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Les Tontons Flingueurs - Dialogues |
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Fernand Naudin :
C'est quand même pas la première fois, non ?
1er homme : Je ne dis pas que c'est la première
fois que vous montez à Paris, monsieur Fernand, je dis que ça tombe
mal.
Si le Morvan est frisquet, vous avez une
couverture à l'arrière et Germaine a mis du thé dans le thermos.
Fernand Naudin :
Pourquoi pas de la quinine et un passe-montagne ! On croirait
vraiment que je pars au Tibet !
2nd homme :
Au revoir, monsieur Naudin.
Fernand Naudin :
Au revoir, Gustave.
1er homme :
Monsieur Fernand, la foire ne battra pas
son plein avant dimanche, si vous pouviez quand même être là.
Fernand Naudin :
Je t'ai déjà dit que j'en avais pour 48 heures maximum. Et puis
enfin, bon Dieu quoi, vous n'avez pas besoin de moi pour aligner dix
tracteurs dans un stand, non ? hein ?
Tachez plutôt qu'elle tombe pas en panne comme la dernière fois.
1er homme :
Qu'est-ce-qui était en panne ?
Fernand Naudin :
La dépanneuse.
1er homme :
Oh, monsieur Fernand.
Fernand Naudin :
Louis de retour. Présence indispensable.
Présence indispensable ...
Après quinze ans de silence, y'en a
qui poussent un peu quand même.
Quinze ans d'interdiction de séjour. Pour qu'il abandonne ses cactus
et qu'il revienne
à Paname,
faut qu'il lui en arrive une sévère au vieux Louis.
Faut qu'il ait besoin de pognon ou qu'il soit tombé dans une
béchamelle infernale.
Henri :
Hé bien ma vieille, tu nous fait attendre. La route a pas été
trop toc ?
Fernand Naudin :
Ben suffisamment.
Henri :
Ça fait plaisir de te revoir.
Le mexicain commençait à avoir des impatiences.
Fernand Naudin :
Ah bon, parce qu'il est revenu, c'est pas un chiare ?
Henri :
Ah ben, je ne me serais pas permis.
Fernand Naudin :
Avoue que ça fait quand même une surprise, non ?
Henri :
Des surprises, t'es peut-être pas au bout. Viens.
Henri :
C'est Fernand.
Ils entrent. Pascal va à une autre porte.
Pascal :
Monsieur Fernand est là.
Louis :
Hé bien, qu'il entre, qu'il entre.
Eh ben, c'est pas trop tôt. J'croyais que t'arriverais jamais, ou
bien que t'arriverais trop tard.
Fernand Naudin :
Tu sais, huit cent bornes, faut quand même les tailler.
Louis :
Ça fait quand même plaisir de te revoir, vieux voyou.
Fernand Naudin :
Moi aussi.
Louis :
J'ai eu souvent peur de clamecer là-bas au milieu des macaques
sans avoir jamais revu une tronche amie. C'est surtout à la tienne
que je pensais.
Fernand Naudin :
Ben, tu sais, moi aussi, c'est pas l'envie qui me manquait d'aller
te voir, mais ... on ne fait pas toujours ce qu'on veut, hein.
Et toi, j'ai pas entendu dire que le gouvernement t'avait rappelé.
Qu'est-ce qu'il t'a pris de revenir ?
Louis :
Merci toubib, merci pour tout.
Henry, dis-leur de monter.
Fernand Naudin :
Tu crois pas qu'il vaut mieux quand même ...
Louis :
Me coupe pas, sans quoi on n'aura plus le temps.
Henry, fais tomber cent sacs au toubib.
Le docteur, Pascal et Henry sortent. Louis et Fernand restent seuls dans la pièce.
Fernand Naudin :
Ben alors, qu'est-ce qui se passe, Louis ?
Louis :
Je suis revenu pour canner ici, et pour me faire enterrer à
Pantin avec mes vioques.
