Segmentation automatique : application aux angioscanners 3D du foie

Luc SOLER
Grégoire MALANDAIN
Hervé DELINGETTE

Version finale (postScript)

Introduction

Dans le cadre de la réalisation d'un simulateur d'opérations laparoscopiques, nous avons développé une nouvelle méthode permettant d'extraire dans les angioscanners 3D du foie, le réseau vasculaire de la veine porte. Ce réseau est utilisé en pratique pour repérer les 8 différents segments anatomiques qui représentent l'unité de base dans les ablations chirurgicales sur le foie. Notre méthode réalise cette segmentation en trois étapes réalisant tout d'abord un seuillage globale suivi d'une correction locale, en terminant par une analyse topologique et géométrique. Elle permet ainsi de segmenter précisément ce réseau difficile à délimiter dans la pratique et ainsi de reconstruire les 8 segments anatomiques à partir d'une image acquise par un protocole standard.

État de l'art

D'un point de vue général, la segmentation est aujourd'hui un problème très étudié en analyse d'images médicales [Aya95]. Les méthodes de segmentation ont été développées suivant deux axes principaux, les méthodes d'analyse globale de l'image et les méthodes d'analyse locale. Les premières réalisent une classification par seuillage pour laquelle les seuils sont calculés à partir de l'histogramme d'intensité de l'image complète [HFC96,G93,SSW88], suivie généralement d'opérations morphologiques [FKHG96,BMEL93]. Parmi ces méthodes, plusieurs ont pour but d'ajuster des fonctions sur l'histogramme des intensités de façon à ce que la somme de ces fonctions soit une approximation de cet histogramme [GO94,CHY89,Der87]. Chacune des fonctions peut alors représenter une classe différente dans l'image. Dans [FKHG96], l'histogramme est décomposé en trois zones représentant trois classes de tissus dans le foie : les tumeurs, le tissu hépatique et les vaisseaux. La délimitation de ces classes est calculée ici par la méthode de classification par pourcentage [NFM90] moins précise que les méthodes d'ajustement de fonctions. Les méthodes d'analyse locale quant à elles, réduisent le traitement de l'image à des zones plus limitées, ce qui fournit en général un résultat plus précis, mais plus difficile à automatiser. La réduction peut consister à découper l'image en sous-parties plus petites, chacune d'elles étant alors analysée par les méthodes de seuillage vue précédemment [KS90]. La majorité de ces méthodes reste cependant les méthodes par croissance de régions qui réalisent une segmentation locale le long d'une vague de propagation par un simple seuillage avec un seuil fixe [ZJP95,ZJELPK95] ou variable [SCHP94,SPH93]. Parfois la méthode de segmentation utilisée le long de la vague est plus complexe, faisant intervenir un seuillage non plus sur l'intensité, mais sur le gradient d'intensité [OE94], ou encore des propriétés de courbure de la vague [Sun89]. Mais l'inconvénient majeur de ces méthodes est l'évaluation automatique des seuils à utiliser (sur le gradient ou sur l'intensité), ainsi que la définition du point de départ de la vague de propagation.

Étude théorique et implémentation

En analysant l'étude précédente, nous avons choisi de tirer partie, autant que possible, des avantages des méthodes de segmentation existantes par une segmentation en trois étapes précédée d'une étape de prétraitement de l'image.

  • Le prétraitement de l'image a pour but de réduire l'image à la zone d'intérêt délimitée par les contours du foie. Nous utilisons pour cela l'algorithme développé par Montagnat et Delingette [MD97] qui déforme un maillage de référence en utilisant des contraintes de déformation hybrides, locales et globales. Comme le montre la figure suivante, ceci a pour effet de limiter l'histogramme des intensités, ce qui facilitera ainsi les traitements ultérieurs.

    Réduction de l'image au contour du foie et effet sur l'histogramme des intensités.

  • Le prétraitement étant réalisé, nous souhaitons dans une première étape segmenter les trois classes décrites dans [FKHG96] (les lésions, le tissu hépatique et les vaisseaux), en calculant deux seuils S_LF et S_FV permettant de séparer par simple seuillage ces trois classes. Pour calculer ces seuils, nous avons supposé que la distribution des intensités de chacun des tissus suivait une loi normale. La solution que nous avons choisi est alors de retrouver les trois distributions ajustant au mieux l'histogramme par la méthode aux moindres carrées de Levenberg-Marquardt [PFTV91], et d'utiliser l'intersection de deux distributions voisines comme seuil. Cette méthode étant très dépendante de l'initialisation, nous avons développé un ajustement en deux temps. Tous d'abord nous ajustons une première gaussienne sur le pic principal de l'histogramme qui correspond au foie et qui est nettement détaché. En utilisant le résultat de cet ajustement et en le soustrayant à l'histogramme initial, on peut ainsi repérer deux zones de part et d'autre de ce pic. En utilisant cette soustraction on peut donc initialiser deux autres gaussiennes et recommencer l'ajustement avec trois gaussiennes (voir figure). On obtient ainsi un premier seuillage automatique mais imparfait puisque tous les voxels d'un tissu ne seront pas récupérés et que certains voxels du tissu voisin le seront par erreur (exemple de seuillage du réseau vasculaire).

  • La seconde étape a pour but d'améliorer le résultat de la segmentation des vaisseaux, en récupérant les branches que la première étape avait mal segmentées. Une solution serait de réduire le seuil S_FV et de réaliser un seuillage par hystérésis, mais la réduction du seuil ajouterait alors plus de voxels appartenant aux tissus hépatiques qu'aux vaisseaux. Afin de limiter ces erreurs, nous avons limité ce seuillage au voisinage des voxels des vaisseaux issus de la première segmentation. En effet, plus on sera proche de ces voxels, plus on aura de chance d'appartenir aux vaisseaux et donc plus on pourra être permissif. Nous avons ainsi défini un seuil bas variant en fonction de la distance aux voxels issus de la première segmentation et illustré sur la figure suivante.


