sire, notre seigneur Jésus Christ-SUJET voulut jamais avoir descendu-P.PASSE TO être né-P.PASSE de une femme, si toutes femmes-SUJET PL avaient-PRET été-P.PASSE mauvaises.

Car il est certain que notre seigneur Jésus Christ ne serait jamais descendu (sur terre) pour qu´une femme lui donne la vie si toutes les femmes avaient été immorales. (CMCTMELI,220.C2.135)

(440)
For right as the body of a man may nat lyven withoute the soule, namoore may it lyve withouten temporeel goodes.
Car tout comme le corps de un homme-SUJET peut NOT vivre sans la âme, plus jamais peut il-SUJET vivre sans temporels biens-PL.

Car tout comme le corps d´un homme ne peut pas vivre sans âme, il ne peut pas non plus vivre sans biens matériels. (CMCTMELI,232.C2.604)

Les exemples (433) à (437) illustrent, comme en VA, la concordance négative et le critère Neg. Dans les exemples (438) et (439), l´adverbe nevere est la seule négation de la phrase, il n´y a ni ne, ni not. C´est donc la négation principale. Et comme not, elle suit immédiatemment le verbe modal : on peut donc en déduire que cet adverbe est généré sous la tête fonctionnelle Neg2. Quant à l´exemple (440), la négation est namoore.

L´adverbe est une tête fonctionnelle, il y a donc relation d´accord entre cette tête et la tête Neg2. Cet exemple nous permet de dire que le critère Neg s´applique encore à la période du MA tardif. De fait, nous pouvons aussi considérer les exemples (438) et (439) comme des illustrations de ce même critère Neg.

3.7.4. Polarité négative ?

Concernant la polarité négative, nous n´avons trouvé que très peu d´exemples (les textes s´échelonnent entre 1350 et 1450, c´est-à-dire pendant la période du moyen-anglais tardif). Ce qui implique qu´à cette période tardive, la concordance négative n´a plus cours.

(441)
ne þey schulle not apele fro eny vnrytful dom ;
ni ils-SUJET FUTUR NEG faire appel à de aucun illégitime royaume ;

ni ne feront appel à aucun royaume illégitime ; (CMAELR3,57.986)

(442)
& cramme it riʒt wel so þat þe hole skyn be not I-hurte with eny hot þyng þat schal be y-layd þer-to.
& bourre-IMP la-OBJET bien bien de sorte que la parfaite peau-SUJET est-PRES NEG blessée-P.PASSE avec aucune chaude chose qui FUTUR être posée en plus.

et bourre-la bien de sorte que la peau ne soit pas abîmée par quelque chose de brûlant que l´on posera dessus. (CMHORSES,111.259)

(443)
and he seide, « If eny man seekith not the Lord God of Israel, diʒe he, fro the leeste til to the meeste, fro man til to womman. »
et il-SUJET dit-PRET, « si aucun homme-SUJET cherche-PRES NEG le Seigneur Dieu de Israël-OBJET, meurt-PRES il-SUJET, de le plus petit jusqu´au à le plus grand, de homme jusqu´à à femme. »

et il dit : « Si aucun homme ne cherche le Dieu d´Israël, il mourra du plus petit au plus grand, de l´homme à la femme. » (CMPURVEY,I,22.1045)

(444)
þai er not stirred for any worde þat man may say.
ils-SUJET sont-PRES NEG gouverné-P.PASSE pour aucun mot que homme-SUJET peut dire.

ils ne sont commandés par aucun mot que l´homme peut dire. (CMROLLEP,112.844)

Ces exemples, bien que très peu nombreux, montrent que any fonctionne en tant qu´item à polarité négative dès la période du MA tardif. Et peut-être ce fonctionnement est-il responsable de la disparition de la concordance négative à cette période : s´il existe des items à polarité négative qui expriment la négation de la phrase conjointement à not (semi-négation + négation), c´est que deux négations s´annulent mutuellement, et que la concordance négative n´existe plus.