Les Amériques, c'est chouette pour prendre du carbure. On peut y
vivre, à la rigueur. Mais question de laisser ses os, hein, y'a que
la France.
Je décambute bêtement et je laisse une mouflette à la traîne,
Patricia.
C'est d'elle que je voudrais que tu t'occupes.
Fernand Naudin :
Hé ben, dis donc, t'en as de bonnes, toi.
Louis :
T'as connu sa mère, Suzanne Beau-Sourire.
Fernand Naudin :
T'es marrant, dis donc. C'est plutôt toi qui l'as connue.
Louis :
Au point de vue oseille, je te laisse de quoi faire ce qu'il faut
pour la petite.
Oui, j'ai des affaires qui tournent toutes seules. Maître Folas, mon
notaire, t'expliquera.
Ah, tu sais combien ça laisse, une roulette, soixante pour cent de
velours.
Fernand Naudin :
Et sur le plan des emmerdements, trente-six fois la mise, hein.
Ben écoute, Louis, ta môme, tes affaires, tout ça, c'est bien
gentil, mais ...
moi aussi j'ai des affaires, tu comprends. Et les miennes en plus
elles sont légales.
Louis :
Oui, j'ai compris, quoi. Les potes, c'est quand tout va bien.
Fernand Naudin :
Ça va pas toi, dis. J'ai pas dit ça, non.
Louis :
Non, t'as pas dit ça, t'as pas dit ça, mais tu livrerais ma
petite Patricia aux Vautours.
Oh, mon petit ange.
Fernand Naudin :
Ton petit ange, ton petit ange, hein.
Louis :
Oh, maintenant que tu es dans l'honnête, tu peux pas savoir le
nombre de malfaisants qui existent. Le monde en est plein.
Ils vont me la mettre sur la paille ma petite fille, la dépouiller,
enfin tout lui prendre.
Je l'avais faite élever chez les soeurs, moi, apprendre l'anglais,
enfin tout. Résultat, elle finira au tapin, et ce sera de ta faute.
T'entends, se sera de ta faute.
Fernand Naudin :
T'arrêtes un peu, hein. Depuis plus de vingt piges que je te
connais, je te l'ai vu faire plus de cent fois ton guignol, alors
hein. Et à propos de tout, de cigarettes, de came, de nanas.
La jérémiade, ç'a toujours été ton truc à toi. Une fois, je t'ai
même vu chialer, alors tu vas quand même pas servir ça à moi, non.
Louis :
Si. Enfin tu te rends pas compte, saligaud, qu'elle va quand même
perdre son père, Patricia, que je vais mourir.
Fernand Naudin :
Je te connais, t'en es capable. Voilà dix ans que t'es barré, tu
reviens, je laisse tout tomber pour te revoir et c'est pour entendre
ça. Et moi comme une pomme ...
On frappe.
Fernand Naudin :
Entrez.
Ils entrent tous.
Louis :
Hé dis donc, Théo, t'aurais pu monter tout seul.
Théo :
Si sa présence doit vous donner de la fièvre ...
Louis :
Chez moi, quand les hommes parlent, les gonzesses se taillent.
Ami de Théo :
Je t'attends en bas.
Théo :
À tout de suite.
L'ami de Théo sort de la chambre.
Louis :
Voilà, je serai bref. Je viens de céder mes parts à Fernand, ici
présent. C'est lui qui me succède.
Raoul Volfoni :
Mais tu m'avais promis de m'en parler en premier.
Louis :
Exact. J'aurais pu aussi organiser un référendum. Mais j'ai
préféré faire comme ça, pas d'objection ? Parce que moi, j'ai rien
d'autre à dire.
Je crois que tout est en ordre, non ?
Ils sortent tous, sauf Fernand.
Louis :
Pascal, Pascal.
Fernand Naudin :
Oh Louis, ben Louis, Louis quoi merde, Louis.
Pascal !
Pascal rentre.
Louis :
Je vais plus pouvoir tenir longtemps.