    Choix des seuils en fonction de la distance par rapport aux voxels des vaisseaux.

    Compte tenu de l'anisotropie de nos images qui ont une épaisseur de coupe au moins trois fois plus importante que la taille du pixel, nous avons fixé une distance maximale d'analyse à deux pixels, ce qui rend le calcul 3D inutile et accélère donc l'algorithme. Cette analyse locale nous permet ainsi de récupérer des branches supplémentaires comme nous pouvons le voir sur l'exemple suivant.

    Simple segmentation (à gauche) et apport de l'analyse locale (à droite).

  • La troisième étape a pour but d'extraire dans les réseaux vasculaires segmentés, le réseau de la veine porte. Pour cela nous réalisons une étude topologique et géométrique du résultat de la segmentation issue de l'étape précédente. La méthode que nous avons développé est comparable aux méthodes par croissance de région. Elle réalise en fait une propagation sur l'arbre défini par le squelette des vaisseaux segmentés. Ainsi, au lieu de réaliser une propagation sur l'image initiale (voir figure), elle s'applique uniquement au squelette des vaisseaux [MBA93] (voir figure). Comme le montre les figures précédentes, cette méthode permet de repérer de façon plus précise les points de bifurcation des branches qui sont couramment utilisés pour définir les plans de coupe des segments anatomiques. De plus, contrairement aux méthodes classiques par croissance de région, celle-ci utilise des critères de sélection basés sur la topologie et la géométrie du réseau traité, permettant de supprimer les points ou les branches connectées par erreur. Cette suppression est basée sur l'analyse anatomique du réseau porte. Ce réseau est un arbre dont chaque branche décroît en diamètre à chaque bifurcation. En réalisant un parcourt partant du tronc de la veine porte, on élimine donc les branches qui réalisent une boucle dans le réseau ou bien qui ont un diamètre qui augmente. Ceci permet d'éliminer les erreurs de segmentation dues à l'anisotropie des images (connexion entre réseaux porte et sus-hépatiques, voir figure), mais également de déconnecter le réseau artériel quant il apparaît (voir figure).


    Extraction automatique de la veine porte : Déconnexion du réseau sus-hépatique.


    Extraction automatique de la veine porte : Déconnexion de l'artère hépatique.

    Expérimentation

    Nous avons testé notre algorithme sur un ensemble de 10 images acquises par scanner X suivant des protocoles différents. L'analyse progressive des résultats obtenus à partir des différentes modalités a permis de définir un protocole d'acquisition standard pour les images du foie obtenues par scanner X. Ce protocole est ainsi défini par une injection du produit opaque au rayon X par intraveineuse, suivie d'une acquisition scanner au temps portal de 50s (veine porte contrastée) avec une épaisseur de coupe optimale de 2 mm (et maximale de 3 mm) à la reconstruction pour une taille de pixel approximative de 0,6 mm. Les résultats obtenus sur dix patients et vérifiés par un radiologue, montrent que l'algorithme extrait automatiquement les trois principales bifurcations de la veine porte, aussi bien qu'une segmentation manuelle. Cela permet ainsi de délimiter les segments anatomiques définis dans l'anatomie conventionnelle du foie. Nous avons donc créé ces segments automatiquement à partir de l'étiquetage manuel des vaisseaux segmentés par notre algorithme. Les premiers résultats obtenus sont très encourageant et montrent un faible écart entre le modèle anatomique et le modèle issu de l'image, comme le montre la figure suivante.


    Délimitation des segments anatomiques suivant le modèle de Couinaud.

    Application

    Nos travaux ont été développé dans le cadre du projet Européen "Master", réalisé en collaboration avec l'IRCAD (Institut de Recherche en Cancérologie de l'Appareil Digestif, Hôpitaux de Strasbourg, 1 place de l'Hôpital, 67091 STRASBOURG). Le but est d'apporter aux chirurgiens une aide essentielle lors de la phase préopératoire, en facilitant l'analyse des images et la planification des interventions chirurgicales, mais également en optimisant le geste chirurgical.

    En effet, dans la pratique, les chirurgiens utilisent la définition de Couinaud [coui59], qui permet de repérer les segments à partir de repères issus essentiellement de la veine porte (voir figure). Ils délimitent ainsi les 8 segments manuellement à partir d'images souvent difficiles à analyser. L'anisotropie de ces images rend souvent plus complexe cette analyse, le suivie mental des arborescences interne étant alors une tâche d'autant plus difficile et subjective.

    L'automatisation de ce traitement qu'apporte notre algorithme est donc une aide essentielle aux chirurgiens. Les interactions avec le Pr. Marescaux, le Dr. Russier et le Dr. Tassetti, chirurgiens à l'IRCAD, ont permis la validation des résultats que nous avons obtenus, en particulier dans le domaine de l'étiquetage suivant le modèle anatomique de Couinaud. Le Pr. Roy, radiologue à l'IRCAD, nous a fourni pour sa part, l'ensemble des images sur lesquels nous avons testé notre algorithme, permettant ainsi l'élaboration d'un protocole d'acquisition plus efficace.

    Remerciements

    Nous remercions l'IRCAD Strasbourg et plus particulièrement Jean-Marie Clément ingénieur de recherche, le Pr. Marescaux, le Dr. Russier, le Dr. Tassetti et le Pr. Roy. Nous souhaitons associer à ces remerciements toute l'équipe EPIDAURE de l'INRIA Sophia Antipolis au sein de laquelle ces travaux ont été réalisés et plus particulièrement son responsable Nicholas Ayache.

    Références