3.8. Adverbes et têtes fonctionnelles

Rappelons au lecteur la hiérarchie que nous avons établie concernant les adverbes du VA, d´après Cinque (1999) :

(445)

[sweotole/sweotollice clairement, précisément, fullice parfaitement, complètement, gewislicost certainement, sûrement, gerisenlice honorablement, de manière convenable, huru néanmoins, certainement, openlicor manifestement, hluttorlice sincèrement, clairement, rihtlice justement, bien, smealice précisément, subtilement MoodEvidential [eft encore, de nouveau, nu maintenant, iu précédemment, eac depuis T(Past) [þa/þonne alors, nu maintenant, teowardlice vers le futur T(Future) [nede nécessairement, aninga volontairement ModNecessity [eað volontairement, lustlice volontairement ModVolitional [swa ainsi, en conséquence ModObligation [hioweslice familièrement AspHabitual [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspRepetitive(I) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspFrequentative(I) [aninga rapidement AspCelerative(I) [emb avant, après, iu précédemment, syððan depuis, désormais, alors, eac depuis T(Anterior) [get déjà, encore, gen déjà, maintenant, encore, swa ainsi, en conséquence AspContinuative [a/(n)æfre jamais, toujours, simble toujours, constamment AspPerfect [ær auparavant, autrefois AspRetrospective [sona bientôt, sel/selust bientôt, hrædlicor soudainement AspProximative [leng longtemps AspDurative [neah près, presque AspProspective [fullice parfaitement, complètement AspSg.Completive(I) [wel bien, sel/selust bientôt, geara jadis, autrefois Voice [aninga rapidement, geara jadis, autrefois AspCelerative(II) [fullice parfaitement, complètement AspSg.Completive(II) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspRepetitive(II) [eft encore, de nouveau, gelomlice fréquemment AspFrequentative(II)]]...

et regardons si de nouvelles têtes fonctionnelles apparaissent en MA (par nouvelles têtes fonctionnelles, nous entendons surtout de nouvelles têtes modales).

Par rapport au VA, nous n´avons pas trouvé de grandes différences d´emploi dans les adverbes : il y a toujours beaucoup d´adverbes de temps, de lieu, de manière, et la hiérarchie que nous avons établie précédemment ne change pas. Cependant, contrairement au VA, nous avons trouvé plus d´adverbes de modalité, surtout dans le texte illustrant le MA tardif (Chaucer).

(446)
ant forþi mot vh mon neodeliche ham holden.
et c´est pourquoi doit chaque on-SUJET nécessairement eux-OBJET tenir.

et c´est pourquoi, on doit nécessairement les tenir. (CMANCRIW,I.46.60)

(447)
The first cause is this : truste wel that alle the conclusions that han be founde, or ellys possibly might be founde in so noble an instrument...
La première cause-SUJET est-PRES cela : crois-IMP bien que toutes les conclusions qui ont-PRES été trouvées-P.PASSE, ou sinon possiblement peut être trouvées dans si noble un instrument...

La première raison est celle-là : crois bien que toutes les conclusions qui ont été trouvées, ou qu´il serait possible de trouver dans ce noble instrument... (CMASTRO,662.C1.9)

(448)
And as verraily shalt thou fynde upon thin est orisonte thin ascendent.
Et comme vraiment dois tu-SUJET trouver sur ton est horizon tien ascension-OBJET.

et comme tu trouveras certainement ton ascenscion sur l´horizon. (CMASTRO,671. C2.292)

(449)
and certes also mote we graunten that suffisaunce, power, noblesse, reverence, and gladnesse be oonly diverse by names...
et certainement aussi devons nous-SUJET admettre que suffisance, pouvoir, noblesse, révérence et joie-SUJET sont-PRES seulement divers par noms-PL...

et nous devons de toute évidence admettre que la suffisance, le pouvoir, la noblesse, la révérence et la joie ne sont différents que de nom... (CMBOETH,429.C2.50)

(450)
It moot nedly ben so, quod I.
Il-SUJET doit nécessairement être ainsi, dis-PRET je-SUJET.

Il doit nécessairement en être ainsi, dis-je. (CMBOETH,429.C2.53)

(451)
And therfore resonably may be seyd of Jhesu in this manere...
Et ainsi raisonnablement peut être dit-P.PASSE de Jésus de cette manière...