Fernand Naudin :
Mais, déconne pas, Louis.
Louis :
J'sais de quoi je parle.
Fernand Naudin :
Tu veux pas que je t'ouvre la fenêtre un petit peu, hein, merde.
Tu vois, regarde, il fait jour.
Louis :
D'ici, on ne voit que le ciel. Mais je m'en fous du ciel, j'y
serai dans peu de temps. Non, ce qui m'intéresse c'est la rue. Ouais,
ils m'ont filé directement de l'avion dans l'ambulance, j'ai rien pu
voir.
Dis donc, ça a dû drôlement changé, non ?
Fernand Naudin :
Tu sais, pas tellement, quoi.
Louis :
Eh ben, raconte quand même.
Fernand Naudin :
Eh ben, c'est un petit matin comme tu les aimes, enfin comme on
les aimait, quoi. Les filles sortent du Lido, tiens. Tu te souviens,
c'est à cette heure-là qu'on emballait ...
Fernand Naudin :
Si un jour, on m'avait dit qu'il mourrait dans son lit, celui-là.
Théo :
... pst, das ist vorbei.
Eschylle, quatrième siècle avant Jésus-Christ.
Henri :
On naît, on vit, on trépasse.
Paul Volfoni :
C'est comme ça pour tout le monde.
Raoul Volfoni :
Pas forcément. Enfin, je veux dire, on meurt pas forcément dans
son lit.
Paul Volfoni :
Ben voyons.
Fernand Naudin :
Dis donc, je tiens plus en l'air, moi. T'aurais pas une bricole à
grignoter, là ?
Henri :
Bien sûr.
Fernand Naudin :
C'est à toi, ça ?
Henri :
Sers-toi.
Raoul Volfoni :
Y'a vingt piges, le mexicain, tout le monde l'aurait donné à
cent contre un flingué à la surprise. Mais c't'homme-là, ce qui l'a
sauvé, c'est sa psychologie.
Paul Volfoni :
Tout le monde est pas forcément aussi doué.
Pascal :
La psychologie, y'en a qu'une, défourailler le premier.
Théo :
C'est un peu sommaire, mais ça peut être efficace.
Raoul Volfoni :
Mais le mexicain, ç'a été une épée, un cador. Moi j'suis
objectif, on parlera encore de lui dans cent ans.
Seulement faut bien reconnaître qu'il avait décliné, surtout de la
tête.
Paul Volfoni :
C'est vrai qu'sur la fin il disait un peu n'importe quoi. Il
avait comme des vaps, des caprices d'enfant.
Raoul Volfoni :
Enfin, toi qui y a causé en dernier, t'as sûrement remarqué ?
Fernand Naudin :
Remarqué quoi ?
Raoul Volfoni :
T'as quand même pas pris au sérieux cette histoire de
succession ?
Fernand Naudin :
Pourquoi ? Fallait pas ? Ben, j'ai eu tort.
Raoul Volfoni :
Ah, ah. Et voilà.
Paul Volfoni :
Tu vois, Raoul, c'était pas la peine de s'énerver, monsieur
convient.
Raoul Volfoni :
Y'en a qu'abuseraient de la situation, mais mon frère et moi,
c'est pas notre genre. Qu'est-ce qu'on pourrait faire qui
t'obligerait ?
Fernand Naudin :
Décarrer d'ici. J'ai promis à mon pote de m'occuper de ses
affaires. Puisque je vous dis que j'ai eu tort, là. Seulement, tort
ou pas tort, maintenant c'est moi le patron. Voilà.
Henri :
Pascal !
Pascal :
Oui !
Paul Volfoni :
Écoute, on te connaît pas. Mais laisse-nous te dire que tu te
prépares des nuits blanches, des migraines, des nervous breakdown,
comme on dit de nos jours.
Fernand Naudin :
J'ai une santé de fer. Voilà quinze ans que je vis à la
campagne, que je me couche avec le soleil, et que je me lève avec les
poules.
