Transfert
Accélérer la conception des simulateurs de vol en aéronautique
A380 flight simulator - ©AIRBUS SAS 2006 - Photo by exm company P. Masclet
L’équipe Coprin travaille depuis une dizaine d’années avec le département de simulation de mécanique du vol d’Airbus dans le but d’automatiser la génération de code à partir des équations écrites par les ingénieurs physiciens. Un démonstrateur de l’environnement Mosela a été terminé en décembre 2012 et son industrialisation doit débuter prochainement.
Entretien avec Laurent Farenc, ingénieur au sein du département de simulation de mécanique du vol chez Airbus, et responsable du projet Mosela.
Quel était l’objectif de votre collaboration avec Inria ?
© Laurent Farenc
Notre département fait de la simulation de mécanique du vol dans le but, par exemple, de concevoir et vérifier les lois de pilotage de l’avion. Contrairement aux simulations pour la conception de forme ou de structure, nous n’avons pas besoin de simuler très finement les phénomènes physiques comme l’aérodynamique. Nous utilisons des équations simplifiées qui ne se trouvent pas communément dans les outils du commerce tels que Mathlab Simulink. De ce fait, nous écrivons nos propres équations et nous choisissons nos algorithmes de discrétisation afin d’arriver à une simulation temps réel performante.
Il y a encore une dizaine d’années, l’ingénieur écrivait ses équations sur papier et ces équations étaient ensuite transmises à des sous-traitants pour les traduire dans un code informatique efficace, comme le C ou le Fortran, afin d’avoir des modèles rapides sur le simulateur. Le travail réalisé avec Yves Papegay de l’équipe Coprin a progressivement permis d’abandonner la phase papier en utilisant un environnement qui permet d’écrire les équations dans un langage de haut niveau adapté à nos méthodes de travail et de les transcrire ensuite dans un langage de bas niveau compréhensible par la machine.
Quels sont les bénéfices que vous tirez de l’utilisation de l’environnement Mosela ?
Parce qu’il interprète automatiquement les équations écrites avec l’éditeur et les traduit en code C, Mosela nous permet d’occulter la phase de programmation. Les cycles de développement sont ainsi diminués d’un facteur 5 à 6 bien que, dans la pratique, ce soit beaucoup moins pour le moment car réécrire les équations existantes avec cette nouvelle technologie prend du temps. Le bénéfice le plus grand réside dans le fait que Mosela réduit énormément les erreurs d’interprétation qui se glissent lors de la transcription des équations en langage C à partir des équations écrites sur papier. Il offre la certitude qu’il existe une cohérence entre les équations saisies par l’ingénieur avec l’éditeur et le code correspondant. Il est également plus facile de vérifier le code car on y accède par le langage de haut niveau. Enfin, Mosela nous permet d’être beaucoup plus réactifs lorsqu’il s’agit d’évaluer rapidement l’impact d’un changement de configuration, en particulier parce que ne pas faire appel à la sous-traitance permet des boucles d’optimisation plus efficaces et plus rapides.
Y a-t-il des suites Ă ce travail ?
Nous avons décidé de lancer la phase d’industrialisation du logiciel. Le prototype est validé sur des exemples simplifiés mais il faut encore 6 mois à un an de travail pour obtenir une version industrielle. Le succès de cette démarche dépendra des technologies concurrentes susceptibles d’émerger durant ce temps, car les gros éditeurs de logiciels de mécanique ont également fait l’analyse des besoins des industriels et peuvent aboutir rapidement à des solutions performantes. Cependant, le développement avec des chercheurs, s’il est nécessairement plus lent, permet en revanche de faire émerger des idées que je crois innovantes et intéressantes. Nous n’avons d’ailleurs, pour l’instant, rien vu de semblable à Mosela dans les conférences où nous avons présenté le prototype.
Envisagez-vous d’autres collaborations avec Inria ?
A plus long terme, cette démarche pourrait être utilisée pour produire des codes permettant de recaler plus facilement les modèles sur la base d’essais en vol ou bien pour faire de l’optimisation d’équations. Une autre voie envisagée consisterait à s’appuyer sur l’arithmétique par intervalles dont Inria est l’un des spécialistes. L’objectif serait d’évaluer plus facilement l’impact d’incertitudes sur des données de modélisation, comme une variation de 10% sur une caractéristique d’un amortisseur ou d’un pneumatique.
« Airbus n’était pas satisfait des solutions existantes et souhaitait une solution plus proche de ses préoccupations applicatives. »
© Inria - Photo Kaksonen
Yves Pageay, chercheur Inria dans l'Ă©quipe Coprin
« L’objectif d’Airbus était de parvenir à accélérer et automatiser au moins en partie la chaîne de production des modèles numériques qui sont encodés dans les simulateurs de vol. Nous avons commencé une première collaboration en 2001 afin de développer un environnement qui permettrait d’informatiser l’écriture des modèles. Nous avons proposé une représentation symbolique de haut niveau, s’appuyant sur le logiciel de calcul Mathematica, qui était très proche de la représentation utilisée par les ingénieurs pour leur travail sur le papier, facile à utiliser et capable de décrire précisément un modèle. Cette collaboration a débouché sur un éditeur de modèles physiques industriel utilisé depuis l’été 2004 par Airbus pour la conception de ses avions. Dans une deuxième phase du projet abordée avec Laurent Farenc, nous avons précisé cette représentation et élaboré un outil capable d’interpréter ce langage et de fabriquer le code de simulation correspondant ainsi qu’un moteur d’évaluation numérique, qui facilite la mise au point du modèle, et les documents métier. L’environnement Mosela, issu de ce travail de normalisation, de compréhension et de description de l’activité de l’informaticien, est un outil de travail complet dont un prototype a été présenté en décembre 2012 et a fait l’objet d’un transfert à Airbus. Inria sera sans doute amené à participer à son industrialisation en apportant son conseil dans la mise en place d'une structure de maintenance. »
Mots-clés : Mosela Simulateur de vol Simulation mécanique Modèles numériques Airbus EPI COPRIN INRIA Sophia Antipolis - Méditerranée