Et on peut ainsi raisonnablement le dire de Jésus... (CMCTPARS,294.C2.273)

Que pouvons-nous ajouter à la hiérarchie (445) ? Au vu des exemples, une seule tête fonctionnelle est à ajouter : la tête ModPossibilité, laquelle va de pair avec la tête ModNécessité . Ces exemples nous montrent, du fait de l´emploi plus grand des adverbes de modalité, que les perfecto-présents se sont grammaticalisés (car souvenons-nous que les seuls adverbes de modalité que nous avons rencontrés en MA étaient employés avec les verbes lexicaux et non avec les verbes semi-lexicaux) pour devenir des verbes modaux.

3.9. Résumé du chapitre

Dans la Section 3.1, nous avons présenté ce qu´il est convenu d´appeler « moyen-anglais » : la langue anglaise parlée et écrite en Grande-Bretagne entre 1150 et 1550, ainsi que les différentes influences que cette langue a pu subir au cours de cette période.

Dans la Section 3.2, nous avons ensuite rappelé ce que sont les perfecto-présents, et leur structure syntaxique en vieil-anglais.

Dans la Section 3.3, nous avons souligné les changements syntaxiques propres à cette classe particulière de verbes : lorsqu´ils sont lexicaux, ils sont générés sous V, mais lorsqu´ils sont semi-lexicaux (c´est-à-dire quand ils ont une infinitive pour complément), ce sont des verbes de montée générés sous une position syntaxique particulière (que nous avons définie dans le chapitre 1) : vModal. En cela, nous pouvons dire qu´ils fonctionnent comme des verbes causatifs. Un autre changement syntaxique a été le reparamétrage de la forme canonique de la phrase MA, laquelle est désormais SVO. Ce dernier participe du processus de grammaticalisation que connaissent les verbes perfecto-présents.

Dans la Section 3.4, nous avons traité de la grammaticalisation. Nous en avons d´abord donné une définition, avant de souligner l´influence que ce processus a sur la syntaxe des perfecto-présents (que nous appelons désormais verbes modaux). De plus, à la lumière de la Morphologie Distribuée, nous avons remarqué que ce processus était visible morphologiquement. Cette grammaticalisation est aussi visible sur TO, ainsi que sur les verbes causatifs.

Dans la Section 3.5, nous nous sommes intéressés aux structures infinitives : elles nous permettent d´appréhender l´appauvrissement morphologique des verbes infinitifs, ce qui rend aussi compte de la grammmaticalisation de la particule TO, et parallèlement, du fait que les verbes modaux deviennent fonctionnels. Ils gardent une syntaxe différente des autres verbes. Nous avons analysé la structure des verbes causatifs car ces derniers se grammaticalisent : ils passent du statut de verbe lexical V à verbe semi-lexical v.

Dans la Section 3.6, nous nous sommes focalisés sur la modalité. Nous avons remarqué que les modaux épistémiques étaient plus nombreux en MA, et que nous avions toujours les deux têtes fonctionnelles vModal et Mode (qui gouverne les modaux épistémiques). De plus, les structures infinitives nous ont permis d´affirmer un peu plus que les modaux déontiques et épistémiques étaient des verbes de montée.

Dans la Section 3.7, nous avons souligné le fait que la concordance négative existait encore en MA, ainsi que le critère Neg lorsque la négation principale restait la particule ne. Cependant, lorsque not devient la négation principale (ce qui est lié à la grammaticalisation) à la fin de la période MA, il n´y a plus de concordance négative (ce qui pose la question de la portée de la négation lorsque les modaux sont épistémiques ou déontiques). Nous avons aussi mis en avant le fait que la coexistence de ne et not impliquait, syntaxiquement, l´existence d´une seconde tête fonctionnelle Neg. Enfin, malgré la disparition de la concordance négative, nous remarquons que l´emploi de la polarité négative reste marginal à la fin de la période MA, mais que les deux phénomènes sont liés.

Enfin, dans la Section 3.8, nous avons remarqué l´abondance plus grande des adverbes de modalité par rapport au VA, ce qui n´est pas étranger au processus de grammaticalisation des verbes modaux.

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