Henri :
Y'a du suif chez Thomas. Trois voyous qui chahutent la partie. Les
croupiers ont les foies pour la caisse, ils demandent de l'aide.
Fernand Naudin :
Ça arrive souvent ?
Théo :
Jamais.
Pascal :
Ça doit pouvoir se régler à l'amiable.
Henri :
Si tu tiens à regagner ta province rapido, t'aurais intérêt à
aller voir. Toujours ça de gagné, c'est sur ton chemin.
Oh les Volfoni, t'inquiètes pas.
Théo :
La bave du crapaud n'empêche pas la caravane de passer.
Henri :
Tchao.
Fernand Naudin :
Dis donc, ça te gêne pas qu'on y aille ensemble.
Pascal :
C'est pas que vous gênez, monsieur Fernand. Mais je ne sais pas
si ça va bien vous plaire.
Fernand Naudin :
Et bien ça je te le dirai.
Ami de Théo :
À ton avis, c'est un faux caïd ou un vrai branque ?
Théo :
Pour moi, c'est rien du tout. Un coup de téléphone et dix
minutes après, il n'existe plus.
Pascal :
J'admets qu'ils ont l'air de deux branques. Mais j'irai pas
jusqu'à m'y fier, non ? C'est quand même des spécialistes. Le jeu,
ils ont toujours été là-dedans, les Volfoni Brothers. À Naples,
à Las-Vegas, partout où il y a des jetons à racler, ils tenaient le
rateau, hein !
Fernand Naudin :
Mais, et l'autre là, le coquet ?
Pascal :
L'ami Fritz ?
Fernand Naudin :
Hum.
Pascal :
Il s'occupe de la distillerie clandestine.
Fernand Naudin :
C'est quand même marrant les évolutions. Quand je l'ai connu, le
Mexicain, y recrutait pas chez tonton.
Pascal :
Vous savez ce que c'est, non ? L'âge, l'éloignement. À la fin
de sa vie, il s'était penché sur le reclassement des légionnaires.
Fernand Naudin :
Ah ! Si c'est une oeuvre, alors là, là c'est autre chose.
Pascal :
Voilà, ici c'est chez Thomas.
Fernand Naudin :
Je m'attendais à quelque chose de plus important. Mais c'est un
clapier.
Pascal :
D'après Thomas, ce qui passionne le joueur, c'est le tapis vert,
ce qu'il y a autour, il s'en fout. Il voit même pas.
Planque-toi.
Une voiture passe. Bruit de mitraillette. Fusillade.
Pascal :
À l'affût sous les arbres, ils auraient eu leur chance.
Seulement de nos jours, il y a de moins en moins de techniciens pour
le combat à pied. L'esprit fantassin n'existe plus. C'est un tort.
Fernand Naudin :
Ça viendrait de qui d'après toi ? des Volfoni ?
Pascal :
Hum, ça serait assez dans leurs sales manières. Monsieur
Fernand, je serai d'avis qu'on aborde mollo. Des fois qu'on serait
encore attendus.
Mais sans vous commander, si vous restiez un petit peu en retrait,
hein ?
Fernand Naudin :
Ouais, n'empêche qu'à la retraite de Russie, c'est les mecs qui
étaient à la traîne qu'ont été repassés.
Thomas :
C'est toi qui fais tout ce foin.
Pascal :
Je m'excuse. Monsieur Fernand, le nouveau tôlier.
Thomas :
Je n'étais pas au courant.
Pascal :
Comme ça, tu l'es.
Thomas :
Je suis Thomas, le gérant de la partie.
Fernand Naudin :
Bonjour.
Thomas :
Enchanté.
Mais qu'est-ce que c'était que cette fusillade ? On ne se serait pas
permis de vous flinguer sur le domaine ?
Fernand Naudin :
Eh ben, on s'est permis.
Pascal :
Thomas.
Thomas :
Oui.
Pascal :
Tu devrais envoyer Freddy faire un tour. Y'a une charette
dans le parc avec deux gars dedans, ça fait désordre.
Pascal :
Où sont les autres ?
Thomas :
Quels autres ?
Pascal :
Les mecs qui faisaient du scandale.
Thomas :
Du scandale, ici ? J'aimerais comprendre.
Pascal :
Moi aussi.
Fernand Naudin :
Comment, mais c'est pas vous qui avez téléphoné ?
Thomas :
La nuit a été tout ce qu'il y a de normale.
Pascal :
Qu'est-ce que c'est que cette embrouille ?
Fernand Naudin :
Le numéro d'Henry ?
Pascal :
Balzac 44 05.
Il téléphone. On voit le cadavre d'Henry dans le bowling.
Voix off : Maintenant, Henry, il peut plus dire les choses. À personne. Trois morts subites en moins d'une demi-heure. Ah ça part sévère les droits de succession.
Pascal :
Le Mexicain l'avait achetée en viager à un procureur à la
retraite. Après trois mois, l'accident bête. Une affaire.
Pascal sonne à la porte. On ouvre, ils entrent.
Jean :
Welcome, sir. My name is John.
Please.
À la cuisine.
Pascal :
Il est mort il y a deux heures. On aurait pû être là plus tôt
mais on a été retardé, une espèce de contestation. Et puis Henry
s'est fait descendre.
Maître Folage :
Les Volfoni ?
Pascal :
Ah.
Maître Folage :
Quand le lion est mort, les chacals se disputent l'empire. Enfin,
on ne peut pas demander plus aux Volfoni qu'aux fils de Charlemagne.
Il voit Fernand.
Maître Folage :
Ah. Maître Folage, notaire.
Fernand Naudin :
Bonjour, monsieur.
Maître Folage :
Heureux de vous accueillir. J'aurais préféré bien sûr que ce
soit dans
d'autres circonstances. Votre chambre est prête. Le Mexicain avait
donné des ordres.
Fernand Naudin :
Vous êtes gentil, je vous remercie. Mais ce qui m'arrangerait
surtout, c'est si on pouvait régler nos affaires dans la journée,
quoi.
Maître Folage :
Vous étiez l'ami de Louis depuis longtemps ?
Fernand Naudin :
Depuis toujours.
Jean :
Mademoiselle va avoir du chagrin.
Maître Folage :
Ah non stop. Sujet interdit, attention ! Messieurs, pas de fausse
note. La volonté du défunt est formelle. Pour Patricia, le plus
longtemps possible, son papa se porte comme un charme. Et joue les
centaures quelque part dans les sierras mexicaines. Mal desservies par
la poste, ce qui explique son silence.
Pascal :
Bon je dois partir. Maître Folage sait toujours où me joindre.
J'habite chez ma mère.
Fernand Naudin :
Merci.
Pascal part.
Maître Folage :
Je suis bien content que vous soyez là, vous savez. Parce que
moi, avec la petite, j'y arrive plus. C'est peut-être que je la
connais depuis trop longtemps. Pensez, c'est moi qui l'ai tenue sur
les fonts baptismaux, alors.
Jean :
Une belle cérémonie. Mademoiselle était déjà ravissante.
Maître Folage :
Dites-moi, mon ami. Si vous montiez les bagages de Monsieur
Naudin ?
Jean :
Yes, sir !
Jean sort.
Fernand Naudin :
Moi, si ça ne vous fait rien, j'aimerais bien qu'on aborde un
petit peu les choses sérieuses. Parce que les caprices d'une gamine,
c'est bien beau ça, mais on ne va quand même pas s'en faire pour
ça, non ? On est bien d'accord ?
Maître Folage :
Ah, mais, moi je ne m'en fais pas, je ne m'en fais plus.
Maintenant que vous êtes là, c'est vous que ça regarde.
Fernand Naudin :
Comment ça, moi ?
Maître Folage :
Hé ben, vous avez accepté de vous occuper d'elle, non ? À la
bonne votre, mon cher, vous allez connaître tout ce que j'ai connu :
les visites aux directrices, les mots d'excuse, les billets de
renvoi, ...
Fernand Naudin :
Vous allez quand même pas dire que mademoiselle Patricia s'est
fait éjecter, non ?
Maître Folage :
Ah de partout mon cher. Et mademoiselle n'a jamais tenu plus de
six mois. Juste le temps d'user les patiences. Oui vraiment. je suis
content que vous soyez là.
Fernand Naudin :
Pas pour longtemps. Parce que ça va changer, et vite. C'est moi
qui vous le dit. Moi, ce que je vais lui trouver, il va falloir
qu'elle y reste, croyez-moi. Sinon, je vais la filer chez les
dresseurs, les vrais. La pension au bagne avec le réveil au clairon
et tout le toutim, non mais sans blague !
Maître Folage :
Eh bien, faut le lui dire à elle.
Fernand Naudin :
Mais je vais lui dire et puis tout de suite. Où est-elle ?
Maître Folage :
Elle dort. Elle a organisé une petite sauterie qui nous a
entraîné jusqu'à trois heures du matin.
Jean revient.
Jean :
Your room is ready, sir !
Maître Folage :
Il veut dire que votre chambre est prête.
Fernand Naudin :
Dites donc, il picole pas un peu, votre british ?
Maître Folage :
Oh là là ! Et puis, il est pas plus british que vous et moi.
C'est une découverte du mexicain.
Fernand Naudin :
Il l'a trouvé où ?
Maître Folage :
Ici. Il l'a même trouvé devant son coffre-fort. Il y a 17 ans
de ça. Avant d'échouer devant l'argenterie, l'ami Jean avait
fracturé la commode Louis XV. Le mexicain lui est tombé
dessus juste au moment où l'artiste allait attaquer les
blindages au chalumeau.
Fernand Naudin :
Je vois d'ici la petite scène.
Maître Folage :
Vu ses principes, le patron ne pouvait pas le donner
à la police, ni accepter de régler lui-même les dégats.
Résultat : Jean est resté ici 3 mois au pair comme larbin
pour régler la petite note. Et puis, la vocation lui est
venue, le style aussi, peut-être également la sagesse.
Dans le fond, nourri, logé, blanchi, 2 costumes par an,
pour un type qui passait la moitié de sa vie en prison...
Fernand Naudin :
Il a choisi la liberté, quoi.
Patricia :
Oh, c'est drôle, je vous voyais plus grand, plus bronzé. Mais
c'est pas grave. Vous êtes bien l'oncle Fernand ?
Fernand Naudin :
Ben ... oui.
Patricia :
On pourrait peut-être s'embrasser, ça se fait.
Fernand Naudin :
Ah bon ben alors, si ça se fait, ben, allons-y.
Ils s'embrassent.
Fernand Naudin :
Dites donc. Heureusement que je viens de me raser, hein ?
Patricia :
Papa m'avait annoncé votre arrivée.
Fernand Naudin :
Quand ça ?
Patricia :
Dans sa dernière lettre, il y a bien un mois. Ca vous étonne ?
Fernand Naudin :
Euh non. Oh non.
Patricia :
Il y avait trois pages, rien que sur vous. Vos aventures, vos projets,
sans compter tout ce que vous avez fait pour lui.
Fernand Naudin :
Dis-moi, tu sais, euh, j'aimerai bien avoir un petit peu de thé,
du pain, du beurre et peut-être des oeufs au bacon aussi, hein.
Tu voudrais pas t'occuper de ça, en bas ?
Patricia : (petit rire)
Du thé à sept heures du soir ?
Fernand Naudin :
Ben, c'est-à-dire qu'en ce moment, je suis un tantinet décalé
dans mes horaires, oui.
Patricia :
Ah bon.
Patricia :
Oh, au fait, ça a dû être quelque chose la fois où vous
l'avez sorti du fleuve.
Fernand Naudin :
Qui ça ?
Patricia :
Ben papa. Il m'annonçait dans sa lettre "Fernand m'a sorti d'un
drôle de bain". Ce qu'il a oublié de me dire,
c'est quel fleuve c'était.
Fernand Naudin :
Ecoute, sois gentille. Moi je meurs de faim. Heu, alors va t'occuper
de mon petit en-cas, tu veux, hum ?
Patricia :
Vous ne voulez pas me répondre ?
Fernand Naudin :
Mais c'est pas que je veux pas, mais ...
Comment tu veux que je me rappelle, hein ?
Là-bas, des fleuves t'as que ça, à droite, à gauche, devant,
derrière, partout et bourrés de crocodiles en plus.
Voila, t'es contente maintenant.
Bon alors maintenant va et laisse-moi finir ma toilette et
puis on parlera après, hein.
Parce que tu t'en doutes Patricia faut quand même qu'on parle.
Patricia :
Oui mon oncle.
Fernand Naudin :
Qu'on parle de choses sérieuses.
Patricia :
Oui tonton. Ca ne vous ennuie pas que je vous appelle
tonton ?
Elle sort puis revient.
Patricia :
Vous en avez tué beaucoup ?
Fernand Naudin :
???????
Patricia :
des crocodiles. Et là-bas y'a que ça, devant,
derrière, à gauche, à droite, partout. Bon et bien
je vais m'occuper de votre thé.
Maître Folage :
Puisque la fermeté a l'air de vous réussir, je vais vous donner
l'occasion de vous distinguer.
Fernand Naudin :
Et à propos de quoi ?
Maître Folage :
D'argent. D'argent qui ne rentre pas. Depuis 2 mois les Volfoni n'ont
pas reversé les redevance de la péniche. Thomas a plus d'un mois de
retard, et Théo ... etc.
Fernand Naudin :
Qu'est-ce que c'est ? Une révolte ?
Maître Folage :
Non sire, une révolution. Personne ne paie plus rien.
Fernand Naudin :
mais ces mecs-là n'auraient quand même pas la prétention d'engourdir
le pognon de ma nièce, non ?
Maître Folage :
On dirait.
Fernand Naudin :
Le mexicain était au courant ?
Maître Folage :
Ah non, surtout pas, c'était un homme à tirer au hasard, sans
discernement. Alors les ragots, dans la presse, si c'était tombé sous
les yeux de la petite. vous voyez ça d'ici.
Fernand Naudin :
Oui, ce que je vois surtout, c'est que si on doit arriver à flinguer,
vous préférez que ce soit moi qui m'en charge, hein, c'est ça ?
Maître Folage :
Un tuteur, c'est pas pareil.
Fernand Naudin :
Ca se guillotine aussi bien qu'un papa.
Maître Folage :
Mais qui vous demande d'intervenir personnellement ? Nous avons
Pascal, je le convoque ou pas ?
Fernand Naudin :
Si je ne devais pas être à la foire d'Avignon dans 48 heures, je dirai
non. Mais je suis pris par le temps.
Et puis je reconnais que c'est jamais bon de laisser dormir les
créances. Et surtout de permettre au petit personnel de rêver.
Il sort.
Antoine :
Vous parlez de rêver ? Rêvez-vous en couleur ?
Antoine Delafoy, le plus respectueux, le plus ancien, le plus fidèle
ami de Patricia. je vous connais, monsieur, et je vous admire.
Fernand Naudin :
Ah.
Antoine :
Patricia vous évoque, vous cite, vous vante en toute occasion. Vous
êtes le gaucho, le centaure des pampas, l'oncle légendaire.
Fernand Naudin :
Moi, elle ne m'a jamais parlé de vous.
Antoine :
Ah ... Bon elle a pas eu le temps, mais ça ne fait rien, je ferai donc
mon panégyrique moi-même.
C'est parfois assez édifiant, et souvent assez drôle, car il m'arrive
de m'attribuer des mots qui sont en général d'Alphonse Allais et des
aventures puisées dans la vie des hommes illustres.
Fernand Naudin :
Il est toujours comme ça ?
Patricia :
Absolument pas. C'est son côté agaçant, il faut qu'il parle. En
vérité, c'est un timide. Je suis sûre que vous serez séduit quand vous
le connaitrez mieux.
Fernand Naudin :
Parce qu'en plus, monsieur séduit.
Antoine :
Je séduis pas, j'envoûte. Never mind, John, I'll do it.
Jean :
Thank you, sir.
Antoine :
pour en revenir à vos rêves en couleurs, savez-vous que Borowski les
attribue au phosphore qui est contenu dans le poisson. Moi je préfère
m'en tenir à Freud, c'est plus rigolo. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Fernand Naudin :
Rien, je ne rêve pas en couleur, je ne rêve pas en noir, je ne rêve
pas du tout, je n'ai pas le temps.
Antoine :
Ben, je vous déconseille l'eau, ce serait un crime, il a dix ans d'âge.
Patricia :
Tonton est débordé par ses affaires.
Antoine :
Vous viendrez bien avec nous demain soir ?
Fernand Naudin :
Et où ça ?
Antoine :
Il demande où ça. Oh oh mon Dieu qu'il est drôle.
Franck Mills jouera pour la première fois à Pleyel.
Corelli, Beethoven, Chopin, tout ça, ça sera dépassé, c'est très
con. Mais avec Mills ça peut devenir déroce, tigresque.
Ouais tout le monde y sera.
Fernand Naudin :
D'accord, d'accord.
Je sais que c'est la coutume d'emmener l'oncle de province au
cirque. Je vous remercie d'ailleurs d'y avoir pensé. Mais vous irez
sans moi.
Moi demain à sept heures, je ne serai pas loin de Montauban.
Quant à mademoiselle Patricia, elle sera à ses études. Nous sommes
bien d'accord Patricia ?
Patricia :
Oui tonton.
Fernand Naudin sort.
Antoine :
Je crois que tu as raison, faut pas le brusquer.
Fernand Naudin :
Qu'est-ce qui se passe encore ?
Maître Folage :
Notre ami va se faire un plaisir de vous l'expliquer.
Pascal :
Les Volfoni ont organisé à la péniche une petite réunion des cadres,
façon meeting, si vous voyez ce que je veux dire.
M'enfin quoi, on parle dans votre dos.
Fernand Naudin :
Et tu tiens ça d'où ?
Pascal :
Je ne peux pas le dire, j'ai promis. Ce serait mal.
Fernand Naudin :
Alors ?
Maître Folage :
Eh bien. Euh. Y'a deux solutions : ou on se dérange, ou on
méprise. Oui, évidemment, n'importe comment une tournée d'inspection
peut jamais nuire, bien sûr.
Fernand Naudin :
Bon, on va y aller, hmm ?
Pascal :
Monsieur Fernand, y'a peut-être une place pour moi dans votre
auto. Des fois que la réunion devienne houleuse ...
J'ai une présence tranquillisante.
Patricia :
Vous préférez le foie gras pour commencer ou pour finir ?
Fernand Naudin :
C'est-à-dire, je préférerai demain. Je suis obligé de sortir. Un
conseil d'administration.
Antoine :
Quoi ! Vous n'allez pas diner avec nous. Moi qui venais de dire à Jean
de nous monter du champagne.
Fernand Naudin :
Votre invitation me bouleverse. Merci quand même.
Fernand Naudin sort. Antoine mange un toast de foie gras.
Antoine :
C'est du bidon.
Patricia :
Sûrement pas, il vient de Strasbourg, on le paie un prix fou.
Antoine :
Non, je parle du conseil d'administration de ton oncle. Si tu veux mon
avis, l'oncle des pampas va courir la gueuse.